Blocus : Israël lance la plus grande offensive d’expulsion de masse en Cisjordanie depuis 1967. (SFOS – 08/03/25)

Une maison palestinienne incendiée dans le camp de réfugiés de Jénine. 26 février 2025. (Photo © Maen Hammad)

Kareemeh, une des rares dames âgées à avoir pris le risque de venir voir sa maison dit en partant “Un instant, je ferme à clé”, dernier geste pour préserver un foyer où elle espère rentrer un jour.

👁‍🗨 Blocus : Israël lance la plus grande offensive d’expulsion de masse en Cisjordanie depuis 1967

Par Mariam Barghouti, le 6 mars 2025

Plus de 40 000 Palestiniens ont été chassés de chez eux lors d’une offensive israélienne brutale, parfois aidée par l’Autorité palestinienne.


NABLUS ET JÉNINE, Cisjordanie occupée — L’armée israélienne a tué Tariq Qassas, 34 ans, d’une balle dans la poitrine le 25 février alors qu’il rentrait chez lui après avoir travaillé dans une boulangerie située à deux kilomètres de là, dans la vieille ville de Naplouse. Tariq Qassas, père d’un enfant de cinq ans et sur le point d’avoir un autre enfant, est le onzième Palestinien tué à Naplouse, une ville animée du nord de la Cisjordanie occupée, depuis janvier.

“Mon frère m’a appelé pendant que j’étais au travail et m’a dit de faire attention en rentrant chez moi, de bien m’assurer que l’armée était partie”,

a déclaré Loay Qassas à Drop Site News. L’armée israélienne menait une opération près du cimetière occidental de la ville.

“Finalement, c’est lui qui a été tué alors qu’il rentrait chez lui après le travail”.

Des médecins sont arrivés pour transporter son corps à l’hôpital de Rafidia afin de le préparer pour l’enterrement. En chemin, l’armée israélienne a arrêté l’ambulance et, sous la menace d’une arme, a ordonné aux ambulanciers de découvrir son visage afin que les soldats puissent le scanner à l’aide d’une technologie de reconnaissance faciale.

“Même dans la mort, ils viennent marquer leurs victimes”,

a déclaré Loay, avant de transporter le cercueil de son frère jusqu’à son dernier repos.

Le corps de Tariq Qassas à la morgue de l’hôpital chirurgical de Rafidia à Naplouse. 25 février 2025. (Photo © Maen Hammad)

Le meurtre de Tariq Qassas s’inscrit dans le cadre d’une offensive militaire israélienne de grande envergure, baptisée “Operation Iron Wall”, qui a pratiquement vidé quatre camps de réfugiés du nord de la Cisjordanie (Jénine, Tulkarem, Faraa et Nur Shams), forçant plus de 40 000 Palestiniens à fuir leur foyer, dans le cadre du plus grand déplacement forcé sur le territoire depuis la guerre de 1967. Les troupes israéliennes ont détruit routes, maisons, bâtiments, canalisations d’eau et lignes électriques, ainsi que d’autres infrastructures civiles. Le 23 février, le ministre israélien de la Défense a déclaré que les troupes israéliennes resteraient dans certains camps de réfugiés l’année prochaine et que les résidents déplacés ne seraient pas autorisés à rentrer chez eux.

Israël a lancé l’opération “Iron wall” le 21 janvier, deux jours après l’entrée en vigueur du “cessez-le-feu” à Gaza. Depuis, plus de 60 Palestiniens, dont 11 enfants, ont été tués par les forces israéliennes et les colons soutenus par l’État en Cisjordanie. Alors que l’accord de cessez-le-feu à Gaza est menacé, saboté par Netanyahu, et qu’Israël, encore plus enhardi par la réélection de Donald Trump, se livre à des actes de dévastation barbares et meurtriers dans la région, des dizaines de milliers de Palestiniens en Cisjordanie sont confrontés à l’une des pires réalités qu’Israël leur ait imposées depuis des décennies.

Pour les habitants, cela se traduit par une escalade incessante du terrorisme quotidien et le traitement abusif de leurs défunts. Deux jours après les funérailles de Qassas, un jeune homme de 25 ans nommé Mahmoud Sanaqra a été tué lors d’un affrontement armé avec les troupes israéliennes après que celles-ci ont mené un raid à l’aube sur son domicile dans le camp de réfugiés de Balata, à l’est de Naplouse.

La famille de Sanaqra n’a pas pu l’enterrer parce que l’armée israélienne a emporté son corps, et refuse toujours de le restituer. La pratique israélienne consistant à conserver les corps des Palestiniens pour les utiliser comme monnaie d’échange, ou simplement pour faire souffrir les familles endeuillées, remonte à plusieurs décennies et a été dénoncée par les organisations de défense des droits de l’homme comme un traitement cruel et inhumain à l’égard des familles en deuil. Il s’agit également d’un acte de punition collective contre les Palestiniens. Israël détient actuellement des centaines de corps, dont beaucoup sont conservés dans des réfrigérateurs ou dans des “cimetières à numéros” où ils sont enterrés en secret, souvent dans des zones militaires interdites, et identifiés uniquement par des numéros.

Évacuation du camp de Jénine

Au cours des deux dernières semaines, les routes à l’extérieur de Jénine ont été détruites, les cafés et les infrastructures commerciales rasés au bulldozer et les rues principales sont devenues quasiment impraticables. Alors que les bâtiments à l’intérieur du camp ont été complètement détruits, les maisons et bâtiments civils à l’extérieur du camp ont été convertis en postes militaires, où les soldats israéliens ont stationné des snipers et les utilisent comme abris. L’opération s’étend maintenant au-delà du camp de réfugiés et s’étend vers la ville, l’armée israélienne ayant déclaré l’ensemble du district de Jénine zone militaire interdite.

“Ma maison a été réduite en cendres lors de la dernière invasion”, a déclaré Adel Al-Bisher, 65 ans, du camp de réfugiés de Jénine, à Drop Site, faisant référence à l’opération Summer Camps, qui a eu lieu il y a six mois. Au cours de cette opération militaire, 20 Palestiniens ont été tués et des dizaines de maisons détruites par des bulldozers, des grenades antichars ou simplement incendiées.

En décembre, les forces de sécurité palestiniennes ont mené une opération à Jénine dans le cadre d’une campagne de six semaines, baptisée Operation Protect Home, au cours de laquelle plus d’une douzaine de Palestiniens, dont deux enfants, ont été tués. Au cours de l’offensive, des combattants de la résistance appartenant à des groupes palestiniens armés, dont la Brigade de Jénine, la Brigade de Tulkarem et le Lion’s Den, ont fait l’objet d’arrestations massives lors ce qui a été l’une des attaques les plus meurtrières et les plus longues menées par les forces de sécurité palestiniennes en Cisjordanie depuis le début de leurs opérations en 1995.

La présence de ces groupes de résistance dans les camps de réfugiés et dans la vieille ville de Naplouse a empêché l’armée israélienne de mener des raids en toute impunité dans ces zones. (Jénine est également une zone clé où les entreprises israéliennes du secteur de l’énergie et l’Autorité palestinienne (AP) envisageaient de construire des usines et des entreprises en 2021, mais la résistance les en a empêchés.)

L’offensive d’Israël, l’opération “Iron wall”, a commencé quelques heures seulement après que l’AP a officiellement déclaré la fin de ses opérations. Alors que les porte-parole de l’AP ont publiquement condamné l’offensive, Drop Site a confirmé que de hauts responsables de la sécurité de l’AP étaient bien présents à Jénine lorsque l’armée israélienne a envahi la ville en janvier.

À la suite de l’opération “Summer Camps”, des centaines de familles du camp de Jénine ont été déplacées et contraintes de chercher un abri. Aujourd’hui, nombre d’entre elles se retrouvent à nouveau sous le feu de l’ennemi. En ce moment même, dans la ville de Jénine, non seulement des chars Merkava sont déployés dans la ville, mais aussi des véhicules militaires israéliens, et notamment des bulldozers Caterpillar D-9 et D-10, ainsi que des véhicules blindés Eitan. Des unités d’opérations spéciales israéliennes et des véhicules blindés de transport de troupes se déplacent désormais partout dans la ville, sans que personne ne s’en prenne à eux. Dans le même temps, la Cisjordanie subit des frappes aériennes israéliennes d’une intensité sans précédent, dépassant même celles de l’opération “Defensive Shield” en 2002, la plus grande offensive militaire israélienne de la seconde Intifada.

La famille Al-Bisher vit dans un appartement situé à quelques centaines de mètres de l’entrée est du camp. Le bâtiment derrière chez eux a été réquisitionné par les forces israéliennes qui y ont installé une base militaire improvisée, avec des bulldozers et des véhicules blindés de transport de troupes stationnés 24 heures sur 24.

“Ils ont détruit plus de douze maisons appartenant à notre famille, y compris celles de mes frères et de mes cousins. Toutes ont disparu, mais même dans cet appartement, nous ne sommes pas tranquilles. Mais où pouvons-nous aller ?” demande Al-Bisher.

Certaines fenêtres de l’immeuble sont brisées, les débris de verre jonchent encore le parking, tandis que les murs de l’immeuble sont criblés d’impacts de balles.

“Vous voyez cette fenêtre là-haut ?” dit Al-Bisher. “La balle a traversé la fenêtre, traversé la chambre et est ressortie par l’autre fenêtre”.

Les soldats israéliens postés juste derrière le bâtiment font régner une atmosphère de terreur. Al-Bisher a déconseillé de prendre des photos depuis leur bâtiment.

“Il y a deux jours à peine, l’un des résidents a été surpris en train de filmer depuis son balcon et les soldats ont fait une descente, l’ont attrapé et l’ont roué de coups”, a-t-il déclaré.

Des milliers d’autres familles déplacées sont désormais bloquées chez des proches dans des villages voisins ou dans des écoles transformées en abris. D’autres campent dans des tentes à la périphérie de la ville, car ils n’ont nulle part où aller.

Rentrer récupérer ses affaires au péril de sa vie

“S’il vous plaît, ne prenez pas de photos de nos visages”, a demandé une femme le 26 février devant l’hôpital public de Jénine, à côté du camp de réfugiés de Jénine. Elle a demandé à garder l’anonymat non seulement par crainte pour sa sécurité, mais aussi en raison des conditions qui leur sont imposées.

“Nous n’avons jamais été filmés auparavant, et je ne veux pas que nous le soyons dans ces conditions humiliantes”,

a-t-elle ajouté, retenant ses larmes.

Une Palestinienne et ses deux enfants récupèrent des objets dans leur maison du camp de réfugiés de Jénine, notamment une table, un radiateur et un plateau. 26 février 2025. (Photo © Maen Hammad)

Déplacée de force dans un village voisin, elle a pris la décision périlleuse de retourner dans sa maison détruite en bordure du camp pour tenter de récupérer quelques affaires.

Avec des sacs plastique contenant les quelques affaires qu’elle, son fils de 10 ans et sa fille de 18 ans ont pu récupérer, elle était désespérée.

“Je suis venue chercher ce petit radiateur, quelques plats et des ustensiles de cuisine parce que le ramadan approche et qu’il faut cuisiner”,

dit-elle. Montrant la pile d’ustensiles de cuisine sur le sol en terre battue, elle se demande comment ils vont pouvoir les transporter.

“Regardez ma fille, elle a ses examens de fin d’année et n’a pas pu réviser, alors elle est venue chercher son ordinateur portable et quelques vêtements”,

dit-elle d’une voix tremblante.

“Je veux rentrer chez moi”, dit la femme. “Je veux juste rentrer chez moi. Depuis un an, on ne peut plus respirer. On encaisse opération sur opération”.

Elle décrit les récentes attaques militaires israéliennes et celles de l’Autorité palestinienne, menées sous prétexte de cibler les combattants de la résistance armée en Cisjordanie.

“Et maintenant ça”, dit-elle. “Je n’arrive plus à respirer, il faut que je respire”.

Plus tard dans la journée, en attendant l’arrivée de ses parents, un jeune homme attendait debout sur une rue défoncée par un bulldozer, entre l’hôpital de Jénine et le camp. Comme beaucoup d’autres, ils ont tenté de se faufiler chez eux pour récupérer quelques affaires après un mois de déplacement, avec pour seul bagage les vêtements dont ils étaient vêtus.

“L’armée avait ordonné de les retenir pendant deux heures, mais ils devraient être relâchés maintenant”,

a déclaré le jeune homme, serrant son téléphone, le seul lien restant avec ses parents. Il a également parlé à Drop Site sous couvert d’anonymat par crainte pour sa sécurité.

“Je ne peux même pas aller les aider. Ils nous tireraient dessus immédiatement, parce que je suis jeune”,

a-t-il déclaré. Alors que le camp a reçu l’ordre d’être évacué, les snipers israéliens postés à la périphérie tirent souvent à volonté.

Les snipers ont également tiré sur des journalistes, des médecins soignant des malades chroniques ou des blessés, et des personnes âgées tentant de se faufiler pour récupérer quelques affaires.

Contrairement à Gaza, l’écrasante majorité, soit 96 % des plus de 1 200 Palestiniens tués en Cisjordanie depuis 2022, sont de jeunes garçons et des hommes. Par conséquent, la dangereuse mission de retourner dans le camp pour récupérer des effets personnels est confiée aux personnes âgées, aux enfants et aux femmes, dans l’espoir que l’armée ne les prendra pas pour cible.

Au bout d’un moment, trois enfants, Ward, 13 ans, Faisal, 12 ans, et Mohammad, 13 ans, ont rassemblé leur courage pour tenter de retourner chercher un iPad.

Des enfants palestiniens marchent dans les rues détruites du camp de réfugiés de Jénine après avoir récupéré un iPad chez eux. 26 février 2025. (Photo © Maen Hammad)

Les enfants sont entrés aux abords du camp, se déplaçant entre les ruelles détruites où quelques autres familles avaient réussi à se rendre plus tôt dans la journée. Ils ont marché les mains levées en se frayant un chemin à travers les décombres et la boue. Dès qu’ils ont attrapé l’iPad, ils se sont dépêchés de ressortir, marchant aussi vite qu’ils pouvaient sans pour autant courir.

Seuls quelques habitants prêts à braver le danger pour récupérer leurs biens ont pu constater de visu l’ampleur des destructions à l’intérieur du camp.

Kareemeh, 65 ans, est l’une des rares personnes âgées à avoir pris le risque de venir voir ce qui reste de sa maison. Elle a traversé boue et décombres. Elle a dit qu’elle comptait récupérer quelques affaires, des documents et des papiers d’identité, ainsi que des vêtements pour sa mère, qui souffre du froid hivernal.

Dès que Kareemeh est entrée dans ce qui restait de sa maison dans la partie est du camp, elle s’est figée. Les fenêtres étaient toutes brisées, probablement à cause des frappes aériennes et des destructions qui ont complètement ravagé les bâtiments voisins, et il y avait du verre partout par terre. Les meubles ont été saccagés, la cuisine détruite et les vêtements ont été sortis des placards et jetés par terre.

Avec seulement quelques minutes pour terminer sa mission et quitter le camp, Kareemeh a commencé à rassembler des conserves et à les mettre dans des sacs plastique. Mais alors qu’elle fouillait dans les décombres, elle a rapidement oublié ce qu’elle était venue y faire, et s’est focalisée sur les tapis.

“Viens par là. Aide-moi à retirer les tapis des fenêtres pour que la pluie ne les abîme pas”,

m’a-t-elle dit. Désemparée, elle tirait sur les tapis, le verre lui coupant les mains. Il a fallu un certain temps pour la calmer et l’aider à se concentrer sur l’essentiel pour pouvoir quitter rapidement le camp alors que la menace imminente des snipers s’intensifiait.

Kareemeh arrange les tapis dans sa maison du camp de réfugiés de Jénine après le saccage par les forces israéliennes. 26 février 2025. (Photo © Maen Hammad)

Finalement, elle a pris quelques papiers, des sous-vêtements et des foulards, et a réussi à récupérer des boîtes de haricots et de sardines. La main en sang, elle a emporté ce qu’elle pouvait.

“Juste une minute, je ferme ma porte à clé”, a-t-elle dit en partant, un dernier geste pour préserver un semblant de foyer où elle espère revenir un jour.

Source : https://ssofidelis.substack.com/p/blocus-israel-lance-la-plus-grande

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/blocus-israel-lance-la-plus-grande-offensive-dexpulsion-de-masse-en-cisjordanie-depuis-1967-sfos-08-03-25/

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