Colloque brestois sur les victimes de 1944 en Bretagne : ce chercheur a décrypté l’épuration des femmes collaboratrices (LT.fr-25/10/24)

Fabien Lostec, docteur en histoire, est chercheur à l’université Rennes 2. Il est l’auteur de la thèse « Condamnées à mort. L’épuration des femmes collaboratrices, 1944-1951 », publiée en 2024 aux éditions du CNRS. (Photo Le Télégramme/Maëlle Denis)

Un colloque de deux jours consacré aux victimes de 1944 en Bretagne vient de s’achever à la faculté de lettres, à Brest, ce vendredi. Durant une session consacrée à l’épuration, Fabien Lostec (*) y a notamment détaillé le sort des femmes, surreprésentées parmi les condamnés.

Par Maëlle DENIS.

En quoi l’épuration des femmes est-elle particulière en Bretagne (on inclut ici les cinq départements historiques) ?

Fabien Lostec, historien : « Afin de répondre à l’afflux de personnes arrêtées par la Résistance dès les premières heures de la Libération, les préfets ont recours à l’internement administratif. Les femmes représentent un tiers des 5 300 individus, au minimum, internés en Bretagne, comme ailleurs en France. Toutefois, elles forment un tiers des exécutés sommaires alors qu’elles ne représentent que 20% de ces derniers à l’échelle nationale. Ce qui confirme que la demande d’épuration les a particulièrement visées ».

Lancé le jeudi 24 octobre 2024, le colloque consacré aux victimes de 1944 en Bretagne s’est poursuivi ce vendredi, devant une centaine de personnes, tout au long de la journée, à la faculté de lettres et sciences humaines de Brest.
Lancé le jeudi 24 octobre 2024, le colloque consacré aux victimes de 1944 en Bretagne s’est poursuivi ce vendredi, devant une centaine de personnes, tout au long de la journée, à la faculté de lettres et sciences humaines de Brest. (Photo Le Télégramme/Maëlle Denis)

« Lorsque les faits sont établis, les individus sont transmis à la justice. Alors que les femmes représentent, en temps de paix, environ 10 % des justifiables au pénal, elles forment 40 % des individus jugés pour faits de collaboration en Bretagne. La durée de l’Occupation et le poids du co-contact quotidien avec l’occupant jouent ici clairement contre les femmes ».

Alors que les femmes représentent, en temps de paix, environ 10 % des justifiables au pénal, elles forment 40 % des individus jugés pour faits de collaboration en Bretagne

Quels éléments peuvent expliquer ce pourcentage ?

« Dans le Morbihan, par exemple, 97 % des individus qui vivaient dans la poche de Lorient et qui sont, par la suite, jugés sont des femmes. On aboutit alors à un taux exceptionnel, un record à l’échelle national, de deux femmes jugées pour un seul homme. C’est aussi du fait de la jurisprudence. Les magistrats morbihannais ont inventé un délit qui ne figure pas dans les textes de loi de l’épuration : le délit de collaboration sentimentale ».

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Quels types de faits sont reprochés aux femmes ?

« Les femmes sont moins durement sanctionnées que les hommes, car moins souvent jugées pour des faits relevant du collaborationnisme. Elles sont plus souvent jugées pour des faits nés d’une contrainte due à la proximité avec les Allemands. Ce qui les conduit à coopérer par peur, par lâcheté, par intérêt, par amour. On retrouve des délatrices, de collaboratrices sentimentales et des femmes qui ont travaillé pour l’occupant ».

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La mémoire collective associe souvent femme tondue et collaboratrice sentimentale…

« À l’échelle nationale, les collaboratrices sentimentales représentent en réalité 40 % des femmes tondues. Une part majoritaire des tontes sont appliquées à des femmes qui se voient reprocher les mêmes faits que des hommes. La tonte est bien davantage le châtiment sexué de la collaboration des femmes qu’une sanction envers les collaboratrices sexuelles ».

La tonte est donc bien davantage le châtiment sexué de la collaboration des femmes qu’une sanction envers les collaboratrices sexuelles

« Ces Françaises sont d’abord tondues parce qu’elles sont des femmes. En coupant les cheveux, symboles de la séduction, la volonté des hommes est bien d’humilier les collaboratrices en les privant de l’expression de leur féminité. Au moment où les femmes obtiennent le droit de vote, il leur est rappelé que leur corps ne leur appartient pas vraiment ».

* Fabien Lostec, docteur en histoire et chercheur à l’université Rennes 2, est l’auteur de la thèse « Condamnées à mort. L’épuration des femmes collaboratrices, 1944-1951 », publiée en 2024 aux éditions du CNRS.

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Source: https://www.letelegramme.fr/finistere/brest-29200/colloque-brestois-sur-les-victimes-de-1944-en-bretagne-ce-chercheur-a-decrypte-lepuration-des-femmes-collaboratrices-6690145.php

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