
Lancé en 2021, le luxueux projet de 116 logements seniors de la rue de Glasgow, à Brest, est abandonné par le promoteur Bouygues Immobilier, vaincu par l’opposition des riverains, la non-délivrance de permis de construire et le coût exponentiel de l’opération. Une catastrophe pour le propriétaire, l’association Maison Saint-Joseph, qui comptait vendre l’ancien Foyer de l’Adoration pour financer son nouvel Ehpad, déjà construit à Lambézellec.
Par Frédérique GUIZIOU.
Le Foyer de l’Adoration offre aux regards des passants, au 31 de la rue de Glasgow, à Brest, un spectacle de désolation. Éventré, squatté, dépouillé, l’ancien Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), propriété de l’association Maison Saint-Joseph, est dans un état catastrophique. Absolument impossible que cet immense immeuble dévasté puisse encore répondre à des situations d’urgence et héberger, comme en mai 2022, une centaine de réfugiés ukrainiens.
Squatteurs et « barbecues sauvages »
Par contre, son état ne décourage pas les squatteurs. Des riverains dénoncent « les SDF qui s’y sont installés à coups de pied de biche », les « voyous armés de rottweilers », les « barbecues sauvages », « les hurlements dans la nuit ».
Ils s’inquiètent aussi des départs de feu qui obligent les pompiers à intervenir régulièrement. Ils évoquent de « sérieux problèmes d’hygiène et de santé publique ». Et ils pointent « le sentiment de malaise » éprouvé après plusieurs altercations avec une bande de jeunes, « trop livrés à eux-mêmes », qui semblaient avoir installé leur QG aux abords de l’ancien Ehpad.
On est très loin de ce qui était prévu à la place : le projet immobilier Les Lauriers, une luxueuse résidence services pour seniors autonomes dans le centre-ville. Le chantier devait démarrer en 2022. Mais il est resté au point mort.
Pétition et recours contre le permis de construire
Dès l’annonce de ce projet « totalement privé », en juillet 2021, des riverains entraient en résistance. Et, constitués en collectif du jardin de l’Adoration, ils lançaient une pétition à plus de 800 signatures contre ce projet, qui « allait détruire un parc magnifique, riche d’une biodiversité rare en centre-ville ».
Plutôt réceptif, Bouygues Immobilier revoyait alors sa copie, promettant « une venelle verte, des jardins partagés et des espaces naturels préservés ». Des « aménagements verts à la marge », du « green washing » qui n’ont pas du tout convaincu ces riverains.
Lesquels, après une réunion publique, se sont ensuite opposés à la délivrance du permis de construire en déposant un recours gracieux auprès de François Cuillandre, maire et président de Brest métropole. Autant d’obstacles qui ont fait traîner les choses et retardé l’obtention du permis de construire final.
Bouygues Immobilier arrête les frais
Contactée, Delphine Cadour, la directrice générale de l’association Maison Saint-Joseph, avait expliqué, début septembre 2024, « attendre une prochaine réunion avec Bouygues pour finaliser et signer les dernières clauses de la vente immobilière ». Elle avait affirmé alors « ne pas du tout être au courant d’un désistement de la part du promoteur immobilier ».
Pourtant, mandatée pour commercialiser les 116 appartements aux prix (trop ?) élevés, l’équipe régionale de Groupama Immobilier avait, elle, déjà reçu, au bout de quelques mois pas vraiment fructueux de prospection de clientèle, la consigne de stopper ses efforts.
Car Bouygues Immobilier a décidé de se désengager totalement. Le promoteur a confirmé que « Bouygues Immobilier n’est plus partie prenante dans ce projet, qui n’est plus d’actualité. »
Ce promoteur a réalisé que le projet initial sur lequel il s’était engagé en 2021 n’était plus rentable, dans les conditions économiques actuelles. Ne serait-ce que sur le coût des matériaux, auquel se rajoutent les frais des changements architecturaux.
De plus, le service de l’urbanisme a refusé, en juin, d’accorder le permis de construire au projet retouché. Bouygues Immobilier a alors préféré verser un dédommagement au propriétaire plutôt que de conclure la vente. Après plus de quatre ans de négociations.
Une catastrophe pour l’association Saint-Joseph
Un coup de massue et une catastrophe pour l’association Saint-Joseph qui gère trois Ehpads, dont deux à Bourg-Blanc. Et un troisième, tout neuf, près du bourg de Lambézellec.
En septembre 2021, les résidents de l’Ehpad de l’Adoration, ont, en effet, quitté la rue de Glasgow, « qui ne répondait plus du tout aux normes de sécurité et aurait demandé des travaux lourds ». Ils se sont installés dans les deux résidences, toutes neuves, de l’Adoration et de Menez Bihan, dans un nouveau quartier de Lambézellec.
L’aboutissement de sept années de travail et un investissement de vingt millions d’euros pour l’association Saint-Joseph. Qui comptait évidemment sur les bénéfices de la vente de la rue de Glasgow pour retomber sur ses pieds. Cette vente devait leur « permettre de financer le transfert vers Lambézellec sans augmenter les loyers de leurs résidents ».
Institution d’abord dirigée par des religieuses, l’association Saint-Joseph, qui gère des maisons de retraite depuis 85 ans, se retrouve, sans repreneur, face à d’importantes difficultés financières. Et elle doit simultanément affronter la colère de voisins de l’Adoration, qui ne cessent d’alerter la sous-préfecture et la collectivité sur « les nuisances, l’insécurité, les troubles majeurs à l’ordre public engendrés par cette ténébreuse affaire ».
Les riverains demandent l’expulsion
En juin, à la suite d’un arrêté préfectoral, la police avait délogé les squatteurs de l’ancien Ehpad. Les riverains ne comprennent donc pas pourquoi l’association Saint-Joseph, redevenue l’unique propriétaire, n’a « pas encore muré les accès ni demandé une nouvelle expulsion ».
C’est l’occasion, pour le collectif de l’Adoration, de ramener sa vision pour un « projet différent, à l’échelle du quartier, qui réponde aux besoins de mixité sociale, de préservation de l’environnement et de lutte contre l’artificialisation des sols ». Mais qui pour matérialiser cette vision ?
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