« Contre moi, il n’y a rien » : la défense très personnelle de Nicolas Sarkozy au procès du financement libyen (H.fr-9/01/25)

L’ancien président français Nicolas Sarkozy quitte la salle d’audience pendant une pause au cours de son procès avec douze autres accusés de corruption et de financement illégal d’une campagne électorale liée au financement libyen présumé de sa candidature à l’élection présidentielle de 2007, au palais de justice de Paris, France, le 9 janvier 2025.
© Raphael Lafargue/ABACAPRESS.COM

Invité à s’exprimer, jeudi 9 janvier, devant le tribunal correctionnel, l’ancien chef de l’État a juré que « pas un centime d’argent libyen » n’avait servi à sa campagne de 2007. Une défense très personnelle, qui n’exclut pas que d’autres, y compris ses proches, aient pu profiter des largesses de Mouammar Kadhafi…

Par Alexandre FACHE.

Haussements d’épaules, yeux au ciel, et mimiques en tous genres fonctionnent toujours, chez Nicolas Sarkozy, comme de petites soupapes permettant de faire baisser sa pression intérieure. Mais rien ne marche mieux, face à la surchauffe qui vient, que de placer l’ancien chef de l’État devant un micro.

C’est ce qui est arrivé, après à peine une heure d’audience, ce jeudi 9 janvier, quand la présidente Nathalie Gavarino l’a invité à gagner la barre pour délivrer une « déclaration liminaire ». Agé de 69 ans, l’intéressé, déjà condamné à trois ans de prison, dont un ferme sous bracelet électronique, dans l’affaire des écoutes, est accusé cette fois d’avoir passé en 2005 un « pacte de corruption » avec le dictateur libyen Mouammar Kadhafi, afin qu’il finance sa campagne présidentielle de 2007. Des faits pour lesquels il encourt dix ans de prison et 375.000 euros d’amende.

« Vous ne trouverez pas un centime d’argent libyen dans ma campagne »

« Dix années de calomnies, 48 heures de garde à vue, 60 heures d’interrogatoire, 10 ans d’enquête, et maintenant 4 mois devant le tribunal correctionnel… » égrène sans un verbe Nicolas Sarkozy. Une litanie de chiffres, face auxquels se dresse selon lui un grand vide : « J’affirme que vous ne trouverez jamais, non pas un euro, mais pas un centime d’argent libyen dans ma campagne ».

Solennel à l’excès, celui qui s’est présenté, lundi, à l’ouverture du procès, comme « avocat » – et qui en a le savoir-faire -, assure ne vouloir que « deux choses : la vérité et le droit – si ce n’est pas un gros mot ». Volontiers obséquieux avec la présidente du tribunal, mais aussi plus affable qu’il y a trois jours avec les représentants du parquet national financier (PNF), Nicolas Sarkozy assure qu’il n’a « aucun compte à régler avec l’institution judiciaire, dont je sais pourtant qu’une partie m’a violemment combattu quand j’étais président ». « Naïf ou enthousiaste, je fais confiance », ose l’ancien président, dont la naïveté n’est probablement pas ce qui le qualifie le mieux.

Avant même le rappel des charges pesant sur lui et ses 11 co-prévenus dans ce procès, dont les trois anciens ministres Brice Hortefeux, Claude Guéant et Éric Woerth, l’ex chef de l’État a expliqué, s’aidant de grands mouvements de bras, être victime d’un « complot » fomenté depuis dix ans par « trois catégories d’escrocs ou de menteurs » : « d’abord le clan Kadhafi », et notamment « l’un de ses fils, personnage peu recommandable », bref « des assassins » qui ont expliqué « la main sur le cœur » avoir « toutes les preuves » (de ce financement) mais ne les ont jamais données. « Ils ne sont même pas d’accord sur les montants, et n’ont pas su même articuler le nom d’une banque ! » moque Nicolas Sarkozy.

La note libyenne de 2006 ? « Un faux grossier », selon le principal accusé

Deuxième catégorie de « menteurs », selon ce dernier : « ceux qui ont fabriqué et diffusé la soi-disant note libyenne », datée du 10 décembre 2006, qui évoquait un accord de financement à hauteur de 50 millions d’euros de la campagne de 2007. « Un faux grossier », qui, « comme par hasard, est sortie entre les deux tours de la présidentielle » suivante, en 2012, ironise l’ex président, sans jamais prononcer le nom de Mediapart, qui l’avait révélée.

Mais sans non plus faire l’économie de quelques injures. « Ces menteurs auraient pu donner l’original (de la note) au juge, pour l’authentifier, mais ils ont toujours refusé, au motif de la protection des sources », raille Nicolas Sarkozy, qui insiste : « Toute cette procédure commence par un faux. Fait par qui ? Et qui profite à qui ? »

La troisième catégorie d’escrocs – « et là je pense qu’on s’entendra sur le mot d’escroc » – qui explique, selon Nicolas Sarkozy, sa présence devant le tribunal, tient en un seul nom : « Ziad Takieddine ». Cet intermédiaire libanais a donné au cours de l’enquête « 16 versions » différentes, et il est « en fuite », rappelle le prévenu. « Mieux, il se moque de vous magistrats en affirmant à une journaliste, il y a quelques jours, qu’elle lui avait ”appris” l’existence de ce procès », tacle l’accusé, qui assure : « Je ne sais pas pourquoi cet individu me poursuit d’une haine tenace ».

Un quatrième cercle de maladroits et d’incompétents ?

En bon avocat de sa propre cause, Nicolas Sarkozy rappelle que sa campagne électorale de 2007 a déjà été épluchée par « le juge Gentil, qui n’a de gentil que le nom », lequel soupçonnait un financement occulte par Liliane Bettencourt, milliardaire et première actionnaire de l’Oréal. Dossier dans lequel l’ancien président a obtenu un non-lieu.

« Ma campagne est la seule au monde qui a été ”lasérisée” deux fois ! C’est un record du monde ! » s’emporte l’ancien président de l’UMP. « On dit que la justice manque de moyens, mais avec moi, ce n’est pas le cas ! » cingle-t-il, suscitant quelques rires dans la salle.

« Qu’a-t-on trouvé, après 59 commissions rogatoires, dans 25 pays différents, et des centaines de personnes interrogées ? Rien, en ce qui me concerne », insiste Nicolas Sarkozy. « Il n’y a pas d’argent de la corruption, parce qu’il n’y a pas eu de corruption du candidat », conclut-il, laissant volontiers transparaître sa « colère ».

« Rien en ce qui me concerne » ; « pas de corruption du candidat ». Deux expressions qui témoignent en creux d’une défense très personnelle du mis en cause, et suggèrent que des erreurs, voire des fautes, ont pu être commises par d’autres dans ce dossier, y compris par ses très proches. En plus des trois cercles de « menteurs et d’escrocs » décrits par Nicolas Sarkozy, il suggère qu’il a pu y avoir, autour de lui, un dernier cercle – de maladroits et d’incompétents ? – qui aurait caché au candidat à la présidentielle ses basses œuvres auprès du régime libyen de Mouammar Kadhafi.

Lâchés, Brice Hortefeux et Claude Guéant ne répliquent pas… pour l’instant

Cette façon de lâcher sans le dire ses pourtant fidèles lieutenants Brice Hortefeux et Claude Guéant ne doit pas étonner. Devant les magistrats instructeurs, Nicolas Sarkozy ne s’était pas gêné pour les « charger »,pointant à plusieurs reprises leurs « erreurs » ou leur « manque de discernement ».

Jeudi, les deux hommes, assis à sa gauche sur les strapontins des prévenus, n’ont pas paru en vouloir à leur ancien « patron » et se sont contentés, à la barre, de nier l’existence de tout « pacte de corruption ». « Je vous le dis avec une grande lassitude et une grande colère, rien ne justifie que je sois ici devant vous », a lancé Brice Hortefeux. « Je n’ai jamais bénéficié d’argent libyen, je n’ai jamais sollicité d’argent libyen, je n’ai jamais vu circuler d’argent libyen », a aussi scandé Claude Guéant.

Le procès se poursuivra la semaine prochaine avec l’audition des premiers témoins.

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Source: https://www.humanite.fr/politique/corruption/contre-moi-il-ny-a-rien-la-defense-tres-personnelle-de-nicolas-sarkozy-au-proces-du-financement-libyen

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/contre-moi-il-ny-a-rien-la-defense-tres-personnelle-de-nicolas-sarkozy-au-proces-du-financement-libyen-h-fr-9-01-25/

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