ENQUÊTE. Espèce invasive qui menace la rade de Brest, la spartine est en plein essor (OF.fr-19/04/24)

Un exemple de ce qui a été fait pour lutter contre l’invasive spartine : des bâches sont posées pour lutter contre la propagation de la plante. Ici, au Faou, le long du chemin de la Grève au printemps 2023. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

La progression rapide de la spartine alterniflore représente une menace importante pour la biodiversité et le patrimoine écologique des marais de la rade de Brest. Des opérations d’envergures ont été menées contre cette plante exotique invasive avec toutefois des succès limités. Nouveau volet de notre enquête consacrée à Brest face aux enjeux climatiques.

Par Sabine NICLOT-BARON.

La rade de Brest (Finistère) est un vrai paradis pour la spartine ! En quelques années, cette plante invasive qui pousse dans les zones de marais salés, a proliféré au point de bouleverser tout l’écosystème de la grande baie de la pointe bretonne et les rivières qui s’y jettent, Aulne et Elorn.

Les scientifiques ont bien tenté de l’éradiquer depuis une dizaine d’années. Rien n’y a fait. Adaptée au milieu marin, elle croit parfaitement dans les zones à forte salinité, aux dépens d’autres plantes. De plus, la spartine est capable de pousser sur des substrats variés (sable, limon, galets, argile, graviers, boue…) et survivre à une immersion complète dans l’eau pendant plusieurs heures.

Un vrai fléau qui serait apparu depuis une cinquantaine d’années et touche maintenant l’ensemble de la rade de Brest et ses rivières affluentes.

L’aulne et l’Elorn touchés

En modifiant le cycle des éléments nutritifs, l’hydrologie, les dépôts de sédiments, la plante invasive transforme les vasières ouvertes. Sa progression est tellement foudroyante qu’on peut la constater d’années en années, comme c’est particulièrement le cas à Rosconnec dans la commune de Dinéault, à l’embouchure de la Douffine et de l’Aulne.

Dans ce méandre de rivière maritime, les zones de roseaux laissent peu à peu la place aux « ronds » de spartine qui grignotent du terrain. Jusqu’à devenir zone de pâturage, l’été, pour les troupeaux alentour. Un phénomène bien connu des scientifiques : « le remplacement des vasières ouvertes de l’estran par des prairies élevées » (1).

Risque accru d’inondations

Autre impact avéré : l’accumulation de sédiments qui modifient la circulation de l’eau lors des marées.

Sa présence à l’embouchure d’un estuaire ou dans des zones de rivières maritimes diminue le débit de l’eau. Ceci entraîne une augmentation de la probabilité d’inondation, en particulier durant les périodes de forte pluie coïncidant avec des marées supérieures à la moyenne (2).

Comblement des vasières

L’important système racinaire et les stolons (tige souterraine s’enracinant et d’où naît un nouveau pied de la plante) forment « une couche épaisse», commente Anna Capietto, chargée de mission biodiversité au Parc naturel régional d’Armorique. Laquelle retient la vase. Or, chaque rhizome peut progresser en moyenne d’un mètre par an !

Le déplacement des graines sur de moyennes et longues distances est possible aussi par les courants marins ou les animaux.

Selon plusieurs études menées en Angleterre, les chaumes et les feuilles inférieures au niveau du sol « freinent les courants de marées » en retenant limons et particules solides. Ceci accélère les phénomènes d’envasement et d’ensablement pour aboutir « à une modification importante du milieu ».

Un impact sur la biodiversité

Ainsi, la progression de la spartine se fait au détriment des poissons et des oiseaux comme le chevalier aboyeur ou le bécasseau variable. Ces hôtes de l’estran deviennent particulièrement vulnérables avec des aires de nourrissages réduites.

Du côté de la flore, ce n’est pas mieux. Les plantes autochtones des prés-salés bretons comme l’obione, les salicornes, l’aster maritime ou la petite lavande de mer (aussi appelé « petit statice ») qui trouve refuge sur des substrats de graviers, ont bien du mal à résister…

Cette plante locale protégée, suivie par le Conservatoire botanique national de Brest, est en passe de disparaître.

La petite lavande de mer, aussi appelé « petit statice », ici entourée de spartine, a bien du mal à résister à l’envahisseuse… | ARCHIVES OUEST-FRANCE / FRANÇOIS LE BOT

On assiste alors à une homogénéisation des milieux qui se transforment en prairies ce qui contribue à une diminution de la biodiversité par la diminution de richesse des lieux de vie pour la faune. « L’estran vaseux se creuse de larges sillons avec des berges abruptes plus sensibles aux risques d’effondrements. »

L’espèce modifie aussi les propriétés physico-chimiques du milieu par la décomposition des sédiments ce qui entraîne un enrichissement de l’eau en nitrates, sulfures et minéraux, et l’apparition de nouvelles plantes plus adaptées.

Freiner la propagation

Si tout espoir d’éradication de l’espèce invasive est écarté, des opérations conduites par le Parc naturel régional d’Armorique (PNRA) ont été lancées depuis plusieurs années pour freiner sa propagation.

Entre 2021 et 2023, une vingtaine de chantiers ont été menés contre la spartine sur plusieurs sites classés Natura 2000 de la rade de Brest et de l’estuaire de l’Aulne.

Une opération d’arrachage et de creusement de rigoles, une tâche longue et difficile qui ne peut s’effectuer que manuellement, à la bêche, afin de limiter l’extension de la spartine. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

«Le bâchage sur de grandes surfaces durant trois ans a donné de bons résultats, résume Anna Capietto. Nous constatons qu’une fois la bâche retirée, la spartine n’a pas repoussé. » Cependant, l’action, lourde et compliquée, reste forcément limitée. Sur les 96 ha de spartine cartographiés, seul 1% ont déjà pu être traités et il est encore trop tôt pour connaître son impact dans le temps.

L’arrachage ? Cette solution a déjà été testée aux Pays-Bas, avec des résultats peu probants car la plante colonise l’estran en épaisseur et un seul rhizome peut recontaminer tout un site.

Reste la solution de la délimitation, via des barrières anti-rhizomes, avec la pose d’une gaine destinée à limiter l’expansion des herbiers. Ce dispositif a permis la sauvegarde d’herbiers de petit statice en rade de Brest. Une opération qui ne peut être que très localisée.

Originaire d’Amérique du Nord

Spartina alterniflora est inscrite sur la liste des espèces exotiques invasives présentes en Bretagne. La plante est originaire d’Amérique du Nord où elle est naturellement présente des côtes de l’Atlantique à la partie nord du Golfe du Mexique. Avec une large couverture géographique. On la retrouve aussi dans les climats plus froids de Terre-Neuve et du Labrador au Canada, et dans les zones plus chaudes du Texas aux États-Unis.

L’origine de son introduction dans le milieu européen est discutée, mais remonterait à plusieurs siècles, aux premiers échanges avec les Amériques.

Selon une étude de Valhor, l’Interprofession française de l’horticulture, de la fleuristerie et du paysage, « sa présence est déjà décrite dans le Sud-Ouest de la France, près de Bayonne en 1807, par le médecin et botaniste français Jean-Louis-Auguste Loiseleur-Deslongchamps ». Lequel attribue la présence de la plante invasive par les bateaux et notamment « l’utilisation de ballasts d’expédition ».

Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on retrouve aussi la présence de Spartina Alterniflora à la même période dans les zones portuaires du Sud de l’Angleterre, et plus particulièrement la région de Southampton.

Une « plante utile » devenue invasive

Dans les lieux d’introduction, en Angleterre et en France, Spartina alterniflora s’est hybridée avec une espèce locale, la Spartina maritima pour donner deux nouvelles hybrides à la croissance très vigoureuse : Spartina anglica et Spartina townsendii en hommage au botaniste anglais Frederick Townsend.

La dissémination des deux hybrides a été rapide, et même encouragée par l’homme puisqu’elle était perçue au départ comme une « plante utile ». Dans les îles britanniques, la spartine de Townsend a été plantée pour la récupération de terres, la protection côtière et l’alimentation animale, et ce, jusqu’en Nouvelle-Zélande.

En Europe, la plante hybride sous ses deux versions très proches est désormais présente des côtes du Danemark jusqu’aux côtes sud-ouest de la France, ainsi que sur toutes les zones côtières de l’Angleterre et de l’Irlande. La cartographie de l’espèce mise à jour peut être consultée sur le site de l’INPN du Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris.

(1) Crooks 2002. Characterizing Ecosystem-Level consequences of Biological Invasions : The Role of Ecosystem Engineers.

(2) Ebasco Environmental, 1993, Noxious emergent plant environmental impact statement. Final Report, submitted to Washington State Department of Ecology, Olympia.

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Source: https://www.ouest-france.fr/environnement/environnement-en-finistere/enquete-espece-invasive-qui-menace-la-rade-de-brest-la-spartine-est-en-plein-essor-5ea96860-6750-11ee-a5bb-3c3a0f3f3a5e

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/enquete-espece-invasive-qui-menace-la-rade-de-brest-la-spartine-est-en-plein-essor-of-fr-19-04-24/



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