Des outils pour répondre aux manipulations de l’extrême droite
Samedi 21 septembre, le corps sans vie de Philippine, étudiante de 21 ans, était retrouvé dans le bois de Boulogne. La victime avait été violée avant d’être assassinée. Il s’avère que le criminel avait non seulement déjà été condamné pour viol, mais qu’il est ressortissant marocain.
Derrière la tragédie insoutenable, une récupération politico-médiatique aux rouages désormais bien huilés s’est immédiatement mise en route. Le nouveau ministre de l’Intérieur d’extrême droite, qui n’en demandait pas tant, s’est précipité sur cette affaire, faisant ainsi oublier qu’il est illégitime. Les médias, à l’unisson, ont mis en lumière l’affaire plus que tous les autres cas de féminicides des derniers mois, imposant l’idée mensongère que les viols seraient majoritairement commis par des étrangers. Des groupes néofascistes ont récupéré ce décès pour organiser des manifestations dans plusieurs villes de France.
Quelques rappels utiles dans cette atmosphère irrespirable.
Les ennemis de toujours des droits des femmes se réveillent quand l’agresseur est étranger
Parmi les premiers à monter au créneau : le parti néofasciste Reconquête d’Éric Zemmour, qui s’est hâté d’imprimer des affiches et qui a appelé à des rassemblements. Éric Zemmour est justement l’un des plus grands misogynes de notre époque. Le 6 mai 2024 en Corse il donnait, devant la presse, un coup de poing dans le dos d’une femme venue l’interpeler. Un geste qui en dit long sur la violence décomplexée du politicien à l’égard des femmes et de leur intégrité physique.
Éric Zemmour, rappelons-le, a lancé sa carrière par un pamphlet misogyne paru en 2006, «Le premier sexe», qui lui a donné accès aux plateaux de télévision. Ce dernier y déplorait la «perte de virilité» des hommes, qui préférèrent des «valeurs féminines», par exemple «la paix pas la guerre, le consensus pas l’autorité». Pour Éric Zemmour, «le consentement mutuel est un mythe» et «la virilité va de pair avec la violence». Éric Zemmour surtout, est accusé de viols et d’agressions sexuelles par 8 femmes. Voilà qui prétend défendre une jeune femme victime de la violence d’un homme.
Bruno Retailleau, nouveau ministre de l’Intérieur qui multiplie les déclarations fracassantes à propos de cette affaire, a passé toute sa vie à combattre les droits des minorités sexuelles et l’émancipation des femmes. Contre le mariage pour tous en 2013, contre la constitutionnalisation de l’IVG l’an dernier, lié à l’extrême droite catholique traditionaliste. De même que le Premier Ministre Barnier, qui a voté contre le remboursement de l’IVG en 1982 et contre la création d’équipes médico-sociales chargées d’accueillir les victimes de violences sexuelles. Cette droite qui a toujours voulu soumettre les femmes devient soudainement féministe quand l’agresseur est maghrébin.
On trouve aussi, derrière les mobilisations pour Philippine, le groupuscule Nemesis, qui se proclame «féministe identitaire» et arpente les plateaux télé pour affirmer que le problème principal des femmes serait l’immigration. En novembre 2021, on retrouvait Nemesis avec des groupes fascistes armés qui attaquaient une manifestation féministe à Paris. Ce collectif, proche de Génération identitaire, milite avec Adrien Lasalle, militant d’extrême droite lyonnais. Ce dernier gère une salle de boxe identitaire et a été arrêté pour avoir poignardé deux hommes en juillet 2022. Adrien Lasalle est également mis en cause pour viol. Le 24 septembre 2021, une étudiante de «l’école» privée d’extrême droite créée par Marion Maréchal Le Pen, l’ISSEP, avait porté plainte contre lui. La plaignante indiquait qu’il l’aurait agressée chez elle et avait ensuite dénoncé le «harcèlement moral» de l’ISSEP pour la faire taire.
Enfin, parmi les médias qui récupèrent la mort de Philippine, on trouve ceux de Bolloré, qui critiquent à longueur d’année #MeToo, le «wokisme» et le «néoféminisme», et défendent des agresseurs. Voilà les nouveaux défenseurs des femmes.
Les vrais chiffres des crimes sexuels et sexistes
Le 18 septembre 2024, le collectif Nous Toutes dénombrait 100 féminicides depuis le début de l’année. Il y en avait 135 en 2023. Une femme est tuée tous les deux à trois jours en France, sans que l’extrême droite ne descende dans la rue. Pourquoi la mort de Philippine, aussi atroce soit-elle, est-elle un sujet national, alors que les 100 précédentes victimes de l’année ne l’ont pas été, au grand dam des militantes féministes ?
Autres chiffres terribles : dans 91% des cas de violences sexuelles, les femmes connaissent les agresseurs. Et 70% des plaintes pour violences sexuelles sont classées sans suite.
Autrement dit, les féminicides ou viols commis par d’illustres inconnus dans la rue sont très médiatisés, mais ils restent l’exception dans un océan de crimes patriarcaux. Certains répondront que dans le cas de Philippine, l’homme était connu de la justice et aurait pu être arrêté avant. C’est vrai. Mais comme dans de nombreuses autres affaires.
Le 2 février 2024, à Sanary-sur-Mer, dans le Var, la police est intervenue suite à l’appel d’une femme âgée de 64 ans, qui dénonçait des violences commises par son mari. Les agents avaient saisi plusieurs armes détenues illégalement dans la maison, mais avaient laissé le mari libre et étaient repartis. Celui-ci avait assassiné sa femme quelques minutes plus tard. L’affaire, atroce, n’avait pas suscité de controverse nationale sur le «laxisme» de la police.
En 2020, une enquête du monde révélait que «35 % des féminicides ont été perpétrés alors que les victimes avaient déjà subi des violences physiques, psychologiques et / ou sexuelles. Environ 75% de ces femmes avaient déposé une plainte auprès des forces de l’ordre, soit environ 18% de l’ensemble des victimes d’homicides conjugaux».
Les policiers eux-mêmes, chargés en principe d’empêcher les violences sexistes, en commettent un grand nombre, comme le rappelle le livre édifiant de Sophie Boutboul coécrit avec Alizé Bernard : “Silence on cogne”, aux éditions Grasset. Comme le 23 février 2020, quand un policier de la bac a tiré sur son ex-femme avec son arme de service. Ces violences sont favorisées par le sentiment de domination, et bien plus encore par le régime d’exception et la protection dont les policiers bénéficient.
La parole des victimes ignorée
Avant Philippine, l’assassin avait déjà été condamné pour le viol d’une femme en 2021. Cette première victime a envoyé une lettre à l’AFP. Elle écrit : «Philippine aurait pu être ma sœur. Je ne peux être sa voix, je ne suis que la mienne. La parole que je porte se joint à celle des femmes qui ont lutté et luttent encore aujourd’hui contre les violences sexistes et sexuelles».
«Quand bien même cette OQTF aurait été respectée, quels dispositifs de coopération internationale existent pour prévenir la récidive de crimes sexistes et sexuels de criminels expulsés ? Notre fraternité, notre humanisme, ne peut pas s’arrêter aux portes de nos frontières».
Cette première victime, plutôt que de réclamer vengeance et expulsions de masse, appelle à la création d’une «commission d’enquête sur la prévention de la récidive dans les cas de crimes sexuels et sexistes». Elle précise : «Un homme qui viole une femme est dangereux. Qu’il soit inconnu de sa victime ou son mari, qu’il soit étranger ou français, que le viol ait eu lieu dans une forêt ou dans un appartement conjugal».
Des paroles fortes, justes et dignes, très loin des cortèges racistes et des récupérations qui pullulent ces derniers jours. Une parole qui n’intéressera pas l’extrême droite ni les médias des milliardaires.
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