
Le procès sur les soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de 2007 entre cette semaine dans sa dernière phase. De mardi à jeudi, le Parquet national financier prononcera son réquisitoire, basé sur deux mois et demi de denses débats.
Par Florent Le DU.
Dès ses premiers mots à la barre, il y a déjà deux mois et demi, un Nicolas Sarkozy vociférant donne le ton, dans des mimiques théâtrales : « Dix années de calomnies ! Quarante-huit heures de garde à vue ! Soixante heures d’interrogatoire ! Dix ans d’enquête ! » Pour l’ancien président de la République, ce procès sur des soupçons de financement libyen de sa campagne de 2007 est une indignité. Il l’a fait savoir tout au long des débats, jusqu’à leur conclusion jeudi 19 mars : « J’ai été trop confiant. (…) Jamais je n’aurais imaginé que je me retrouverais en situation de prévenu », lâche-t-il la voix tremblante, feignant de reconnaître une « erreur ».
Entre-temps, et avant les réquisitions du Parquet national financier (PNF), qui débutent ce mardi jusqu’à jeudi, les débats ont exploré l’hypothèse d’un éventuel pacte de corruption conclu, fin 2005, entre Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi. De nombreux éléments ont été soumis aux prévenus, dont la défense aura souvent été approximative, voire contradictoire.
La genèse : deux « guets-apens » à la suite ?
Brice Hortefeux et Claude Guéant jouent les ingénus. À d’innombrables reprises, ces deux fidèles lieutenants (alors ministre délégué et directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur Sarkozy) assurent avoir été « piégés » lors de leurs déplacements en Libye, fin 2005. Tous deux y ont rencontré un certain Abdallah Senoussi, beau-frère du Guide, qui cherche alors à lever le mandat d’arrêt qui pèse sur lui depuis sa condamnation à perpétuité, par la justice française, pour avoir commandité l’attentat contre l’avion DC-10 d’UTA qui a fait 170 morts en 1989. Selon l’accusation, les deux Français auraient été dépêchés sur place pour mettre au point un accord en ce sens avec le régime de Mouammar Kadhafi.
Des rencontres volontairement secrètes et décisives réalisées en dehors du protocole diplomatique et sans jamais en informer Nicolas Sarkozy a posteriori. Pour protéger Nicolas Sarkozy, comme ils l’assurent à la barre ? Claude Guéant et Brice Hortefeux affirment chacun avoir été victimes d’un « guet-apens », n’imaginant pas devoir rencontrer, sur place, un terroriste. Ce que contredisent des notes de Ziad Takieddine, le sulfureux intermédiaire présent lors de ces déplacements.
Interrogé à son tour, Nicolas Sarkozy assure n’avoir jamais parlé de financement de campagne avec le leader libyen, rencontré en octobre 2005 (entre les deux visites de ses lieutenants). Il s’empresse de se désolidariser de ses amis, à qui il reproche leur « naïveté », leurs « erreurs » et leur proximité avec Ziad Takieddine : « Que les autres s’expliquent », lâche-t-il. Sachant que le chef d’accusation d’« association de malfaiteurs » pourrait permettre de le condamner même sans preuve matérielle de son implication directe, l’ancien président de la République se détache autant que possible des autres prévenus. Y compris les plus fidèles.
La mécanique des flux financiers
En 2006, 6,5 millions d’euros provenant du fonds souverain libyen apparaissent sur des comptes appartenant à Ziad Takieddine. L’intermédiaire en aurait décaissé la majeure partie. Mais 440 000 euros sont aussi retrouvés sur un compte aux Bahamas appartenant à Thierry Gaubert, vieil ami de Nicolas Sarkozy.
À la barre, celui-ci est apparu extrêmement confus, affirmant que cette somme était en fait destinée à un ami pour la construction d’une maison en Colombie. « On a l’impression qu’à chaque fois qu’on vous pose des questions, de nouveaux détails surgissent », s’étonne la présidente du tribunal, Nathalie Gavarino. Alors que pendant l’enquête, il ne savait dire pourquoi il avait noté « Ns Campagne » sur son agenda à la date de réception des 440 000 euros, il assure désormais qu’il s’agit d’une référence à « un article de l’Express » sur l’entrée dans la course à l’Élysée de son acolyte.
« Rocambolesque », pour le procureur, qui n’a pas davantage avalé les justifications d’Éric Woerth, trésorier de la campagne de 2007, sur les dizaines de milliers d’euros en liquide retrouvés au siège du parti. Il assure que l’argent venait de mystérieuses enveloppes, probablement transmises par des militants préférant rester discrets, ne comprenant « rien de plus » que des billets, pas même un nom, qu’il a ensuite redistribués à ceux qui avaient « bien travaillé ».
Le carnet qui fait bégayer Sarkozy
Le 10 février, la salle d’audience du tribunal correctionnel de Paris connaît un moment de tension rare. Un document, possiblement déterminant pour l’issue de ce procès, est lu devant des prévenus tendus et embarrassés. Il s’agit du journal de l’ancien ministre du Pétrole libyen Choukri Ghanem. Un homme retrouvé mort dans le Danube le 29 avril 2012, au lendemain de la publication par Mediapart d’une note officielle ordonnant à Bachir Saleh, directeur du fonds souverain libyen, l’envoi de fonds vers les équipes de Nicolas Sarkozy.
À la date du 27 avril 2007, Choukri Ghanem écrit : « J’ai déjeuné chez Bachir Saleh (…) il affirme avoir payé 1,5 million d’euros à Nicolas Sarkozy. Quant à Saïf (Al Islam Kadhafi – NDLR), il lui a envoyé 3 millions d’euros. Abdallah Senoussi lui a également convoyé 2 millions d’euros. »
Un camouflet pour l’ex-chef de l’État. Lui qui a toujours clamé, y compris ce 10 février quelques minutes plus tôt, que le régime libyen avait « tout inventé » en mars 2011 en réponse au soutien de la France aux forces rebelles se voit publiquement contredit. Face à ce document dont il ne peut « contester l’authenticité », le prévenu finit même par lâcher un aveu contredisant treize ans de défense : « Je sais parfaitement qu’il y a des indices graves, mais ils ne sont pas concordants. »
Ziad Takieddine, seul contre tous ?
Quelques minutes après la lecture du carnet de Choukri Ghanem, le procureur Quentin Dandoy prend la parole pour remarquer « une correspondance assez troublante entre les montants indiqués et les virements libyens sur le compte de Ziad Takieddine ». « Ça ne me concerne pas », assure avec aplomb Nicolas Sarkozy. Il préfère s’attarder sur un autre passage du fameux journal où Choukri Ghanem écrit au sujet de ceux qui auraient envoyé des fonds : « On leur a dit que l’argent n’était pas arrivé, il semblerait que les mecs en chemin l’ont détourné. » L’ancien président décide alors d’adopter un nouvel axe de défense. Pour lui, Ziad Takieddine a « été capable de faire croire aux Libyens qu’il pouvait beaucoup de choses, qu’il était très implanté en France. Elle est là, l’escroquerie. Et ils se sont fait avoir ».
Ce changement de plan a surtout pour effet de démontrer la faiblesse de la défense des prévenus. Cette théorie de l’escroquerie sortie du chapeau impliquerait que les Libyens étaient de bonne foi, soit l’inverse de ce que soutiennent les prévenus depuis treize ans. Une thèse « invraisemblable », estime le PNF, qui s’étonne qu’aucun dignitaire libyen n’ait alerté les Français de la disparition de millions d’euros – auquel cas ceux-ci auraient découvert l’arnaque de Ziad Takieddine. Dans l’hypothèse où l’intermédiaire libanais aurait escroqué Nicolas Sarkozy, Claude Guéant et Brice Hortefeux, pourquoi aurait-il versé 440 000 euros à Thierry Gaubert, proche des trois hommes ?
Des contreparties notables
Un « coup de poignard ». C’est comme cela que Nicoletta, fille d’une victime de l’attentat du DC-10, a vécu la réception en grande pompe à l’Élysée de Mouammar Kadhafi par Nicolas Sarkozy, en décembre 2007. Ce 23 janvier, comme elle, une dizaine de proches se succèdent à la barre pour témoigner de leur sentiment de « trahison ».
Le moment le plus émouvant du procès. Nicolas Sarkozy, lui, reste de marbre et assure que cette réception qui réhabilite un dictateur jusque-là exclu du concert des nations n’a rien d’une contrepartie à un éventuel financement de sa campagne de 2007.
De même, il nie avoir envoyé son ami et futur avocat Thierry Gaubert en Libye rencontrer Abdallah Senoussi afin de l’aider à lever son mandat d’arrêt international. « À cette date, il était l’avocat des chiraquiens de l’hôtel de ville de Paris », pique-t-il pour se dédouaner.
Parmi les autres contreparties possibles, le tribunal a rappelé les nombreux accords commerciaux conclus entre Tripoli et des entreprises françaises, entre fin 2007 et 2008. Il s’est aussi attardé sur le projet d’usine de dessalement d’eau de mer, validé par le président en personne, nécessitant la construction d’un réacteur nucléaire. Un projet auquel s’était opposée Anne Lauvergeon, alors présidente d’Areva. Entendue comme témoin à la barre, elle assure que Nicolas Sarkozy a insisté, à son grand étonnement, pour que du nucléaire civil soit introduit en Libye, malgré tous les risques que cela comportait.
Les bonnes affaires de Claude Guéant
Grossier, irrespectueux envers le tribunal, affabulateur, Alexandre Djouhri aura animé à lui seul ces dix semaines de débats. L’intermédiaire franco-algérien est considéré comme un homme clé de l’affaire, notamment en ce qui concerne les soupçons d’enrichissement personnel qui pèsent sur Claude Guéant. Selon l’accusation, il a mis au point un montage financier opaque permettant à l’ancien ministre de toucher 500 000 euros en mars 2008. Claude Guéant affirme que cette somme est le fruit de la vente de deux tableaux qui valent pourtant dix fois moins.
À l’audience, le PNF projette sur grand écran le parcours de ce demi-million d’euros. Le compte du prétendu acheteur des tableaux a été aussitôt approvisionné du même montant par un compte géré, depuis Genève, par Wahib Nacer, un proche d’Alexandre Djouhri. Lequel compte a été rempli par une société appartenant à l’intermédiaire franco-algérien, après réception des flux provenant du fonds souverain libyen. Une coïncidence ? « Si j’avais eu la connaissance de cet élément, je n’aurais pas vendu les tableaux », jure Claude Guéant. L’ancien secrétaire général de l’Élysée ne comprend pas comment son RIB, provenant d’un talon de chéquier, a pu se retrouver dans un coffre-fort appartenant à Alexandre Djouhri : « Un chéquier, ça se perd. »
Il se souvient bien, en revanche, avoir accepté en 2006 le don d’Alexandre Djouhri d’une luxueuse montre Patek Philippe. Un gage « d’amitié », prétendent les intéressés, qui ne s’étaient quasiment jamais croisés auparavant. Pour l’accusation, il s’agit du premier acte d’une série de compromissions de Claude Guéant avec l’intermédiaire, dont un appui destiné à apurer la dette fiscale de ce dernier.
Car dans cette affaire, les intérêts personnels semblent s’enchevêtrer dans des accords secrets et des montages financiers opaques. D’ici jeudi, les procureurs du PNF tenteront de relier ces éléments afin de prouver qu’un pacte de corruption a bien été scellé entre un dictateur et un futur président de la République française.
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