Menacé de censure par le NFP et le RN, Michel Barnier a fait le choix de céder aux demandes de l’extrême droite de Marine Le Pen en actant un recul sur l’aide médicale d’État (AME). La gauche dénonce un déshonneur.
Par Anthony CORTES.
Pour sauver sa peau, Michel Barnier accepte de vendre son âme à l’extrême droite. Depuis qu’il a annoncé sa volonté d’engager la responsabilité du gouvernement en appliquant l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter à la fois le budget de l’État et celui de la Sécurité sociale, le premier ministre manque d’air.
À ses trousses, l’ensemble des forces du NFP menacent de le censurer, révoltées par le caractère austéritaire des deux textes comme par le contournement du Parlement. « Il faut une censure rapide ! tonne Ian Brossat, sénateur communiste et porte-parole du PCF. Ce gouvernement n’a aucune légitimité pour appliquer cette politique. Il faut protéger les Français de ce gouvernement de forcenés. » « Le premier ministre préfère tomber que discuter. Nous ne le sauverons pas ! », promet Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Écologiste et social à l’Assemblée nationale.
C’est vers le Rassemblement national que le gouvernement a fait le choix de se tourner ce jeudi pour se donner du souffle, en lui offrant un lot de « victoires », comme revendiqué par Jordan Bardella. Baisse des soins pris en charge par l’aide médicale d’État (AME) pour les sans-papiers, suspension de la hausse envisagée sur l’électricité, réflexion sur la proportionnelle… Pour le gouvernement, tout est bon pour éviter la chute promise.
« Michel Barnier ajoute le déshonneur à la faiblesse »
Depuis quelques jours, l’extrême droite, vexée de voir ses « lignes rouges » être ignorées par l’exécutif, laissait fortement entendre que ses troupes pourraient mêler ses voix à celles de la gauche pour censurer le gouvernement. « Aucune de nos mesures n’a été, même hypothétiquement, inscrite dans la proposition budgétaire du gouvernement », dénonçait encore Marine Le Pen, ce jeudi, dans le Figaro.
« On a donné sa chance à Michel Barnier, et finalement, il n’a rien négocié avec le RN ! » surenchérissait dans la foulée Sébastien Chenu, député RN du Nord, chez LCI. Pour le gouvernement, l’heure a rapidement été à la panique. En guise de réaction, tôt ce jeudi, le ministre de l’Économie et des Finances, Antoine Armand, amorçait déjà la reculade à venir, déclarant être prêt à faire « des concessions » sur les textes budgétaires afin d’éviter la « tempête » économique et financière qu’entraînerait selon lui la chute du gouvernement.
Quelques heures plus tard, Michel Barnier passe lui-même aux actes. Dans un premier temps, il annonce au Figaro qu’il décide « de ne pas augmenter les taxes sur l’électricité dans le projet de loi de finances 2025. Cela permettra une baisse des prix de l’électricité de 14 %, qui ira donc bien au-delà de la baisse de 9 % prévue initialement ». Et d’une ligne rouge en moins, dont le RN tire les marrons du feu, alors que le NFP l’exigeait aussi.
Puis, le premier ministre va plus loin, annonçant s’attaquer à l’AME, symbole de l’obsession de l’extrême droite contre les sans-papiers. « Nous n’allons pas la supprimer, mais le panier de soins pris en charge va être sensiblement diminué, dévoile-t-il. En outre, nous allons engager dès l’an prochain une réforme de l’AME pour éviter les abus et les détournements. »
Enfin, pour contenter davantage l’extrême droite, le premier ministre précise avoir demandé une évaluation sur « toutes les options possibles » pour « introduire la proportionnelle dans le scrutin législatif ». Là encore en suivant une revendication de longue date du RN, et en ignorant les travaux de la gauche sur le sujet. « Nous serons en mesure de présenter un projet de loi au début du printemps, dès que le calendrier législatif nous le permettra », promet-il alors. Michel Barnier a également confié vouloir trouver un compromis sur la question de la hausse des cotisations patronales, ce dont s’est réjoui Jordan Bardella.
Sans surprise, ces offrandes accordées à l’extrême droite font bondir la gauche, qui y voit une preuve de la fragilité du gouvernement, comme de sa démission morale. « Barnier offre une victoire immense à l’extrême droite, en particulier avec ses propos sur l’AME, déplore Sarah Legrain, députée FI de Paris. Quelle sera la prochaine étape ? Leur promettre de jeter les migrants à la mer ? Barnier ajoute le déshonneur à la faiblesse. À la fin, il ne récoltera que la censure. Même en cédant au RN. » « C’est un gouvernement aux abois condamné à faire des œillades à l’extrême droite, dénonce Ian Brossat. Concernant l’AME, c’est un scandale et une fausse économie uniquement pensée pour faire plaisir à l’extrême droite dont les conséquences sanitaires seront terribles. L’idée d’un appel d’air créé par ce droit ne résiste pourtant pas à l’épreuve des faits. »
Jordan Bardella en veut plus
D’autres reculs sont-ils à redouter ? C’est en tout cas ce qu’espère Jordan Bardella qui, sentant la crainte du premier ministre, a publié à la suite de ces annonces multiples une liste d’exigences à contenter. Avec, en particulier, un « sérieux tour de vis migratoire et pénal » : « Notre pays ne peut plus accueillir une immigration de masse qui bouleverse son identité et pèse lourdement sur ses comptes publics », a-t-il écrit sur X.
Puisque le chef du gouvernement cède avec tant de facilité à l’extrême droite, pourquoi se priver d’en demander plus ? « Michel Barnier a commis deux fautes, observe un cadre du groupe EPR. La première, c’est d’avoir donné au RN une position centrale. Il y avait d’autres stratégies à tenter avant. Et la seconde, une fois ce chemin pris, c’est d’avoir considéré leur tolérance comme acquise, sans véritable contrepartie. Évidemment que nous allions finir par être pris à notre propre jeu. »
Avant de céder à l’extrême droite, le gouvernement, paniqué par la possibilité de tomber, a aussi usé d’une autre stratégie. Celle de faire planer le risque d’un pays à genoux en cas de censure du gouvernement. « S’il n’y a pas de budget, c’est extrêmement grave, avait par exemple averti Michel Barnier, en première ligne. Il y aura une tempête et des turbulences graves sur les marchés financiers. En dehors des mesures d’urgence que l’on peut faire pour faire fonctionner les hôpitaux et payer les fonctionnaires, tout s’arrêterait ! » « J’espère que les responsables politiques seront à la hauteur, a ensuite surenchéri Maud Bregeon, porte-parole du gouvernement. La conséquence d’une crise politique et d’une crise financière grave impactera notre poids diplomatique et notre capacité à défendre nos intérêts à l’échelle européenne et internationale. »
Dans ce concours de cris d’orfraie, une ancienne première ministre, Élisabeth Borne, députée EPR du Calvados, a réussi à supplanter l’ensemble de ses camarades, n’hésitant pas à brandir les plus gros mensonges possibles pour tenter de maintenir son camp au pouvoir. « Tous ceux qui veulent voter une censure sur ces textes, il faut qu’ils aient en tête les conséquences que ça aura pour les Français, avertit-elle. Et il faut que les Français le sachent aussi. Si le budget sur la Sécurité sociale est censuré, cela veut dire qu’au 1er janvier, votre carte vitale ne marche plus. Cela veut dire que les retraites ne seront plus versées. Et au bout d’un moment, les fonctionnaires ne seront plus payés. »
La démission du président, « seule solution » ?
Un scénario catastrophe démenti alors par… un autre poids lourd de son camp. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. « J’entends tout et souvent n’importe quoi, a-t-elle réagi à l’antenne de Sud Radio. Nos textes sont bien faits, notre Constitution et nos règles sont là. Il n’y aura pas de « shutdown » à l’américaine ! » Un rappel à l’ordre dans les pas de ceux prononcés par la gauche. « Arrêtons de vouloir faire peur aux gens, a exigé Marine Tondelier, secrétaire nationale des Écologistes. Les Français n’ont pas besoin de cacophonie, mais de repères. Qu’on les protège et qu’on apaise. » En cédant à l’extrême droite, Michel Barnier a fait le choix contraire. Pour se sauver lui, mais aussi le président de la République ?
Selon un sondage Elabe, 63 % des Français se prononcent pour une voie : la démission du président de la République en cas de chute du gouvernement de Michel Barnier. Une option étonnamment poussée, ces derniers jours, par deux personnalités bien éloignées des rives de la gauche. Le rapporteur général du budget, Charles de Courson (Liot), et le maire LR de Meaux, Jean-François Copé. Tous deux considèrent que c’est « la seule solution ». Le premier ministre en a choisi une autre : la capitulation. Et le répit sera peut-être de courte durée.
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