Union européenne , Pacte sur l’immigration et l’asile : tris, camps, expulsions (IO.fr-19/04/24)

Des réfugiés traversent la Manche, le 6 mars. (AFP)

Le Parlement européen a adopté le 10 avril un « pacte sur l’immigration et l’asile ». Préparé depuis des années ce pacte qui doit connaître son plein rendement dès 2026 est une machine de guerre contre les réfugiés.

Par Gérard BAUVERT.

Une machine de guerre qui doit réduire en miettes ce qui restait du droit d’asile. Il prévoit notamment la construction aux frontières de l’Union européenne des centaines de nouveaux camps. Nouveaux camps qui ajoutés aux anciens serviront à parquer non seulement les déboutés du droit d’asile, mais aussi ceux qui triés, « filtrés » au préalable n’auront même pas le temps d’être déboutés. Une ignoble lessiveuse.

Avant d’examiner de quoi il retourne, précisons que ce tristement célèbre pacte est composé de neuf règlements et d’une directive. Les neuf règlements n’ont pas besoin d’être transposés et sont d’application immédiate. Ce qui n’est pas le cas de la directive. Quelle est l’économie générale de ce pacte ?

Son premier objectif est d’organiser une « procédure accélérée pour l’examen des demandeurs d’asile et de réaliser cet examen à proximité des frontières extérieures de l’UE par un système de filtrage obligatoire et préalable à l’entrée dans l’UE. »

L’objectif est de déterminer en cinq jours si le requérant doit faire l’objet d’une procédure de retour. Par exemple s’il s’est déjà vu refuser l’asile ou s’il peut faire une demande. Cette vérification comprendra une identification, des contrôles de santé et de sécurité, le relevé des empreintes digitales et la reconnaissance faciale. Une opération de criminalisation des réfugiés.

Militarisation des frontières, camps de rétention

Tout cela devra abonder la vaste banque de données Eurodac. Le champ de cette dernière est élargi et s’appliquera aux enfants dès l’âge de 6 ans. En un mot, il s’agit d’un système généralisé de rétention, d’incarcération massive et d’expulsion immédiate. Pour prendre les décisions au moment dudit « filtrage » , les Etats membres pourront prendre en compte la notion de « pays tiers » sûr pour renvoyer les demandeurs d’asile. L’arbitraire le plus complet.

En effet, si le demandeur d’asile est passé par un « pays tiers » considéré comme sûr où il aurait pu formuler une demande de protection, ce sera : circuler, dehors ! Les pays en question s’arrangeront pour empêcher qu’une telle demande soit faite. Il faut en effet qu’un « lien soit suffisant entre les personnes concernées et le pays tiers » .

Qui détermine ce qu’est un pays tiers sûr ? et pour qui ? Qui détermine quel lien étroit et suffisant avec la personne indiquée ? La police et les fonctionnaires, voilà qui détermine.

Pour ceux dont la procédure a été jugée recevable, c’est-à-dire pour ceux qui ont passé le filtrage, il y a ceux qui « statistiquement » ont le moins de chance d’obtenir une protection internationale. Ceux-là seront orientés vers une procédure à la frontière, prêts à être expulsés également.

Enfin, il est prévu une procédure de douze semaines pour l’examen de la demande d’asile pour ceux qui auront passé les filtrages. Douze semaines supplémentaires peuvent s’y ajouter pour la procédure de renvoi. Un total de six mois maximum.

Cette procédure implique une rétention, en fait une détention, une privation de liberté.

C’est pourquoi, l’autre volet qui est en inséparable est la construction des centres de rétention. C’est aussi l’agrandissement de ceux qui existent incluant les aéroports considérés comme des frontières, par exemple ceux de Roissy, de Bruxelles et bien d’autres qui sont appelés zones d’attente. L’objectif défini est la construction de 30 000 nouvelles places pour atteindre 130 000 places.

En conclusion, le « pacte pour l’immigration et l’asile » reconduit le système Dublin 3 en y ajoutant un système de compensation financière entre Etats membres. Ce pacte doit permettre de quadriller les frontières de l’Union européenne par des centaines de camps… pour les réfugiés. Pour l’instant ?

Frontex, bras armé de la chasse aux réfugiés

Le dispositif du pacte complète les multiples accords signés par l’Union européenne avec la Turquie qui bloque sur son territoire des millions de réfugiés moyennant des milliards d’euros. Des accords bilatéraux existent également entre la France et la Grande-Bretagne, l’Italie et la Tunisie, Etat espagnol et Maroc. Il s’agit d’accords d’assistance, de policiers et de financement direct. Ces sommes gigantesques complètent le budget de Frontex, près de 900 millions d’euros pour l’année 2023. Frontex est le bras armé de la politique migratoire. L’Union européenne espère parvenir à 10 000 hommes en 2027. Le budget de Frontex a plus que centuplé depuis sa constitution. Frontex organise la chasse aux réfugiés dans l’espace Schengen, mais pas seulement. Frontex peut collaborer avec des pays éloignés de l’Europe. Cette agence participe au filtrage, au relevé des empreintes entre autres. Elle a organisé par exemple en 2022 l’expulsion de 25 000 réfugiés, dont 151 vols charters. Ces vols ont été organisés à 90 % par trois pays : l’Allemagne, l’Italie et la France. Les 3 plus gros PIB des pays de l’UE. Frontex, c’est la militarisation générale des frontières. Cette agence qui viole en permanence les droits des réfugiés est chargée de former les garde-côtes syriens. Les plaintes contre Frontex noircissent des pages et des pages de dossiers qu’on ne compte plus.
« L’alliance des macronistes, de la droite et des socialistes a voté l’infâme pacte asile-immigration » (Manon Aubry, LFI)

Le pacte a été porté essentiellement par les socialistes européens, par les libéraux centristes dont Renaissance fait partie derrière Renew et par le groupe PPE, droite européenne dont LR fait partie. Il a été adopté opportunément deux mois avant le vote aux élections européennes. Cela permet aux apprentis sorciers qui sont aux manettes de mettre au centre, ou du moins de tenter de le faire, la question de l’immigration et des réfugiés. Cette manœuvre politique qui, pour ne pas être nouvelle, n’en est pas moins pourrie. Macron, Scholz, Meloni, van der Leyen et tant d’autres n’ont pas ménagé leurs efforts pour parvenir à ce vote. LFI et le groupe auquel elle appartient ont naturellement voté contre ce pacte. Notons que le PS en France n’a pas suivi le vote du groupe des socialistes européens et a voté contre. C’est aussi le cas de LR qui n’a pas voté pour comme le groupe PPE. Non qu’ils soient en désaccord. Mais chacun a sa boutique à gérer dans son propre pays. Compte tenu de la physionomie des forces politiques, de la situation politique en France, le PS et Glucksmann – le va-t’en guerre en Ukraine – ont certainement estimé qu’ils avaient trop à perdre et qu’il était trop risqué de voter avec Macron et la droite européenne un pacte si ouvertement réactionnaire sur une question fort sensible à gauche en France, celle de l’immigration. Un raisonnement du même type a dû présider pour LR dont on ne présente plus l’ultra droitier Ciotti qui vocifère du matin au soir. LR n’a pas voté le pacte avec le groupe PPE avec l’arrière-pensée probable que ce qui lui reste d’électeurs risquerait de filer au RN de Le Pen-Bardella1. Quant au RN, il a voté contre parce que dit-il « il n’allait pas assez loin ». L’ancien chef de Frontex qui a rejoint la liste RN aux européennes et qui a mis en œuvre cette politique avait probablement un avis différent. Le RN dont le fonds de commerce est l’immigration, c’est-à-dire en filigrane la question des musulmans, ne pouvait sur son cœur de cible voter avec Macron. En réalité Macron-Le Pen c’est « je te tiens, tu me tiens par la barbichette » . L’un est aux affaires, l’autre veut le remplacer. Les deux défendent Frontex, la militarisation des frontières et les camps en construction. Défenseurs tous deux de la Ve République, ils s’entendent comme larrons en foire pour essayer de préempter le débat politique d’ici juin et si possible jusqu’à 2027. Bonnet blanc, cela reste blanc bonnet.

°°°

Source: https://infos-ouvrieres.fr/2024/04/19/union-europeenne-pacte-sur-limmigration-et-lasile-tris-camps-expulsions/

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/union-europeenne-pacte-sur-limmigration-et-lasile-tris-camps-expulsions-io-fr-19-04-24/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *