Pourquoi certains futurs kinés bretons doivent payer leur diplôme (OF.fr-18/03/24)

45 % des étudiants de l’IFPEK de Rennes en masso-kinésithérapie, ergothérapie et podologie pédicurie ont contracté un prêt pour financer leurs études.
45 % des étudiants de l’IFPEK de Rennes en masso-kinésithérapie, ergothérapie et podologie pédicurie ont contracté un prêt pour financer leurs études. | OUEST-FRANC

En Bretagne, depuis septembre 2023, les deux sites de formation en masso-kinésithérapie ne sont plus alignés sur les mêmes tarifs (environ 6 000 € l’année). À Brest, le Conseil d’État a obligé le Conseil régional à payer les frais de scolarité des étudiants. À Rennes, ce sont les élèves qui financent. L’État et la Région se renvoient la balle pour financer cette école qui forme aussi les ergothérapeutes et les podologues pédicures bretons.

Par Laetitia JACQ-GALDEANO

Près de 30 000 € à Rennes, un millier d’euros à Brest. En Bretagne, le même diplôme d’État de masseur kinésithérapeute est trente fois plus cher pour les étudiants, selon qu’ils sont admis à l’Institut de formation des masseurs kinésithérapie (IFMK) de Brest, une école publique, ou à l’institut de formation aux métiers de la rééducation et de la réadaptation (IFPEK) de Rennes, géré par une association à but non lucratif depuis 1973. Et pourtant, jusqu’en septembre 2023, les deux sites de formation breton étaient alignés sur le même coût à l’année (environ 6 000 €).

Pourquoi cette iniquité entre les étudiants brestois et rennais ? Parce que le Conseil d’État a estimé que les frais d’inscription dans les IFMK publics français devaient être alignés sur le prix universitaire : 170 € pour la première année. Il vient de contraindre les conseils régionaux (qui ont la compétence « formations sanitaires et sociales ») à payer la différence pour les étudiants des IFMK.

« Cela nous a coûté 700 000 € dès la rentrée 2023, fait valoir Élisabeth Jouneaux Pédrono, conseillère régionale déléguée aux formations sanitaires et sociales. L’État devrait compenser mais l’on ne sait pas quand et à quelle hauteur. »

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Un trou de 250 000 € en 2023

Cécile Riou, directrice de l’IFPEK de Rennes (à droite) et Fabienne Mignot, membre du conseil d’administration de l’IFPEK (au centre) face à des étudiants. | OUEST-FRANCE

Problème : cet écart entre les prix des écoles de Rennes et de Brest pourrait augmenter davantage si l’IFPEK de Rennes, qui forme trois fois plus de kinés (96 par an) que l’IFMK de Brest (30 par an), doit augmenter ses tarifs de scolarité : près de 10 000 € pour la première année en podologie pédicurie, près de 7 100 € en kinésithérapie et près de 7 000 € en ergothérapie.

« Nous voudrions les diminuer depuis des années, se désole la présidente du conseil d’administration de l’association gestionnaire, Gwenaëlle Cochet. Mais nous sommes en déficit structurel depuis cinq ans. Il était de 250 000 € en 2023, il sera de 300 000 € en 2024. C’est pourquoi nous sommes très inquiets ».

L’école (60 salariés et plus de 350 vacataires) ne semble guère avoir le choix, coincée entre ses deux tutelles, l’État (via l’Agence régionale de santé) et le Conseil régional, qui se renvoient la balle sur son financement depuis que l’État a délégué aux conseils régionaux la compétence des formations sanitaires et sociales, en 2004. Et ce, « sans nous compenser les coûts de formation de l’IFPEK », fait valoir la conseillère régionale Élisabeth Jouneaux Pédrono, déléguée aux formations sanitaires et sociales.

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« La situation est alarmante »

D’un côté, l’État impose à l’IFPEK de Rennes des évolutions coûteuses, qu’il ne finance pas, pour harmoniser les diplômes avec les cursus universitaires licence master. « Nous devons recruter des professeurs d’université qui coûtent plus cher. Facture d’une année de mise en route : 230 000 € », résume l’administratrice Fabienne Mignot.

De l’autre, la Région Bretagne refuse de payer cette facture et le reste, contrairement à ses voisines, les Régions Normandie et Pays de la Loire, qui financent tout ou partie de ces formations. « La Région Bretagne a fait un autre choix politique, indique Élisabeth Jouneaux Pédrono. La situation de l’IFPEK est alarmante et l e président, Loïg Chesnais-Girard, a alerté plusieurs fois le ministère de la Santé de ce problème. Je comprends que l’école veuille le faire savoir. Mais le conseil régional ne peut pas dépenser l’argent qu’il n’a pas. Pour financer la décision du Conseil d’État, nous avons dû arrêter le dispositif de fidélisation », qui permettait à la Région de financer la scolarité des étudiants s’engageant à travailler dans un établissement de santé breton (1,1 million en 2023). «  Avec l’enveloppe restante, nous avons choisi d’accompagner socialement les étudiants plutôt que les établissements ».

« Mon père n’a pas pu partir à la retraite »

L’IFPEK de Rennes peut-il raisonnablement augmenter ses tarifs ? L’association gestionnaire est très réticente à cette option qui orienterait l’école « vers des familles aisées ». Un signe alarme la directrice, Cécile Riou, qui, « depuis onze ans », ne cesse d’alerter les tutelles sur « la question du financement de l’école toujours repoussée à demain. Or, depuis trois ans, nous enregistrons en cours d’année des défections d’étudiants qui ne peuvent plus payer, surtout en ergothérapie ».

Selon une enquête de l’IFPEK, 76 % de ses étudiants travaillent pour subvenir à leurs besoins. Beaucoup jugent « incohérente et injuste cette grosse disparité » entre Rennes et Brest. 45 % d’entre eux ont contracté un prêt comme Sacha, en 2e année de pédicurie podologie qui a emprunté 20 000 € et finance lui-même 10 000 €. « Un an après avoir obtenu mon diplôme, je commencerai à rembourser 664 € par mois. »

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Oriane, 24 ans, en 2e année d’ergothérapie, « paie l’école avec ses économies et en travaillant dans l’hôtellerie pendant les vacances et les week-ends ». Son père « n’a pas pu partir à la retraite », tout comme celui de Marion, 20 ans, en 2e année d’ergothérapie : « C’est un sacrifice pour mes parents. »

Zoé, 23 ans, originaire de Lorient, en 2e année de masso-kinésithérapie est inquiète. La Région Bretagne finance ses études, moyennant un engagement de sa part de « travailler à l’hôpital de Fougères pendant minimum trois ans ». Mais, s’alarme-t-elle, « la Région a cessé son contrat de fidélisation pour les étudiants en 1re année et  je ne sais pas si elle prendrait en charge l’augmentation des frais de scolarité ».

Dès lors, quelle autre solution pour l’IFPEK de Rennes ? « Si la Région choisit de rendre public notre organisme de formation, nous l’accompagnerons, assure Gwenaëlle Cochet. Nous pouvons aussi dissoudre l’association car elle n’est plus à l’équilibre financier. »

Ce qui poserait un gros problème à la Bretagne. Confrontée à une pénurie de médecins, d’urgentistes, d’infirmières, d’aides-soignantes et de spécialistes, elle pourrait aussi manquer de kinésithérapeutes, de podologues pédicures et d’ergothérapeutes.

Source: https://www.ouest-france.fr/formation/pourquoi-certains-futurs-kines-bretons-doivent-payer-leur-diplome-8f53d32e-e162-11ee-94a7-1385a6efe21e

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