400 millions d’ordinateurs au rebut : la fin de Windows 10, un immense gâchis économique et écologique (H.fr-28/09/25)

Près d’un quart des ordinateurs de la planète vont devenir progressivement obsolètes. À compter du 15 octobre, Microsoft ne veut plus mettre à jour son précédent système d’exploitation, même si la multinationale vient d’accorder un sursis pour les seuls particuliers européens.

Par Pierric MARISSAL & Elie POLSELLI.

Le 15 octobre prochain, 400 millions d’ordinateurs sous le système d’exploitation Windows 10 deviendront progressivement obsolètes, car incompatibles avec Windows 11. Ils ne cesseront pas de fonctionner du jour au lendemain, mais ils ne pourront plus être mis à jour. Petit à petit, les logiciels cesseront de marcher et le terminal deviendra plus vulnérable aux piratages. Une seule raison à cela : Microsoft a décidé, unilatéralement, de ne plus assurer le suivi de ce système d’exploitation.

Certains des 220 millions de PC sous la licence « familiale » ont obtenu en fin de semaine dernière un sursis. « Il y aurait une opportunité pour les consommateurs européens de se connecter avec un compte Microsoft pour prolonger la licence d’un an, mais ce n’est pas clair, et on ne comprend pas pourquoi ce n’est pas communiqué auprès du grand public. Au contraire, l’entreprise continue de promouvoir de nouveaux PC », explique Julie Caillard, chargée de plaidoyer chez Halte à l’obsolescence programmée (HOP).

« Un hold-up qui menace la sécurité, le climat et le pouvoir d’achat »

L’association avait lancé une pétition contre ce qu’elle appelle « un hold-up up qui menace la sécurité, le climat et le pouvoir d’achat » et écrit en juin à la multinationale américaine. Interrogée par l’Humanité, Microsoft a promis une campagne de communication début octobre et précise que les citoyens de l’espace économique européen – et uniquement eux – pourront « connecter leur PC avec un compte Microsoft (MSA) et rester connectés pour recevoir gratuitement les mises à jour de sécurité. Si vous ne vous connectez pas pendant une période de soixante jours, les mises à jour Extended Security Updates (ESU) seront interrompues et vous devrez vous réinscrire en vous reconnectant avec le même MSA ».

Ce sursis accordé aux particuliers européens ne règle pas le fond du problème, d’autant que les PC sous licence professionnelle ne sont pas concernés. « Mais cela reste un signe qu’on peut gagner », lance Julie Caillard. HOP a renvoyé un courrier à Microsoft pour obtenir des éclaircissements et rappeler ses revendications. Rejointe par plus de 20 organisations, elle demande désormais la prise en charge de Windows 10 pour tous sans frais jusqu’en 2030.

Une véritable « taxe Microsoft »

Quelques chiffres permettent de comprendre l’ampleur de l’enjeu. En août 2025, encore 45,6 % des plus de 1,4 milliard d’ordinateurs sous Windows dans le monde tournaient sous la version 10 du système d’exploitation de Microsoft.

À titre de comparaison, lorsque la multinationale a mis fin à la prise en charge de Windows 8, cela concernait moins de 3 % des ordinateurs. Cette décision est ainsi sans précédent : Il n’y a jamais eu autant d’ordinateurs privés de mises à jour d’un seul coup. Car 43 % des PC encore sous Windows 10 sont incompatibles avec la version 11. Soit 403 millions d’ordinateurs, dont au moins 180 millions dans des entreprises et des services publics. Le coût minimal mondial, calculé par HOP, de la fin de Windows 10 est supérieur à 10 milliards d’euros.

Pour l’association, il s’agit d’une véritable taxe. Car soit le consommateur remplace son ordinateur, soit il doit s’acquitter de 26 euros hors taxe pour les particuliers qui ont l’édition familiale de Windows 10 (sauf pour les Européens qui préféreront activer leur compte Microsoft), et de 52 euros HT pour les entreprises. Ce tarif double chaque année jusqu’en 2028, fin définitive de toute mise à jour.

Sur l’année fiscale 2024, Microsoft avait battu son record de bénéfices, dépassant la barre symbolique des 100 milliards de dollars (87 milliards d’euros), et veut visiblement faire mieux. « Il y a cette taxe imposée par Microsoft, mais il faut savoir aussi que Windows 11 récupère plus de données que le système précédent », explique la spécialiste en cybersécurité Corinne Henin.

Une denrée précieuse pour l’entreprise qui entraîne des intelligences artificielles. « Microsoft a aussi noué des partenariats avec les vendeurs de puces TPM, dont Intel, qui sont obligatoires pour faire fonctionner Windows 11. Cela force la vente de nouveaux ordinateurs équipés de ces processeurs », poursuit l’experte qui suppose que Microsoft envisage de se séparer des équipes en charge des mises à jour de Windows 10. Un nouveau plan de licenciement est en cours chez le géant. Pas moins de 9 000 postes dans le monde seraient concernés.

Les collectivités et services publics dans la tourmente

En France, 22 % des ordinateurs sont menacés par cette obsolescence logicielle liée à la fin de Windows 10. Cela inclut ceux d’entreprises et d’infrastructures critiques : hôpitaux, écoles, mairies, bibliothèques et associations.

« Pour nous, c’est un vrai sujet : sur les 40 000 ordinateurs de la Ville de Paris, 14 000 postes ne sont pas compatibles avec Windows 11. C’est plus d’un tiers du parc », déplore Antoine Guillou adjoint à la Mairie de Paris à la réduction des déchets et au réemploi.

« Nous avons étudié la chose pour faire au moins mauvais, si je puis dire : 4 000 ordinateurs seront remplacés, et pour les 10 000 qui restent nous allons payer la licence. L’addition immédiate est salée, et ce n’est qu’un sursis », ajoute l’élu local.

Via son formulaire, HOP a reçu le témoignage d’un département de 1,3 millions d’habitants, pour lequel le coût du remplacement du matériel est estimé à 1,1 million d’euros. Une lourde dépense, à l’heure où les dotations aux collectivités baissent d’année en année.

« Lorsqu’une collectivité négocie avec les Gafam, c’est un peu David contre Goliath, même quand on est Paris, soupire Antoine Guillou. Il faudrait que l’État se saisisse du sujet. Il pèse dans le rapport de force financier comme client, mais aussi juridiquement, pour faire respecter la loi sur l’obsolescence programmée. »

D’autant plus que des services publics nationaux sont aussi concernés. Selon le Canard enchaîné, pas moins de 18 746 ordinateurs appartenant à la direction générale de la police nationale et 4 846 postes de travail de plus à la préfecture de police de Paris vont également se retrouver au rebut, pour un coût estimé à 15 millions d’euros. Ou encore : une entreprise de service public compte payer 2,5 millions d’euros à Microsoft pour une extension d’un an de mise à jour pour 48 000 postes sous Windows 10. Les exemples sont légion.

Et pas question pour ces organisations d’y couper. Garder un système obsolète reviendrait à s’exposer à des risques accrus en matière de sécurité informatique. Déjà cette année, en France, des cyberattaques d’ampleur ont touché l’université de Rennes ou des hôpitaux et agences de santé de Normandie et des Hauts-de-France.

« Si quelqu’un se fait pirater, la faille peut être remontée à tous les postes en interne », redoute Corinne Henin. Prendre le risque d’être plus vulnérable n’est donc pas une option. « Il faut avoir conscience qu’on manipule des données sur les usagers, leurs revenus, leur famille, leur adresse, leurs usages… Pour ces raisons, nous savons que nous sommes des cibles pour les pirates », confirme Antoine Guillou.

« Abandonner les versions anciennes pour adopter les plus récentes, cela fait partie d’un cycle naturel et essentiel pour bénéficier des dernières avancées. Que ce soit en matière de sécurité, de performance ou d’innovation », justifie de son côté Yusuf Mehdi, vice-président exécutif de Microsoft, dans un communiqué.

Une catastrophe écologique

« Nous estimons que la fin de Windows 10 pourrait engendrer 725 000 tonnes de déchets électroniques », a pour sa part calculé l’association de consommateurs états-unienne Pirg. Pire, 90 % de l’empreinte carbone et environnementale d’un ordinateur portable sont générés au moment de sa fabrication. Ils contiennent des minéraux essentiels dont l’extraction nécessite de grandes quantités d’énergie et d’eau, et ces industries extractives causent des dommages écologiques durables.

Le remplacement des ordinateurs rendus obsolètes par la fin de Windows 10 représenterait ainsi l’équivalent de 32 000 tours Eiffel en matières premières extraites, dénonce l’association HOP, et générerait l’émission de plus de 70 millions de tonnes de gaz à effet de serre.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/microsoft/fin-de-windows-10-un-immense-gachis-economique-et-ecologique

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/400-millions-dordinateurs-au-rebut-la-fin-de-windows-10-un-immense-gachis-economique-et-ecologique-h-fr-28-09-25/

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