
Allemands et Alliés se sont retrouvés dans ce modeste café d’Étel, devenu depuis restaurant, pour signer la reddition de la poche de Lorient, en 1945. « Bretons » revient sur cet instant crucial, et sur ce « Bar Breton » qui aura marqué l’Histoire.
Par Maïwenn RAYNAUDON-KERZERHO ( BRETONS)
C’est une simple table au bois patiné par les années, installée au musée de la Résistance en Bretagne à Saint-Marcel, dans le Morbihan. Une exposition temporaire consacrée à la libération de la Bretagne s’y tient jusqu’au 31 décembre. Et ce modeste meuble, prêté par l’ancienne patronne du Bar Breton d’Étel, y a en effet toute sa place. C’est autour d’elle que se sont réunis, le 8 mai 1945, officiers allemands et alliés, avec un objectif : discuter des conditions de la reddition de la poche de Lorient.
Une Libération tardive
Pour comprendre pourquoi cette entrevue a lieu si tard, une semaine après le suicide d’Hitler dans son bunker berlinois, une petite mise en perspective s’impose. Et il s’agit de rappeler que, dans la région de Lorient, la Libération n’a pas eu lieu au printemps ou à l’été 1944, mais bien des mois plus tard…
Retour en arrière. En janvier 1944, alors que le vent a tourné et qu’Hitler sent le danger approcher, il prend la décision de constituer sur le littoral, dans les ports les plus importants, des Festungen, véritables forteresses devant servir de bastions pour tenir le mur de l’Atlantique et résister à l’ennemi. En cas de repli, ces bases devaient être le point de départ de futures contre-attaques.
Bloquer les soldats
Pourtant, après le Débarquement, ces Festungen chutent les unes après les autres : Cherbourg, Saint-Malo, Le Havre, Brest, Calais et Boulogne. Seules celles de la façade atlantique tiennent bon : Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle, Royan et la pointe de Grave. Mais le siège de Brest a servi de leçon aux Américains, qui y ont laissé 2 000 hommes. Les batailles importantes se mènent désormais à l’est. Pour ces poches, on se contentera d’une guerre d’usure, d’une opération de containment : bloquer les soldats allemands, en les maintenant dans ces zones délimitées, jusqu’à la chute d’Hitler.
À Lorient, la poche s’est constituée autour de la formidable base que l’organisation Todt a bâtie. Pouvant accueillir une quarantaine de sous-marins, elle est un ouvrage sans équivalent dans le monde. La base de Keroman est protégée par un dispositif important, une série de batteries côtières qui s’étend de Quiberon à Groix.
25 000 soldats allemands
La poche de Lorient s’étire de la Laïta, à l’ouest, jusqu’à la presqu’île de Quiberon, englobant aussi Groix, Belle-Île, Hœdic et Houat. Soit 25 communes, 150 km2, où il reste moins de 25 000 civils, que les Allemands incitent à partir. Une ceinture défensive est mise en place, à l’intérieur de laquelle sont retranchés 25 000 soldats allemands sous le commandement du général Wilhelm Fahrmbacher et de l’amiral Walter Matthiae. En face : 5 000 Américains, mais aussi 12 000 maquisards, qui sont intégrés dans l’armée régulière du général de Larminat.
Même si la libération des poches n’est pas une priorité aux yeux des Alliés, elle le devient pour le général de Gaulle, qui tolère difficilement de voir des parties du territoire français toujours sous la coupe des Allemands. Pour restaurer le prestige de l’armée française, il entend d’ailleurs qu’elle œuvre elle-même à la libération de certaines poches. Ce sera le cas de La Rochelle, de Royan et de la pointe de Grave. Mais pour Saint-Nazaire et Lorient, les forces alliées, aidées d’unités d’infanterie françaises, restent à la manœuvre.
La ria comme frontière
Hitler, reclus dans un bunker à Berlin, se suicide le 30 avril. Le 7 mai à 7 h 20, l’Allemagne capitule. En France et en Bretagne, il s’agit désormais d’obtenir la reddition des poches, dont celle de Lorient. Depuis le mois de décembre, ses contours ont un peu évolué. Même si la presqu’île de Quiberon reste sous contrôle allemand, les bourgs d’Erdeven, de Belz et d’Étel ont été libérés. La ria constitue donc une nouvelle frontière, d’autant plus que son seul passage terrestre, le pont Lorois, a été détruit par une frappe alliée.
Ce 7 mai 1945, à 15 h, c’est donc en canot pneumatique qu’une délégation d’officiers franchit la rivière d’Étel, pour se rendre en face, côté Plouhinec, dans le petit port du Magouër. Sont présents le colonel allemand Otto Borst, le colonel américain Keating et le colonel français Joppé. Après de premières négociations, ils conviennent de se revoir dans la soirée, de l’autre côté, à Étel.
L’heure de la reddition
C’est là que, à 20 h 15, la reddition allemande est signée, à la table d’un café, le Bar Breton. Le cessez-le-feu est prévu pour le 8 mai à 0 h 01. On acte également la tenue d’une cérémonie officielle, prévue pour le 10 mai, à Caudan. Là, le général allemand Fahrmbacher remet symboliquement son arme au général américain Herman Kramer, en présence du général français Henri Borgnis-Desbordes.
L’histoire ne dit pas s’ils ont ensuite partagé un café… Mais aujourd’hui, au Bar Breton d’Étel, devenu le BB, ce sont plutôt des plats de poisson ou du homard qui se dégustent. Seule une plaque sur la façade rappelle le rôle qu’il a joué dans l’histoire.
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