
En 2023, le gouvernement avait promis 110 millions d’euros pour replanter 50 000 km de haies. Depuis, ce budget s’est beaucoup réduit, au grand dam des pépiniéristes qui avaient investi dans ces plantations pleines de bienfaits.
Par Alice MEUNIER.
Le Pacte haies, annoncé en septembre 2023 par le ministre de l’Agriculture d’alors, Marc Fesneau, ambitionnait de replanter 50 000 km de haies supplémentaires d’ici 2030, avec 110 millions d’euros de budget par an. Mais depuis, cet engagement financier s’est considérablement réduit. Il a d’abord été baissé à 45 millions d’euros dans la loi de finances 2025, selon le Réseau Haies France (RHF), qui regroupe les pépiniéristes, agriculteurs, associations, chambres d’agriculture et collectivités.
Une coupe budgétaire qui ne s’est pas arrêtée là. Si, aujourd’hui, l’enveloppe finale pour l’année 2025 n’a pas été annoncée, le montant « d’au moins 4 millions d’euros » aurait été avancé au RHF— soit plus de 27 fois moins que promis il y a deux ans.
La France compte aujourd’hui 750 000 km de haies, mais près de 20 000 km disparaissent chaque année. Suite aux 110 millions d’euros promis, les premiers appels à projets ont été lancés en 2024.
« On sait déjà qu’on va devoir
jeter des plants »
« On sait déjà qu’on va devoir jeter des plants », prévoit Clément Crété, pépiniériste à Lafresguimont-Saint-Martin (Somme) dans sa pépinière familiale, qui fête ses 50 ans, entouré de jeunes plants alignés sur des hectares, avec des serres de production et des champs en arrière-plan.
L’entreprise a multiplié par dix sa production, passant de 50 000 plants en 2015 à 500 000 en 2024. « On s’est développé depuis 2020. Nous avons été dopés par les aides publiques qui encourageaient la plantation. » Le Pacte haies y est pour beaucoup.
« C’était l’occasion d’investir dans le matériel et les plantations : nous avons joué le jeu en agrandissant les surfaces de culture et en formant des pépiniéristes. Nous avions une vision sur un temps long jusqu’en 2030, rappelle le professionnel avant de souffler : Finalement, ça n’a duré qu’un an. »
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Aussi, cet été, le Réseau Haies France a tiré la sonnette d’alarme. « Quand on démarre une politique publique, si on change d’avis chaque année, ce n’est pas possible », regrette Arnaud Schwartz, pépiniériste aux Jardins de Hanfgranva (Alsace). Lui aussi ne peut que constater que des dizaines de milliers de plants attendent. « Aujourd’hui, on navigue à vue », regrette-t-il.
Le RHF déplore « de nombreuses plantations stoppées ». Pour Clément Crété, « 10 % de perte, c’est acceptable, mais nous allons devoir jeter 50 % de la production de haies si rien n’est fait ».
De 10 millions d’euros à 454 741 euros
« Quand Marc Fesneau a annoncé une enveloppe de 110 millions d’euros en 2023, beaucoup d’entre nous ont espéré que ce serait reconduit. Mais ce type d’engagement n’était pas vraiment garanti dans le temps », déclare Fabien Balaguer, directeur de l’Association française d’agroforesterie, qui promeut et accompagne l’intégration des arbres et des haies dans les pratiques agricoles.
Cette enveloppe est tous les ans déclinée sur les territoires par les directions régionales de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt (Draaf). Malgré l’absence de vision claire, elles ont de nouveau lancé leurs appels à projets en septembre. Et les niveaux de toutes ces enveloppes régionales ont baissé.
Dans les Hauts-de-France par exemple, l’enveloppe est passée de 10 millions d’euros en 2024 à 454 741 euros en 2025. Contactées pour en savoir davantage sur les baisses de dotations, les Draaf nous renvoient vers le ministère de l’Agriculture, qui reste muet.
Si le volet gestion durable et valorisation, autrement dit l’entretien des haies existantes, est confirmé, c’en est fini des (nouvelles) plantations. « Les deux sont importants, insiste le Réseau Haies France. Il faut continuer de donner envie aux agriculteurs de planter. » « Les agriculteurs sont surtout désabusés », dit Fabien Balaguer, pour qui le manque de stratégie du gouvernement est flagrant.
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Clément Crété et Arnaud Schwartz rappellent que les haies ne sont pas seulement décoratives : elles jouent un rôle écologique et agricole majeur. Elles créent de la fraîcheur en période de canicule, freinent l’érosion des sols, limitent l’envasement des canaux et abritent une grande diversité d’espèces animales et végétales.
Elles servent aussi de brise-vent, améliorent les rendements en protégeant les cultures et contribuent à la qualité de l’eau. Autre bienfait pour les éleveurs : « Les animaux aussi ont besoin d’ombre. Les bovins en pleine canicule sont bien contents d’avoir des parasols avec les haies », rappelle Clément Crété.
« La plantation ne suffit pas »
Plusieurs parlementaires ont interpellé le gouvernement avant l’été. Sandrine Le Feur, députée (Renaissance) de la quatrième circonscription du Finistère, elle-même agricultrice bio de profession, avait posé une question écrite au gouvernement le 20 mai. Elle voulait obtenir la garantie de « la continuité budgétaire du pacte en faveur de la haie ». Elle y expliquait les « très bons résultats sur le terrain » et les « services à l’agriculture, la nature et la société ».
Le gouvernement lui a répondu que « les moyens dédiés aux dispositifs d’investissement s’inscrivent dans la trajectoire de maîtrise des comptes publics ». Il reconnaît implicitement la baisse budgétaire et propose des instruments périphériques, notamment le dispositif de la politique agricole commune (PAC) en faveur des haies.
Ce dispositif a récemment été revalorisé de 7 à 20 euros par hectare « pour les agriculteurs qui gèrent durablement afin de les inciter à adopter cette pratique et de rémunérer les services générés », a également répondu le ministère. Il insiste sur la nécessité « d’enrayer la disparition des haies », car « la plantation ne suffit pas ».
Le gouvernement mise sur la gestion et valorisation (donc l’entretien) de l’existant et non plus sur la plantation. « C’est ce qui coûte le plus cher, constate le RHF. Mais l’un ne va pas sans l’autre. »
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Et maintenant ? Pour Clément Crété, « c’est un loupé du gouvernement ». Quant aux autres financements envisagés, il s’interroge : « Quand ? Quoi ? » Lui ne veut pas croire à la fin du Pacte haies. Du côté des associations, le RHF en appelle à l’État et aux régions pour trouver des solutions rapides. L’une des pistes avancées est d’utiliser le fonds européen agricole pour le développement rural.
Certes, les montants sont bien plus modestes que les 110 millions annuels annoncés au départ, mais ce levier permettrait de sauver la dynamique sur le terrain et d’atténuer le choc, avancent les professionnels.
Pour l’Association française d’agroforesterie, « 30 ou 40 millions, ce serait déjà bien », estime son directeur. Un budget qui se ferait dans le cadre d’un plan pluriannuel, le travail avec les arbres se faisant sur plusieurs années. « Il faut une stratégie », ajoute-t-il.
« Les agriculteurs ne sont pas les ennemis des haies »
Même du côté de la FNSEA, le syndicat agricole productiviste, ce rabotage budgétaire interroge. « Les agriculteurs ne sont pas les ennemis des haies. Les haies sont aujourd’hui des structures qui demandent du temps et de l’énergie. Les agriculteurs ont la volonté, mais pas forcément les moyens », dit Jean-Alain Divanac’h, éleveur dans le Finistère et membre du conseil d’administration de la FNSEA en charge de la biodiversité.
Et d’ajouter : « Quand vous cassez le rétro à 600 voire 800 euros d’un engin agricole sur une haie parce que vous n’êtes pas habitué, vous vous y reprenez à deux fois avant de planter. Pourtant, tout le monde est d’accord pour dire que les haies favorisent la biodiversité et permettent de contenir l’érosion. Le Pacte haies permettait aussi des formations aux agriculteurs. On ne peut que déplorer cette coupe budgétaire. »
Le RHF dit également qu’il ne faut pas « laisser le Pacte haies devenir lettre morte ». L’association s’appuie sur la mobilisation de plus de 70 parlementaires de tous bords et 600 structures — des pépiniéristes aux chambres d’agriculture, en passant par les collectivités, associations environnementales, chasseurs ou encore coopératives. Cette union, rare dans le paysage agricole, met en avant la haie comme levier stratégique pour l’agriculture, la biodiversité et le climat.
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Source: https://reporterre.net/Le-gouvernement-coupe-deja-court-a-la-relance-des-haies
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