CRS, exclusions, réunions interdites : virage répressif à la fac de Nantes (StreetPress-23/10/25)

Illustration de Une par Jérome Sallerin.

À Nantes Université, les mesures répressives s’enchaînent sur fond de contestation étudiante. Interventions policières, réunions interdites, exclusions : syndicats et étudiants dénoncent un virage sécuritaire inédit de la présidence.

Par Pierre-Louis JAMES.

17 octobre, faculté de Nantes (44) – Dès l’aube, les drapeaux des syndicats réunis flottent au vent face à « la tour d’ivoire » — nom que donnent certains au bâtiment de la direction de Nantes Université. « Ce règlement intérieur est écrit par la présidence, pour la présidence, avec les félicitations de la présidence », ironise un membre de l’Union Pirate. Le conseil d’administration de l’université vient d’adopter un nouveau règlement intérieur jugé « liberticide » par les organisations syndicales et étudiantes. Un « durcissement généralisé », déplore Valérie Rolle, enseignante-chercheuse et syndicaliste à SUD éducation.

En cause la restriction des tractages sur le campus ou un durcissement sur les « regroupements » qui limiterait « exagérément la liberté de réunion », selon les syndicats. Un changement notamment soutenu par Foulques Chombart de Lauwe, candidat LR aux municipales à Nantes et proche de l’Union nationale inter-universitaire (UNI), qui plaide pour un recours plus systématique aux forces de l’ordre sur le campus et à l’installation de systèmes de vidéosurveillance.

Si le message envoyé par la présidente Carine Bernault avec ce nouveau règlement intérieur est « catastrophique » pour Solidaires étudiant·e·s, il semble entériner une nouvelle façon de faire au sein de l’université. « Il y a un pétage de plomb répressif de la direction », tonne un syndicaliste de la CGT. Depuis 2024, la fac connaît un virage répressif inédit : plusieurs assemblées empêchées, des interventions policières à répétition, deux étudiants exclus pour leur activité politique, mise sous surveillance d’un ancien élève par le pôle sûreté de l’établissement dirigé par un « professionnel du renseignement ».

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Des réunions ciblées

Ce 22 septembre à 18 heures, trois policiers en uniforme, accompagnés de leurs collègues des renseignements territoriaux, montent les escaliers du bâtiment de droit de l’Université de Nantes sur le campus du Tertre. À l’étage, une réunion publique se tient comme tous les lundis soirs depuis plusieurs années. « On agit sur réquisition de la présidence de l’université », bégaye l’un des policiers. La police ordonne à la trentaine de participants de quitter le bâtiment. Dehors, c’est la surprise : une dizaine de camions de CRS sont le long de la route. Un agent d’accueil s’excuse, il ne comprend pas la décision de sa direction. L’entièreté du bâtiment de droit est évacuée.

Le lendemain, une assemblée générale étudiante a lieu dans le cadre du mouvement « Bloquons tout ». Pour protester contre cette récente intervention policière, les personnes présentes lors de l’AG décident d’envahir le pôle étudiant, là où sont les personnels de l’administration et de la sécurité du campus. L’occupation dure une dizaine de minutes. Durant celle-ci, quelques tags sont inscrits sur les murs, des flyers sont jetés à terre et la porte d’un des responsables de la sécurité du campus est abîmée. Une trentaine de minutes plus tard, alors que le calme est revenu, des policiers et des agents de la BAC débarquent et enjoignent tout le monde à partir. Des sirènes d’alarme incendie sont déclenchées et la confusion règne. Armel, membre de Solidaires étudiant·e·s, se rappelle :

« Des rumeurs ont commencé à circuler concernant la présence de personnes cagoulées avec un couteau, de gazeuses, voire d’une attaque terroriste. »

En réalité, la présidente de l’Université, Carine Bernault, a de nouveau demandé l’intervention et la fermeture du campus du Tertre — où 16.000 étudiants sont scolarisés — après ce qu’elle qualifie de « débordements inacceptables ». Son récit de l’occupation d’un bâtiment est repris de façon outrancière sur les réseaux sociaux. Sur X (anciennement Twitter), Philippe Baptiste, alors ministre démissionnaire de l’Éducation supérieure et de la Recherche, cible « une poignée d’individus » qui aurait « occupé et saccagé le campus du Tertre », et non plus un bâtiment. Matis de Solidaires étudiant·e·s. réagit :

« Ce que j’ai vu, c’était à l’opposé de ce que la présidente racontait, les mots n’ont plus de sens. »

Angélique, du même syndicat, dénonce quant à elle « une opération de com’ de la présidence pour contrer les mobilisations ». Les syndicats du personnel ont qualifié de « disproportionnée et inacceptable » la réaction de la présidente.

L’antifascisme combattu

La situation a déjà été électrique en mars. L’université tente alors d’empêcher une assemblée antifasciste contre la venue du militant d’extrême droite, Jean-Eudes Gannat à Nantes, invité par le groupuscule néofasciste Ligue Ligérienne. La direction essaie de fermer préventivement le bâtiment par crainte d’un « risque de trouble à l’ordre public », sans succès. Plusieurs participants antifascistes comme Angelo sont étonnés :

« Je n’ai jamais vu ça, c’est la première fois que la fac tente d’interdire une assemblée générale. »

Durant la soirée, une courte altercation a lieu entre des étudiants sympathisants de l’UNI et des participants de l’assemblée. L’événement sert depuis de prétexte à l’université pour restreindre fortement le droit de réunion des assemblées. Pour justifier de potentiels troubles à l’ordre public lors de ces rassemblements, la directrice générale des services a parlé « d’appel à la haine », du fait de qualifier Jean-Eudes Gannat de « nazi ». Un « facteur aggravant », selon elle, « ne permettant pas à une réunion publique de se dérouler de façon sereine ».

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En avril, des procédures disciplinaires s’enchaînent contre trois étudiants. L’université leur reproche la réquisition d’une salle, le tutoiement d’un membre du personnel ou encore le jet d’une casquette sur un militant du Rassemblement national. « Ubuesque », martèle Matis, militant chez Solidaires étudiant·e·s. D’autres motifs semblent infondés : l’un des étudiants est accusé d’avoir participé à l’altercation avec les sympathisants de l’UNI. Dans son dossier disciplinaire, il est pourtant identifié comme étant à distance de l’altercation, les bras croisés. En résumé, l’Université lui reproche de ne pas être intervenu bien que la sécurité était déjà sur place. Pour Matis, ces procédures sont « totalement à charge » et les dossiers « montés à l’envers ».

Un étudiant exclu sous surveillance

Parmi les autres motifs invoqués lors des commissions disciplinaires, celui de « participation à des assemblées générales sans autorisation préalable » fait particulièrement tiquer les étudiants mobilisés. « L’Université cherche à intimider les étudiants qui se mobilisent hors du cadre ultra-aseptisé qu’elle souhaite imposer », affirme Angélique, également active chez Solidaires. Les sanctions vont de l’avertissement à l’exclusion durant une année de l’établissement. Comme Thomas (1), un élève très actif sur toutes les luttes au sein du campus, qui a entamé une procédure au tribunal administratif pour contester le verdict.

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Thomas semble cristalliser l’attention des services de sécurité de la fac, qui lui attribuent et lui reprochent son rôle de leader des mobilisations, selon son dossier disciplinaire consulté par StreetPress. / Crédits : DR

Ce dernier semble cristalliser l’attention des services de sécurité de la fac, qui l’identifient comme ayant un « rôle déterminant » dans les mobilisations, selon son dossier disciplinaire consulté par StreetPress. Thibaut Misériaux, responsable du pôle sûreté, lui a déjà adressé à l’hiver 2024 lors d’une assemblée :

« Vous savez, vous êtes bien connu ici, c’est mon métier de me renseigner. »

Cet « agent de l’État » pendant treize ans — comme il le revendique sur son LinkedIn —, qui a fondé une société vantant « l’expertise des services de renseignement », n’est pas le seul à avoir l’étudiant dans son viseur.

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Le directeur général adjoint de l’université, Boris Roman-Dubreucq a demandé à un membre du personnel mi-septembre d’effectuer une sorte de filature envers Thomas, que le salarié a retranscrit dans ce document. / Crédits : DR

Le directeur général adjoint de l’Université, Boris Roman-Dubreucq a demandé à un membre du personnel à la mi-septembre d’effectuer une filature envers l’étudiant. Dans un document que StreetPress s’est procuré, envoyé au tribunal administratif après l’audience de Thomas le 15 septembre, le salarié notifie qu’il doit « confirmer » la présence de Thomas dans les locaux — ce qui est arrivé une fois lors de sa période d’exclusion débutée cet été. L’observateur décrit son « aller-retour dans l’escalier » dans le bâtiment de droit avant de conclure qu’il « était habillé d’un t-shirt rouge et je l’ai parfaitement reconnu ».

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Malgré son exclusion temporaire, la présence de l’intéressé n’est pourtant pas interdite sur le campus — une telle interdiction relevant d’une décision de justice. « Il y a une sorte d’acharnement contre lui », constate Armel, autre membre locale de Solidaires. Cette obstination relèverait du rôle politique qu’attribue l’université à Thomas. « Dans leur tête, il a un pouvoir énorme », appuient les membres de l’Union Pirate Nantes.

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Le 22 septembre, le directeur de la sécurité et ancien du renseignement, Thibaut Misériaux fait circuler un mail contenant la photo et l’identité de Thomas. « Est-ce le rôle des agents d’accueil de faire remonter ces infos là ? Et est-ce légal ? », s’inquiète-t-on dans une boucle du personnel. / Crédits : DR

La surveillance est encore montée d’un cran le 22 septembre, le jour de la réunion publique évacuée. À la demande de Boris Roman-Dubreucq — référent dans le département du parti Place publique — le directeur de la sécurité et ancien des renseignements, Thibaut Misériaux fait circuler un mail contenant la photo et l’identité de l’ex-étudiant. Cet écrit se termine par une demande explicite : montrer la tête de Thomas aux personnels d’accueil pour prévenir de sa présence. « Est-ce le rôle des agents d’accueil de faire remonter ces infos là ? Et est-ce légal ? », s’inquiète-t-on dans une boucle du personnel.

(1) Le prénom a été changé.

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Source: https://www.streetpress.com/sujet/1761146064-crs-exclusions-reunions-interdites-repression-fac-nantes-syndicat-carinebernault-solidairesetudiants-philippebaptiste-enseignementsuperieur-universite-uni

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