Port, aéroport, routiers… : plusieurs secteurs appellent à la grève en Martinique, la répression se durcit. (RP – 23/09/24)

Port, aéroport, routiers... : plusieurs secteurs appellent à la grève en Martinique, la répression se durcit
Crédits photo : Capture d’écran Associated Press

En Martinique, des secteurs du mouvement ouvrier se joignent à la mobilisation contre la vie chère et appellent à la grève ce jeudi. Malgré la répression qui se durcit avec l’envoi de la CRS8, le mouvement de contestation s’intensifie.

Ces derniers jours, loin de céder à la répression de l’Etat colonial, le mouvement contre la vie chère se durcit et s’étend à la Martinique. Alors que le couvre-feu a été décrété mercredi dernier, trois barrages au Lamentin ont été érigés dans la nuit du jeudi au vendredi et huit dans le sud de l’île. Les manifestants n’ont pas non plus cédé à l’interdiction de manifester effective depuis vendredi dernier : dès le lendemain de la publication de l’arrêté du préfet, une marche à l’appel du RPPRAC pour protester contre vie chère mais aussi dénoncer l’arrivée des CRS8, est partie du quartier de Dillon pour envahir une partie de l’autoroute A1 pendant plus d’une heure. Le même jour, un barrage a été érigé face au Carrefour Market du François, appartenant au Groupe Bernard Hayot, pour dénoncer la vie chère et la responsabilité des grands groupes. Dimanche, l’autorité de l’Etat colonial a de nouveau été contestée par plusieurs centaines de manifestants qui ont défilé contre la vie chère.

Une mobilisation qui s’étend à des secteurs du mouvement ouvrier

Malgré l’ampleur des dispositifs de répression déployés par l’Etat colonial, la mobilisation contre la vie chère s’intensifie et surtout s’élargit à des secteurs du mouvement ouvrier. Dans un communiqué publié le 20 septembre, la Confédération Générale du Travail de Martinique (CGTM) a annoncé avoir déposé un préavis de grève de 24 heures reconductible, couvrant de nombreux secteurs d’activité en Martinique. Une grève qui débutera ce jeudi.

Les revendications du communiqué sont les suivantes : « Relèvement du salaire minimum, des pensions de retraite et des minima sociaux à 2000 euros nets par mois ; Indexation des salaires, pensions et minima sociaux sur l’inflation ; Instauration du contrôle des prix des produits de première nécessité ; Arrêt de la répression judiciaire contre les militants. »

Dans la lignée de ce préavis de grève, les syndicats CGTM (Samac, Servair, Transair) de la zone aéroportuaire ont annoncé se joindre à la mobilisation. Dénonçant dans un communiqué les marges réalisées par la grande distribution et la complicité de l’État dans l’imposition d’une vie chère mortifère, Youri Rogol, délégué syndical CGTM à la Samac, a ainsi déclaré : « L’aéroport et le port sont des poumons économiques de la Martinique. S’il faut qu’on s’arrête de travailler et manifester, nous le ferons ».

Des propos qui soulignent l’importance stratégique de l’implication du mouvement ouvrier dans la mobilisation contre la vie chère, capable de bloquer des secteurs essentiels de l’économie martiniquaise. Une économie de containers, façonnée par un pacte colonial et marquée par une dépendance massive aux importations depuis l’Hexagone. Bloquer l’aéroport et le port revêt dans ces coordonnées un enjeu central pour le mouvement contre la vie chère.

Au-delà de la CGTM, le mouvement de contestation commence aussi à s’étendre aux routiers Martiniquais affiliés à l’UNOSTRA. Dès mardi, ils organiseront un « convoi contre la vie chère » et annoncent une série d’opérations molokoï au Lamentin, à Robet, Saint-Joseph et Case-Pilote.

Le retour des CRS : l’Etat, affaibli par la contestation, intensifie la répression

L’extension de la mobilisation contre la vie chère malgré la multiplication des dispositifs de répression témoigne de l’incapacité de l’Etat français à étouffer la contestation. Après l’annonce d’un couvre-feu dans certains quartiers de Fort-de-France et du Lamentin, et la publication vendredi dernier d’un arrêté interdisant sur une période de trois jours « les manifestations, attroupements et autres rassemblements revendicatifs » à Fort-de-France ainsi que dans les communes du Lamentin, de Ducos et du Robert, l’Etat a de nouveau étoffé son arsenal répressif ce week-end.

Samedi, le préfet a annoncé l’envoi de CRS8, en soutien au Groupe d’Appui de Nuit (GAN). La huitième Compagnie républicaine de sécurité, unité d’élite spécialisée dans la lutte contre les « violences urbaines » et formée au « maintien de l’ordre de haute intensité », est une véritable brigade coloniale, conçue pour mater les contestations dans les banlieues et dans les colonies. Créée par Darmanin (alors ministre de l’Intérieur et des Outre-mer) en juillet 2021, on a pu la retrouver en avril 2023 à Mayotte pour appuyer l’opération militaire et coloniale Wuambushu, et en Kanaky aux côtés du RAID et de l’armée. Elle est aussi intervenue pour étouffer la révolte des banlieues après la mort de Nahel. Son territoire d’intervention s’élargit à présent à la Martinique, après une interdiction de présence des CRS sur le sol de cette colonie pendant 65 ans.

L’envoi des CRS8 en Martinique est historiquement chargé de sens. Les Compagnies Républicaines de Sécurité avaient été bannies du territoire après avoir tué trois jeunes Martiniquais en décembre 1959. Le 20 décembre 1959, Frantz Moffat, un docker Martiniquais, est renversé en scooter par un automobiliste métropolitain blanc. Cet accident de la route a priori banal a ouvert une séquence de trois jours d’émeute entre la police nationale (dont une unité de CRS) et des Martiniquais. Cette révolte manifestait des tensions latentes et une colère profonde de la jeunesse martiniquaise qui dénonçait – quelques mois avant d’être déportée par le BUMIDOM – la misère généralisée qui persistait sur l’île treize ans après la fin officielle du statut de colonie et malgré les promesses d’égalité sociale et économique avec l’Hexagone associées à la départementalisation. Une révolte qui s’est soldée par la mort de trois Martiniquais, âgés de 15, 19 et 20 ans, tués par les CRS.

En réaction, dès le 24 décembre, le conseil général de Martinique vote à l’unanimité une motion portée par les élus communistes, dont le premier point exige « le retrait de tous les CRS et des éléments racistes indésirables ». Pour calmer une révolte où les voix indépendantistes se faisaient entendre, amenée à s’intensifier et remettant en cause la domination coloniale de l’Etat français, le gouvernement a suivi la motion du conseil général en appliquant le premier point portant sur le retrait des CRS de l’île. Une décision respectée pendant 65 ans, jusqu’à ce qu’elle prenne fin samedi dernier.

Depuis la création de la CRS8, le retour de ces forces de répression était vivement attendu par une partie des effectifs policiers présents dans les colonies, comme le montre un tract d’août 2021 signé par ALTERNATIVE Police CFDT. Celui-ci appellaitle ministre de l’Intérieur à revenir sur cette interdiction, un mois après la création de la huitième compagnie, expliquant : « A quoi cela sert d’avoir créé une Force d’Action Rapide – FAR – CRS8) ? (…) Face à l’extrême violence des manifestations en outre-mer, le Ministère sera seul responsable si nos collègues de Sécurité Publique, non formés au Maintien de l’Ordre, sont blessés voire pire ! ».

Cet envoi des CRS, 65 après leur interdiction du territoire, signe ainsi un saut dans la répression dans un contexte où une répression meurtrière s’abat sur les kanaks contestant la domination coloniale française. Alors que le gouvernement tente d’étouffer la contestation par des mesures toujours plus répressives et un appel au dialogue social et à la négociation avec les principaux groupes responsables de la vie chère, cette mobilisation sociale – qui pourrait s’étendre à des secteurs clés du mouvement ouvrier – ouvre la voie à une remise en cause de la domination coloniale qui s’exerce sur le territoire depuis quatre siècles.

A partir d’une telle intervention du mouvement ouvrier, une véritable alliance ouvrière et populaire pourrait se construire pour remettre en question l’ordre colonial et impérialiste qui régit à la Martinique depuis des décennies. Au-delà des revendications sociales et liées à la vie chère, une telle alliance pourrait être un point d’appui central pour remettre au goût du jour la question de l’autodétermination du peuple martiniquais, en exigeant le retrait total de la police française des Antilles, la fin de la répression judiciaire et coloniale et le démantèlement et l’expropriation des grands groupes de la grande distribution.

Source : https://www.revolutionpermanente.fr/Port-aeroport-routiers-plusieurs-secteurs-appellent-a-la-greve-en-Martinique-la-repression-se

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/port-aeroport-routiers-plusieurs-secteurs-appellent-a-la-greve-en-martinique-la-repression-se-durcit-rp-23-09-24/

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *