« Si rien ne change, on va dans le mur » : ce policier breton témoigne du mal-être des enquêteurs (OF.fr-23/06/25)

« Dans certains services, il y a entre 400 et 700 dossiers par enquêteur ! C’est ingérable », observe cet enquêteur breton. | DESSIN D’ILLUSTRATION BENOÎT VIEILLARD

L’investigation, autrefois vu comme « le graal » dans la police nationale, est aujourd’hui dévalorisée, faute de moyens. Un enquêteur breton a accepté de raconter son quotidien à Ouest-France. « La vraie question, prévient-il, c’est quelle sera la relève dans dix ou quinze ans ? »

Par Cédric ROGER-VASSELIN.

Depuis vingt ans, ce policier exerce comme officier de police judiciaire, actuellement dans un commissariat breton. Autrement dit, il est enquêteur de police. C’est pour montrer la surcharge de travail et la perte de sens de ce métier qu’il a accepté de témoigner, sans dévoiler son identité ni la ville où il travaille.

« Dans les années 2000, il y avait régulièrement plus de 400 candidats pour entrer dans la police judiciaire, c’était le graal. Aujourd’hui, plus personne ne veut venir, vu les contraintes : déficit de reconnaissance, absence de valorisation, pas de primes spécifiques, heures supplémentaires, impact sur la vie personnelle… Pire, dans les écoles de police, certains, pour être sûrs de ne pas aller à l’investigation, rendent des copies blanches pour ces épreuves. Les jeunes, ils regardent d’abord leur vie de famille, les loisirs, et ensuite le métier. C’est pour ça qu’ils préfèrent être en tenue pour les interventions sur le terrain, avec des horaires fixes et rien à penser en rentrant chez eux.

Plus personne ne s’intéresse à l’investigation et l’investigation n’intéresse plus personne— Un officier de police judiciaire

Moi, il y a vingt ans, je voulais passer à l’investigation. J’ai toujours aimé ça, et je n’ai pas changé. Mais ça a beaucoup évolué. J’ai travaillé dans plusieurs commissariats, plusieurs régions, et c’est partout pareil : plus personne ne s’intéresse à l’investigation et l’investigation n’intéresse plus personne.

On entend beaucoup parler du manque de moyens… C’est une évidence, mais là où je suis, le problème majeur, c’est le nombre de procédures qui nous tombent dessus ! Aujourd’hui, on est obligé d’accepter toutes les plaintes, on ne peut rien refuser. Dans certains services, il y a entre 400 et 700 dossiers par enquêteur ! C’est ingérable.

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On est entre notre hiérarchie, le procureur de la République et les victimes. Avoir 400 dossiers, c’est potentiellement 400 victimes qui peuvent t’appeler pour connaître l’avancée de l’enquête. Ou bien le procureur qui veut savoir et là, tu es obligé de lui apporter une réponse autre que : « J’ai cent dossiers plus urgents. »

Aujourd’hui, c’est triste à dire, mais les voleurs de voitures, ils peuvent dormir tranquille…— Un officier de police judiciaire

Aujourd’hui, l’investigation doit sans cesse s’adapter au gré des annonces politiques et de l’actualité. En ce moment, c’est le narcotrafic. Un patron de police ne peut pas laisser ses enquêteurs travailler plusieurs mois sur une affaire, ce qui fait qu’il n’y a plus de grosses affaires de police. Il doit faire remonter des chiffres, comme les préfets. Résultat, c’est mieux de rapporter dix fois dix grammes de produits stupéfiants qu’une fois cent grammes. Et une saisie de dix grammes équivaut à une saisie de dix kilos : dans les deux cas, c’est un seul dossier.

Ce policier d’un commissariat en Bretagne regrette le peu de moyens mis à disposition des enquêteurs. | ARCHIVES OUEST-FRANCE

Aujourd’hui, c’est triste à dire, mais les voleurs de voitures, ils peuvent dormir tranquille… Un jour, je voulais m’intéresser aux voitures volées. Mon patron m’a demandé combien ça allait lui rapporter en nombre de gardes à vue. J’étais incapable de lui répondre, il m’a dit de laisser tomber.

Heureusement, on conserve un esprit de corps entre collègues— Un officier de police judiciaire

Nous rencontrons aussi trop souvent des problèmes informatiques. Nos logiciels censés nous faire passer dans l’ère du tout numérique n’arrêtent pas de planter. Ajouter aux procédures qui sont tout sauf simplifiées, contrairement aux promesses des ministres qui se succèdent, on a en arrive à perdre un temps fou dans la rédaction des actes de procédure.

Heureusement, malgré tout ça, on conserve un esprit de corps entre collègues de l’investigation. On reste soudés, mais j’en connais qui demandent à partir, d’autres qui sont en burn-out. La vraie question, c’est quelle relève dans dix ou quinze ans ? Si rien ne change, on va dans le mur. »

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Source: https://www.ouest-france.fr/societe/police/si-rien-ne-change-on-va-dans-le-mur-ce-policier-breton-temoigne-du-mal-etre-des-enqueteurs-ceccb4d6-3fbb-11f0-9838-46aa9b466e5f

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