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Emmanuel Macron tente de créer une dynamique diplomatique autour de son annonce, pourtant assortie de conditions. La France dispose également d’autres moyens pour mettre fin à la guerre génocidaire à Gaza.
Par Pierre BARBANCEY & Christophe DEROUBAIX.
La France va devenir, en septembre, le 149e État membre de l’ONU à reconnaître l’État de Palestine. C’est dire si notre pays n’a pas été pionnier. Mais la reconnaissance annoncée jeudi 24 juillet par Emmanuel Macron pèsera néanmoins d’un poids particulier – la France est membre permanent du Conseil de sécurité et le premier pays du G7 à franchir le pas –, dans un moment particulier – les desseins du gouvernement Netanyahou pour Israël apparaissent clairement.
Emmanuel Macron est donc enfin sorti de l’incantation pour entrer dans l’action. La décision sera pleinement effective lors de l’Assemblée générale de l’ONU, en septembre, à New York.
C’est donc deux mois avant cette date clé que le président de la République a rendu public un virage diplomatique dont on parlait depuis plusieurs semaines. Ce qui amène à la première question : celle du « timing ».
Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il pris cette position maintenant ?
« Le temps venu », insistait Emmanuel Macron ces dernières semaines lorsqu’on lui demandait quand il formaliserait sa promesse du 9 avril, à bord de l’avion qui le ramenait d’Égypte : « On doit aller vers une reconnaissance (…), et dans les prochains mois on ira. »
Le temps est venu tardivement (l’Espagne, l’Irlande, la Slovénie et la Norvège avaient ouvert la voie en 2024) – puisque le caractère génocidaire de la guerre à Gaza devient un fait de plus en plus communément admis – et de manière apparemment précipitée : à la veille du grand week-end de chassé-croisé de l’été, en pleine trêve parlementaire, et à 21 h 16, drôle d’horaire, on en conviendra.
Comment expliquer cette accélération en pleine période estivale ? Plusieurs faits intervenus depuis l’annulation de la conférence à New York en juin, en raison du déclenchement de la guerre en Iran mais également des pressions exercées par les États-Unis, ont manifestement joué.
Il y a d’abord eu l’incapacité de l’Union européenne (UE) à prendre des sanctions alors qu’Israël a enfreint l’article 2 de son accord d’association avec les Vingt-Sept, portant sur le respect des droits humains. L’échec persistant des négociations indirectes de cessez-le-feu entre le Hamas et Tel-Aviv a fermé la perspective de l’ouverture rapide d’un cycle nouveau.
De plus, la veille, était intervenu le vote par le Parlement israélien (Knesset) par 71 voix (sur 120) contre 13 d’une motion symbolique mais tellement révélatrice en faveur d’une annexion des territoires occupés avec pour objectif de tuer dans l’œuf toute velléité menant à la reconnaissance d’un État palestinien. Enfin, et certainement surtout, la famine organisée à Gaza par le pouvoir israélien a rendu intenable toute position de statu quo pour Paris.
Quelle est la nature de cette reconnaissance ?
Pour forte qu’elle soit, l’annonce par Emmanuel Macron ne procède pas de la reconnaissance pleine et entière, comme l’y appelle notamment le député communiste israélien Ofer Cassif.
Elle laisse donc un goût d’inachevé : assez vague sur certains aspects et particulièrement précise sur d’autres. Le président, par exemple, ne mentionne pas Jérusalem-Est comme capitale du futur État de Palestine, ni la nécessité de revenir aux frontières de 1967. En revanche, il précise que cette nouvelle entité doit être démilitarisée. Une exigence qui étonne d’autant plus qu’elle s’avère unilatérale.
Un génocide est en cours à Gaza et un nettoyage ethnique se déroule en Cisjordanie. La puissance militaire israélienne se déploie dans toutes ses dimensions. Elle bombarde et tue les populations, affame les civils, cible les journalistes palestiniens qui osent faire leur travail (nous, reporters étrangers, sommes interdits d’entrer) et publient ces images que personne n’oubliera jamais.
Et pourtant, Emmanuel Macron ne demande pas la démilitarisation d’Israël (et encore moins son abandon de l’arme nucléaire que Tel-Aviv possède, secret de Polichinelle). Pourquoi ? En procédant ainsi, il laisse à penser que le danger viendrait des Palestiniens, de tous les Palestiniens, y compris d’une Autorité palestinienne qui s’engage pourtant à désarmer le Hamas et à ne pas l’inclure dans de futures structures étatiques.
La violence vient pourtant de l’occupation et de la colonisation des territoires palestiniens, de la volonté du gouvernement Netanyahou d’extrême droite de vider la bande de Gaza de l’essentiel de sa population civile après avoir systématiquement tout détruit (habitations, écoles, universités, hôpitaux, patrimoine culturel) et d’annexer purement et simplement la Cisjordanie occupée.
Enfin, le principe central du droit des peuples à l’autodétermination – valeur cardinale des relations internationales – implique que ce sera aux Palestiniens eux-mêmes de décider quelles formes ils voudront donner à leur État. Prétendre donner droit à une forme de justice sans appliquer pleinement le droit international n’est pas la moindre des contradictions de la posture d’Emmanuel Macron.
Israël veut-il d’un État palestinien ?
Sans surprise, Benyamin Netanyahou s’est élevé contre le positionnement d’Emmanuel Macron. « Une telle décision encourage le terrorisme », a-t-il écrit sur les réseaux sociaux affirmant également qu’un « État palestinien servirait de tremplin pour anéantir Israël, et non pour vivre en paix à ses côtés ».
Sans vergogne, il a expliqué que « les Palestiniens ne cherchent pas un État à côté d’Israël ; ils cherchent un État à la place d’Israël ». À se demander, en écoutant le premier ministre israélien, si ce ne sont pas les Palestiniens qui occupent et colonisent Israël, procèdent à un nettoyage ethnique dans une partie du territoire et à un génocide dans une autre.
L’annonce du président français a le mérite d’avoir fait sortir le loup du bois. On le savait déjà mais désormais c’est clair : le gouvernement israélien ne cherche même pas à imposer des conditions pour la reconnaissance d’un État palestinien. Il ne peut pas en être autrement vu le plan en cours : établir l’État d’Israël de la mer Méditerranée jusqu’au fleuve Jourdain.
Ce plan est en train de se mettre en place à Gaza, en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est avec la bénédiction des États-Unis. Le secrétaire d’État, Marco Rubio, juge d’ailleurs le pas en avant de la France « irresponsable (qui) ne fait que servir la propagande du Hamas et porter atteinte à la paix ».
La France, si elle veut que se concrétise réellement la création d’un État palestinien, doit donc, dans le même temps, contrecarrer les projets israéliens via un cessez-le-feu immédiat à Gaza et la fin de l’occupation des territoires palestiniens.
La décision de Paris aura-t-elle un effet d’entraînement ?
C’est tout le « pari » de l’Élysée qui espère que la réunion qui s’ouvre ce lundi 28 juillet à l’ONU, à New York, dans le cadre d’une conférence coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, puisse servir de tremplin.
Dans un entretien à l’hebdomadaire La Tribune Dimanche, Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, se montre optimiste : « Des pays européens y confirmeront à leur tour leur intention de reconnaître l’État de Palestine. Une moitié des pays européens l’ont déjà fait. Tous les autres y réfléchissent. »
Trop optimiste ? Keir Starmer a repoussé l’idée d’une reconnaissance immédiate, même si le Scottish National Party, au pouvoir à Glasgow, entend pousser à un vote du Parlement britannique. En Allemagne, où le soutien inconditionnel aux gouvernements israéliens constitue toujours une « raison d’État » (la formule est d’Angela Merkel en 2008), cette perspective semble encore plus lointaine.
Là aussi, la pression de l’opinion publique s’accentue sur le chancelier Friedrich Merz : selon un sondage de la télévision publique ZDF, 80 % des Allemands désapprouvent l’action d’Israël à Gaza. Sans soutien immédiat des deux poids lourds européens, Paris compte sur la Belgique, Malte et le Portugal, ainsi que sur le Canada et le Japon, encore hésitants.
Mais la « bataille » de la reconnaissance ne constitue qu’une partie d’une offensive plus globale pour mettre fin à la guerre à Gaza. D’autres moyens de pression sont à disposition de la France et des pays souhaitant stopper la folle mécanique : l’arrêt des livraisons d’armes et l’imposition des sanctions économiques, comme l’y invite Hala Abou Hassira, ambassadrice de Palestine en France.
Ulcérées par la famine organisée par la coalition d’extrême droite au pouvoir à Tel-Aviv, les opinions publiques placent leurs dirigeants respectifs au pied du mur. Benyamin Netanyahou l’a compris en décrétant une « pause tactique », qui dit bien son intention : il ne s’agit que d’une pause et elle n’est que tactique. Le but de la diplomatie sera de la rendre définitive et stratégique.
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