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David Cayla, maître de conférences en économie à l’Université d’Angers, analyse pour nous l’accord signé entre Donald Trump et l’Union européenne, qui prévoit des droits de douane de 15 % sur les produits européens. Pour lui, l’UE a laissé passer une chance historique d’affirmer son indépendance.
Entretien réalisé par Cyprien BOGANDA.
Quelle lecture faites-vous de l’accord signé ce 27 juillet ?
Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’il est déséquilibré ! La question est de savoir pourquoi l’Union européenne (UE) parvient à un accord finalement moins favorable que ce qu’a obtenu le Royaume-Uni qui négociait tout seul de son côté. Ce dernier a en effet obtenu des droits de douane de 10 % ainsi que quelques concessions sur des marchés libres de taxes.
L’UE, en revanche, c’est 15 % de droits de douane (sur les produits européens exportés vers les États-Unis, N.D.L.R.), avec en plus l’obligation d’acheter du pétrole et du gaz américain, sans compter l’armement. Enfin, les Européens ont promis d’investir 600 milliards de dollars sur le sol américain, ce qui va à rebours de toutes les promesses formulées dans l’UE au cours des dernières semaines, selon lesquelles l’épargne européenne devait être mobilisée pour financer la croissance et l’industrie européenne.
Pourquoi un accord aussi asymétrique ?
Tout simplement parce que les pays membres sont divisés, en raison de structures économiques différentes : entre les pays désireux de protéger leurs industries exportatrices, comme l’Allemagne et d’autres favorables à des positions plus fermes (comme la France), aucun terrain d’entente n’a été trouvé. Et ce sont finalement les logiques exportatrices qui se sont imposées : il n’y a qu’à voir le soupir de soulagement poussé par les industriels allemands, heureux d’échapper à des taxes de 30 %.
À l’arrivée, c’est surtout un échec politique de l’UE : on nous vend depuis des années l’idée selon laquelle, avec l’Union, les pays seraient plus puissants pour négocier des accords commerciaux avantageux. Et on se retrouve avec un accord plus mauvais que des pays hors UE. Si l’Union européenne, qui nous impose par ailleurs de multiples contraintes, ne nous protège même pas en cas de guerre commerciale, à quoi sert-elle ? À ce titre, cet accord va renforcer les discours eurosceptiques.
Quelles pourraient être les conséquences pour l’économie française ? Seuls quelques secteurs sont particulièrement exposés (aéronautique, spiritueux, médicaments), et il semblerait qu’ils ont été épargnés par l’accord…
Les choses ne sont pas aussi claires ce stade. L’aéronautique semble épargnée, en effet, mais il manque encore les détails sur les modalités concrètes de cette exemption. Pour ce qui est des spiritueux et de la pharmacie, il y a fort à parier que des taxes s’appliquent.
Ce qui semble évident, de toute façon, c’est qu’il y aura des destructions d’emplois en France : des entreprises exportatrices vont voir leurs carnets de commandes diminuer et réduire leur volume d’emplois. Dans un environnement déjà récessif en raison de l’impact du budget présenté par François Bayrou, la hausse des droits de douane ne va pas contribuer à améliorer l’économie française.
À plus long terme, d’autres choses sont préoccupantes. D’abord, la France (et l’Europe) vont accroître leur dépendance au numérique américain : à chaque fois que vous achetez un logiciel Microsoft ou que vous avez recours à Netflix, par exemple, vous payez pour ces services, sous forme de redevances ou d’abonnements. Tout cela commence à peser lourd dans la balance des paiements des pays européens.
Ensuite, il est probable que les entreprises européennes préféreront construire des usines aux États-Unis pour échapper aux droits de douane. Cela peut être le cas des labos pharmaceutiques, comme Sanofi, ou des groupes d’automobile. Il ne faut pas oublier que l’objectif de Trump est de pousser ses partenaires commerciaux à investir chez lui plutôt qu’en Europe.
Qu’aurait dû faire l’Union européenne ? Accepter pleinement la logique du bras de fer, comme l’a fait la Chine ?
Les différences économiques sont telles qu’il n’est pas évident de se comparer avec la Chine. Mais il aurait fallu, en tout cas, porter nos propres revendications, c’est-à-dire la conquête de l’autonomie stratégique européenne, en matière d’énergie, de défense et sur le numérique.
Cela impliquait de fixer des lignes rouges. Et de dire par exemple aux Américains que s’ils poursuivaient dans cette voie, nous irions taxer leurs géants du numérique et exclure certaines de leurs entreprises de nos appels d’offres. Je vous renvoie au rapport de Mario Draghi (publié par l’ancien président de la Banque centrale européenne en septembre 2024, N.D.L.R.), qui appelait à davantage de souveraineté européenne : c’est le contraire, que cet accord sur les droits de douane entérine.
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