Critique de la critique critique du guesdisme. (Le Grand Soir – 03/08/25)

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Par Guillaume SUING

Réponse aux objections de Gilles Questiaux (blog Réveil communiste) dans son article « Une tentative marxiste de déconstruire la déconstruction du marxisme« 

Un débat qui travaille le mouvement communiste français sur ce que d’aucuns appellent avec mépris le « wokisme » prend de l’importance ces dernières années, dans le contexte de la fascisation accélérée qui accompagne la crise capitaliste en Occident. Mon dernier article critiquait la tendance d’une partie de ce mouvement, que je qualifie de « guesdiste », à se démarquer systématiquement des questions « sociétales » (qu’on oppose mécaniquement aux questions « sociales ») pour mimer le purisme d’une lecture « orthodoxe » du marxisme, autrement dit une forme tellement immuable et exégétique qu’elle devient incapable de lutter dynamiquement contre les déviations révisionnistes actuelles (essentiellement post-modernes pour résumer).

Guesde n’est certes pas Doriot. Mais d’une certaine façon, par son « ouvriérisme étroit » et son chauvinisme, il y conduit. Nous y reviendrons.

Les questions qui font polémique -féministe, anticoloniale, antiraciste, écologique par exemple- toutes « sociétales » qu’elles soient, ont été posées et traitées dans la pratique par le camp socialiste au siècle dernier. A ce titre, elles fondent des convergences possibles pour les luttes actuelles, en cours de différenciation entre les réelles diversions bourgeoises post-modernes d’une part et les questions objectives qui doivent être résolues d’autre part pour unir réellement notre camp, celui du prolétariat. Dans sa nécessaire diversité (quand on est matérialiste), le prolétariat doit s’unir. Son unité n’est pas un état intangible et autoproclamé, mais une lutte consubstantielle à la lutte de classe, face à la bourgeoisie qui tente systématiquement de nous diviser.

Je souhaite répondre ici à une réaction de Gilles Questiaux, qui tient un blog intitulé Réveil communiste, à mon article « Remettre l’intersectionnalité sur ses pieds« . On trouvera cette réaction ici.

L’auteur me prête des intentions que je n’ai pas, en particulier concernant le PRCF (Pôle de Renaissance Communiste en France), qu’il pense visé dans ma critique du chauvinisme guesdiste. C’est une confusion abusive évidemment, entre patriotisme et chauvinisme : Le PRCF ne s’est jamais exprimé dans des termes islamophobes, et a toujours démontré par ses écrits et ses actions un internationalisme conséquent et assumé, porté par une approche progressiste de la nation, toujours trahie par sa bourgeoisie. J’ai certes des divergences avec le PRCF, sur l’importance de l’impérialisme français en tant que tel et donc sur les modalités tactiques d’une lutte contre cet impérialisme. Je pense également qu’une critique en profondeur du mouvement communiste français s’impose (en particulier, non seulement l’épiphénomène Doriot, mais surtout, justement, le « guesdisme ») pour que naisse un patriotisme conséquent et adapté à notre époque (et non pour enterrer toute forme de patriotisme).

Confondre chauvinisme et patriotisme reste en revanche dans cette réaction un symptôme intéressant. Caricaturer toute critique du guesdisme comme du nihilisme national revient évidemment à renforcer ce guesdisme. Confondre comme le fait l’article, immigration et islamisme est un trait tout aussi intéressant, qui va même au-delà du guesdisme, dans le logiciel fasciste du RN, aujourd’hui adopté par Retailleau et la macronie (voire au-delà à « gauche »).

Si Jaurès, dans sa polémique avec Guesde autour du début du XXème siècle, n’est pas exempt de critique, en particulier quant à son électoralisme et la forme problématique de son pacifisme, très loin du léninisme que nous connaissons (Jaurès n’aurait sans doute pas plus adhéré au défaitisme révolutionnaire que le partisan de l’union sacrée avec la bourgeoisie nationale Jules Guesde), Guesde s’est illustré par une position typiquement chauvine et étroitement ouvriériste dans l’affaire Dreyfus, point culminant de l’antisémitisme à l’époque. Il se refusait en effet, au prétexte que Dreyfus était un bourgeois accusé par d’autres bourgeois, à prendre position contre le racisme et pour la justice. Loin de la tradition jacobine, qui, pionnière, avait naturalisé tous les juifs de France, Guesde se refusait à « diviser inutilement la classe ouvrière » avec une question qui lui est prétendument étrangère. On sait où cela l’a conduit en 1914.

Disons les choses clairement : pour moi la référence à Guesde est une forme euphémisée de la nécessaire critique d’une partie du mouvement communiste révisionniste basculant vers la droite (et l’extrême droite). Dreyfus était en effet un bourgeois et d’une certaine façon l’affaire Dreyfus n’impliquait pas un danger de division de la classe ouvrière semblable à celui que nous connaissons aujourd’hui avec l’islamophobie.

Car notre prolétariat contient une part importante, cruciale même, de musulmans issus effectivement de l’immigration ouvrière, et à ce titre, l’islamophobie est devenue un racisme d’Etat directement orienté vers la division de notre classe. La lutte contre l’islamophobie est par conséquent une position de classe, s’opposant à la division de notre camp, diversifié par définition. La croyance en une classe ouvrière homogène, blanche, telle qu’elle était sans doute aux siècles précédents, relève de l’idéalisme gauchiste voire d’un chauvinisme racial sans rapport avec notre histoire populaire même (fondée sur le droit du sol contre le droit du sang). Cette croyance engage ses promoteurs aux inversions les plus graves : à la « lutte contre le communautarisme » (qui est en fait une lutte contre les communautés, et une seule en particulier), de type assimilationniste-colonialiste, et « contre le lumpenprolératiat » (en déformant utilement certaines réflexions de Marx sur les « sous-prolétaires » mendiants ou « parasites »). Cette dernière posture permet aux promoteurs guesdistes d’exclure les travailleurs immigrés et leurs enfants, petits-enfants, etc. du prolétariat en tant que tel, tout en recherchant une unité fictive entre les ouvriers blancs conscients et des parties égarées du prolétariat votant pour le RN par racisme. Si cette unité-là avait lieu (ce qui est impossible), elle serait obligatoirement réactionnaire.

Tout comme le trotskisme, traditionnellement chauvin et euro-centré, cette vision du lumpen (comprendre : les arabes musulmans qui seraient par définition « délinquants » ou « parasites » vivant des aides sociales) permet de prétendre lutter pour l’unité de la classe (blanche raciste et non raciste, ce qui est illusoire) et contre sa division par le « communautarisme », avec une analyse pseudomarxiste coiffant le tout par la nécessité pour la bourgeoisie de favoriser l’immigration pour baisser les salaires de tous. De fait, exclure la lutte des Sans-papiers de la lutte de classe est déjà le symptôme du guesdisme, alors que c’est précisément la régularisation des Sans-papiers (et non leur expulsion) qui permet par la lutte d’éviter la pression patronale sur les salaires de tous.

Cette vision chauvine, qui n’a jamais été celle du PRCF par exemple, est sans aucun doute celle d’électrons libres sans parti tels qu’Alain Soral (gravitant autour du RN) ou plus récemment « Loïc Chaigneau » (gravitant autour de Reconquête, le parti d’Eric Zemmour). D’autres électrons libres (et c’est d’ailleurs parce qu’ils le sont) suivent ce sillage avec temporalités diverses. Tel est selon moi le doriotisme. Et c’est bien le guesdisme qui l’inspire, courant qui inspire aujourd’hui au sein même du PCF les rousselistes (qui désignent de plus en plus clairement LFI comme ennemi principal pour ces mêmes raisons). Rousselistes qui croient faire revenir l’électorat populaire du RN au bercail par mimétisme (ce qui n’a jamais fonctionné évidemment). Ce n’est pas en taisant la lutte contre le racisme et l’islamophobie qu’on réunit notre classe mais en faisant de ce combat un point central de la stratégie de classe. L’unité de classe n’est pas « n’importe quelle » unité. Elle n’est pas non plus l’unité de « n’importe qui ».

Il y a sans doute dans le lumpenprolétariat des éléments d’origine immigrée (mais rappelons tout de même que beaucoup de SDF par exemple, jalousant, on le comprend, les formes de solidarité communautaire africaines, expriment une xénophobie qui ressemble étonnamment à celle des doriotistes « antilumpen »). On trouve aussi dans la petite bourgeoisie des éléments issus de l’immigration, bien sûr, à la marge. Ceci étant, la haine « antibobo » des guesdistes est bien souvent plus le symptôme d’une autophobie petite bourgeoise qu’une position réellement ouvrière, que les petits bourgeois guesdistes caricaturent souvent (par méconnaissance) comme anti-citadine et anti-intellectualiste. La haine doriotiste et fasciste du siècle dernier, centrée sur les « juifs », débordait souvent sur des non-juifs, forcément « francs-maçons ». Aujourd’hui les fascistes haïssent les arabes et les noirs certes, mais aussi tous ceux qui parmi les blancs sont antiracistes : ces derniers seront alors des « bobos », des « islamogauchistes ».

Résultat de telles inversions : leur islamophobie, forme raffinée et laïcarde de l’arabophobie, ne permet pas de lutter contre les formes nouvelles de l’idéologie fasciste (à laquelle ils adhérent au final) et contre le RN (auquel il faudrait tendre la main), mais conduit nécessairement à minorer l’idéologie coloniale, à l’unisson avec l’impérialisme français. Par un tour de passe-passe, on finit donc par approuver la loi bourgeoise (fascisante) dite « immigration » au motif qu’elle entraverait une immigration qui lui profite ! On s’intéressera dans ce contexte à la funeste trajectoire d’un André Gérin, cadre du PCF passé au sarkozysme puis à la lutte directe contre « cette immigration qui défigure la France » (sic). Gérin n’a pas été purgé du PCF : il l’a quitté, récemment, pour dénoncer ceux qui en son sein reste coupable d’une complicité avec LFI !

On l’aura compris ce guesdisme chauvin et plus ou moins raciste, n’est pas seulement l’agent d’une division ouvrière qu’il prétend pourtant entraver, c’est encore le ferment d’une désagrégation de l’internationalisme, consubstantiel au communisme. On oublie par exemple, par euro-centrisme et délire du « grand remplacement », que l’immigration africaine est une catastrophe pour les pays africains, qui perdent leurs élites et leurs forces productives au profit des pays occidentaux (chez qui l’écroulement démographique reste la catastrophe principale touchant aussi bien capitalisme que communisme au vingtième siècle). L’internationalisme est la solution à ce problème puisqu’il lutte contre l’impérialisme, français pour ce qui nous concerne, écrasant les économies africaines. Le fait que Gilles Questiaux me prête, sans l’avoir lu nulle part, l’idée que je serais contre « les frontières » est tout à fait significative d’une lecture simpliste et manichéenne de la situation, guesdiste donc. De même que fonder la croyance dans une unité retrouvée de la classe ouvrière blanche sur le NON à la Constitution européenne de 2005 est une distorsion du réel, conduisant à minimiser la fascisation actuelle (le RN ne serait pas « fasciste », le « fascisme » n’existerait plus ou serait plutôt à trouver chez Macron) pour mieux tendre la main aux électeurs racistes. Si la classe ouvrière a massivement voté NON en 2005, rappelons d’une part que sa grande masse, loin de voter RN, s’abstient aux élections habituellement, et que d’autre part, l’envol du vote RN, pro-UE, depuis 2005 ne s’aurait s’expliquer sérieusement que par une explosion raciste islamophobe en France, sous le déluge médiatique l’encourageant quotidiennement.

La « lutte contre le wokisme » est devenue pour le courant guesdiste, une sorte de clé de voûte de toutes les idées qui conduisent à tendre la main au RN contre les « communautarismes ». Pourtant, si ce « wokisme » est né d’idées postmodernes, celles-ci sont tout autant occidentales et même franchouillardes (jusqu’à la « French » theory !) que celles des guesdistes chauvins qui prétendent s’y opposer. La véritable lutte pour l’unité de notre classe se trouve enfermée dans les méandres d’un « marxisme occidental » (cf. Domenico Losurdo) dont le contre-poison ne peut être que l’étude des expériences communistes non occidentales. C’est ce à quoi invite mon précédent article.

Guillaume SUING

Source : https://www.legrandsoir.info/critique-de-la-critique-critique-du-guesdisme.html

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/critique-de-la-critique-critique-du-guesdisme-le-grand-soir-03-08-25/

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