80 ans après, la droite japonaise piétine la mémoire des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki (H.fr-5/08/25)

Des victimes japonaises de la bombe atomique. Aujourd’hui, le Japon relègue la mémoire des bombardements d’Hiroshima et Nagazaki au second plan tout en se réarmant. © DR

Les 6 et 9 août 1945, les habitants de Hiroshima et Nagasaki subissaient l’indicible horreur de la bombe A. Lentement mais sûrement, les partis de droite du Japon, seul pays dans l’histoire visé par le feu atomique, tentent d’effacer cette mémoire et de renouer avec un passé belliciste.

Par Axel NODINOT.

Hiroshima, Tokyo (Japon), envoyé spécial.

Le ciel est gris, pesant, comme s’il n’avait pas craché tous ses flocons ce matin de mars. Le centre de Hiroshima est encore trempé, presque gelé, et les bonnets et doudounes progressent jusqu’au mémorial, entre deux bras de la rivière Ota.

Il est difficile d’imaginer que l’un des plus grands drames de l’histoire contemporaine s’est joué dans cette ville quasiment reconstruite. Le 6 août 1945, à 8 heures 15 du matin, la bombe atomique « Little Boy » est larguée par un avion états-unien sur le pont d’Aioi, dans l’hypercentre de Hiroshima.

À Hiroshima, un passé nucléaire toujours très présent

En quelques secondes, 70 000 personnes meurent, 70 000 autres les suivront du fait des radiations. La moitié de la ville. Trois jours plus tard, c’est « Fat Man » qui tue 80 000 personnes à Nagasaki. Aujourd’hui, il ne reste à Hiroshima que le dôme de Genbaku, dont le squelette de pierre et de fer a résisté malgré sa proximité avec l’hypocentre de la bombe.

À l’intérieur du mémorial, un musée où personne ne chuchote rappelle l’horreur. La dévastation qui rendit fous les hibakusha (« survivants ») ; la « pluie noire et gluante », radioactive, que « les gens buvaient parce qu’ils avaient soif » ; les corps repêchés à l’aide de longs crochets à incendie ; la solitude d’un jeune fiancé qui écrit dans son agenda : « Si Mikiyo était encore vivante, je me dis que je ferais tout pour elle. »

Quatre-vingts ans plus tard, le monde entier repense à ces jours funestes, bien plus que les dirigeants japonais eux-mêmes. « Nous sommes beaucoup mieux traités et considérés à l’étranger que dans notre propre pays », déplorait dans l’Humanité Shigemitsu Tanaka, l’un des derniers représentants des hibakusha et prix Nobel de la paix 2024 avec son association, Nihon Hidankyo.

« Les années qui ont suivi, beaucoup d’efforts ont été faits pour l’éducation à la paix mais, désormais, cette question est mise de côté, nous avons donc un peu peur que notre mémoire, celle des bombardements et de la guerre, disparaisse. »

Dans les milieux nationalistes, la bombe atomique fait presque figure d’aubaine et permet d’occulter les débats sur les crimes de guerre japonais en Asie qui firent plusieurs millions de morts. En l’espace d’un instant, le Japon est passé du statut d’agresseur à celui de victime.

Un Japon militarisé qui rompt avec l’esprit pacifiste d’après-guerre

Depuis une dizaine d’années, sous la houlette du Parti libéral-démocrate (PLD, droite), l’archipel détricote sa Constitution pacifiste, imposée par les États-Unis après 1945. Sa cible : l’article 9, qui autorise seulement le Japon à disposer de « forces d’autodéfense », les jieitai.

Le premier ministre Shinzo Abe (2012-2020, assassiné en 2022) a d’abord permis au Conseil des ministres de changer les textes, pour autoriser le déploiement des soldats dans des zones de conflit. Son successeur Fumio Kishida (2021-2024) a considérablement augmenté les moyens de l’armée, et Shigeru Ishiba (depuis octobre 2024), partisan d’une « Otan asiatique » contre la Chine, ambitionne de porter à 2 % du PIB le budget de la défense en 2027.

« C’est une promesse du gouvernement aux États-Unis, qui demandent même 3,5 % du PIB, comme pour les pays membres de l’Otan, fustige Yasuo Ogata, vice-président du Parti communiste japonais (PCJ), l’une des seules formations à prôner la paix envers et contre tout. Nous luttons contre cette tendance militariste, nationaliste et pro-états-unienne, puisque tout cela est anticonstitutionnel. Rendez-vous compte : le Japon est devenu l’une des dix plus grandes puissances militaires au monde ! »

Entraîné par le bellicisme de son indispensable partenaire états-unien, Tokyo commande toujours plus d’avions de chasse, a remis à l’eau l’année dernière son premier porte-avions depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et n’hésite pas à reparler de la pire des armes, fait invraisemblable pour le seul pays atomisé de l’histoire.

Le Japon de plus en plus aligné sur les stratégies américaines

Shigeru Ishiba évoque sans fard le « parapluie nucléaire américain », et a refusé de participer, en février, à la conférence mondiale sur le traité de non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Lors du sommet de l’Otan, le 25 juin, Donald Trump osait justifier les bombardements des installations nucléaires iraniennes par l’exemple de Hiroshima et Nagasaki, « qui ont aussi mis fin à une guerre ».

Un argument balayé par les historiens états-uniens Gar Alperovitz et Jeremy Bernstein, qui estiment que le Japon avait entamé des démarches diplomatiques pour étudier les conditions de la capitulation bien avant le largage de la bombe.

Il faut donc lire Hiroshima et Nagasaki comme un prélude à la guerre froide et comme une démonstration de force de Washington face à Moscou. « La déclaration (de Trump) a provoqué une grande colère au sein du peuple, qui a aussi reproché au gouvernement son silence » , observe Yasuo Ogata.

Cette aberrante fuite en avant guerrière méprise la mémoire des Japonais, qui ont connu l’horreur dans leur chair. Elle efface le travail de Takeshi Araki, ancien maire de Hiroshima, fondateur en 1982 de l’association des Maires pour la paix, qui réunit aujourd’hui plus de 8 000 communes de 166 pays.

Elle brûle les ailes des 1 000 grues en origami de Sadako Sasaki, cette jeune fille qui contracta « la maladie de la bombe atomique », la leucémie, et plia le plus de papier possible dans son lit d’hôpital avant d’y mourir, à l’âge de 12 ans. À Hiroshima, une statue de Sadako entourée de ses grues rend hommage à celle qui est devenue un symbole de la paix dans le monde.

Comme un affront, à deux pas du Kokyo, le palais impérial en plein centre de Tokyo, un gigantesque torii (« portail ») marque l’entrée du temple de Yasukuni, le repaire des révisionnistes d’extrême droite. On vient y prier les 2,5 millions de « divinités », ces soldats morts pendant les « incidents » de la « Grande Guerre de l’Asie de l’Est », la Seconde Guerre mondiale.

La droite nationaliste japonaise se radicalise

Dans un parc paisible, entre les cerisiers, il y a une statue du chef de guerre Masujiro Omura, à cheval. Sur un petit chemin de graviers, un monument, certes modeste, glorifie la Kempeitai, la Gestapo japonaise. Celle-là même qui massacra, viola et tortura les opposants japonais comme les habitants des pays occupés.

À l’image de l’« Unité 731 », en Chine, où les docteurs de l’armée impériale testaient de terribles armes bactériologiques sur des humains. Cette année, Shigeru Ishiba lui-même a fait des offrandes au temple de Yasukuni, comme ses prédécesseurs du PLD.

Encore plus à droite, les mouvements suprémacistes sont de plus en plus puissants. Ils ont conquis leurs 17 premiers sièges lors des élections sénatoriales du 20 juillet 2025.

Certains d’entre eux reprennent même le drapeau de l’Empire japonais. « Ils suivent la même tendance qu’en Europe, avec des discours populistes, xénophobes, qui prônent le « Japan First » et même le contrôle de Donald Trump sur le pays », alerte Yasuo Ogata.

Et la remilitarisation. « Le lien entre le nationalisme et l’armement est récurrent, souffle Éric Valade, chargé de la paix et du désarmement à la CGT, qui se rend à Hiroshima pour les commémorations. Le repli sur soi permet à ces idées de se déployer. Mais le Japon, comme l’Allemagne, s’est développé économiquement parce qu’on allouait moins d’argent à l’armement. Il n’y a pas de développement social ni de justice dans un monde en guerre. »

Face à la menace nucléaire, les syndicats et les pacifistes s’organisent

Le syndicaliste déplore que si peu d’États aient signé le traité d’interdiction des armes nucléaires. Et met en avant les initiatives pour la paix, essentielles : « Au sein des fédérations, les métallurgistes travaillent sur la reconversion et la diversification des entreprises qui s’occupaient des anciens arsenaux ; l’énergie sur la redirection de la production de la centrale de Civaux destinée aux armes nucléaires ; les dockers refusent de charger des armes destinées à Gaza ou au Yémen. »

Au Japon, le Parti communiste tiendra « dans les prochains mois une conférence mondiale, dans la foulée des commémorations, car nous ne devons pas revivre l’enfer sur terre qu’a été le bombardement atomique », annonce Yasuo Ogata. « L’humanité ne peut coexister avec les armes nucléaires, conclut-il, et la dissuasion ne protège ni la paix, ni la liberté. »

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Source: https://www.humanite.fr/monde/2e-guerre-mondiale/80-ans-apres-le-japon-pietine-la-memoire-dhiroshima-et-se-rearme-comme-si-lapocalypse-nucleaire-navait-jamais-eu-lieu

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/80-ans-apres-la-droite-japonaise-pietine-la-memoire-des-bombardements-dhiroshima-et-nagasaki-h-fr-5-08-25/

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