
La loi Duplomb a été validée par le Conseil constitutionnel, qui n’a censuré que sa disposition la plus contestée, celle qui prévoyait de réautoriser des pesticides de la famille des néonicotinoïdes, dont l’acétamipride.
Par Jeanne CASSARD.
La régression environnementale et sanitaire tant redoutée a finalement été évitée en partie. Le Conseil constitutionnel a censuré partiellement la loi Duplomb, jeudi 7 août. Les Sages se sont opposés à l’une de ses mesures les plus décriées : la réintroduction de trois insecticides de la famille des néonicotinoïdes, dont l’acétamipride. Ils justifient cette décision en s’appuyant sur la Charte de l’environnement, qui a valeur constitutionnelle.
« C’est historique, salue Arnaud Gossement, avocat en droit de l’environnement. C’est la première fois que le Conseil constitutionnel censure un article de loi en se basant sur la Charte de l’environnement. » Il se réfère précisément à son article 1, qui indique que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».
« En affirmant que le législateur ne peut pas priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, les Sages ne consacrent pas le principe de non-régression en principe à valeur constitutionnelle, mais c’est un premier pas dans cette direction », précise Arnaud Gossement.
Les membres de l’institution ont estimé que « faute d’encadrement suffisant » — la loi Duplomb ne prévoyant en effet pas de limite dans le temps ni dans l’espace de l’usage de ces pesticides —, il n’est pas possible d’appliquer la jurisprudence de 2020, découlant de la Charte de l’environnement.
Ils avaient reconnu, dans un avis de 2020, la dangerosité des néonicotinoïdes, qui ont « des incidences sur la biodiversité » et « induisent des risques pour la santé humaine ». Seulement, à l’époque, ils avaient autorisé des dérogations permettant leur utilisation uniquement pour la filière betterave et jusqu’en 2023.
Réserves sur les mégabassines
Le texte, qui facilitera tout de même la construction des mégabassines, en les déclarant « d’intérêt général majeur », et l’implantation de fermes-usines, reste un concentré de reculs environnementaux.
Le Conseil constitutionnel a simplement émis deux réserves concernant l’article sur les mégabassines, précisant qu’il sera toujours possible de « contester devant le juge l’intérêt général majeur ou la raison impérative d’intérêt général majeur » de ces projets. « Ici, le Conseil constitutionnel retire l’essentiel du venin, analyse Arnaud Gossement. Certes, les mégabassines restent qualifiées d’intérêt général majeur, mais elles pourront toujours être contestées devant un juge, ce que ne permettait pas la loi Duplomb à l’origine. »
Les Sages n’ont pas dit un mot des dispositions concernant l’élevage industriel.
En revanche, concernant l’adoption de la loi grâce à une motion de rejet votée par ses partisans à l’Assemblée nationale, le Conseil a estimé que cette procédure était bien conforme à la Constitution. « Au regard des conditions générales du débat, l’adoption de la motion de rejet préalable en première lecture à l’Assemblée nationale n’a méconnu ni le droit d’amendement, ni les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire », indiquent les Sages.
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Cette décision du Conseil constitutionnel est un énième rebondissement dans le feuilleton de la loi Duplomb, qui reprend quasiment mot pour mot les arguments de la FNSEA, le syndicat agricole productiviste. Pas surprenant, puisqu’elle a été portée par le sénateur Laurent Duplomb (Les Républicains), ancien président de la chambre d’agriculture de Haute-Loire sous l’étiquette FNSEA, président pour sa région du géant du lait Sodiaal et membre du conseil de surveillance de la marque Candia.
Pas de débat à l’Assemblée nationale
La mainmise de la FNSEA dans l’écriture du texte n’est pas le seul problème démocratique concernant la loi Duplomb. Le gouvernement, mis sous pression par le syndicat qui avait envoyé ses militants devant l’Assemblée nationale le jour de l’examen du texte, a fait en sorte qu’aucun débat n’ait lieu dans l’hémicycle.
Les partisans de la proposition de loi, c’est-à-dire la droite, l’extrême droite et une partie du bloc central, ont adopté une motion de rejet afin de contourner les milliers d’amendements déposés par les opposants. Ainsi, la proposition de loi a été envoyée directement devant une commission mixte paritaire qui réunissait quatorze parlementaires, majoritairement favorables au texte.
Celle-ci en a conservé les principales dispositions, à l’exception de celle concernant l’Anses, l’agence chargée d’évaluer les risques sanitaires et de délivrer les autorisations de mise sur le marché des pesticides. Ultime pied de nez, la mise sous tutelle de l’agence a finalement été opérée quelques jours plus tard, via un décret du gouvernement qui l’oblige à suivre un calendrier imposé en matière d’examen des pesticides.
La surprise de la contestation populaire
Le texte, ensuite validé au Sénat le 2 juillet, puis à l’Assemblée nationale cinq jours plus tard, est donc passé comme une lettre à la poste. Mais en votant cette loi dévastatrice pour la santé et l’environnement, ses défenseurs ont sous-estimé un élément non négligeable : la contestation populaire.
Alertés grâce à la campagne de mobilisation de nombreuses associations, de Générations futures à Cancer Colère, les citoyens ont exigé des comptes. Première étape : interpeller en masse les députés ayant soutenu le texte. Face à l’absence de réponse, à la gêne, voire aux menaces proférées par certains élus, la vague de colère s’est transformée en tsunami.
En témoigne le succès historique de la pétition exigeant le retrait de la loi. Lancé par une étudiante de 23 ans le 10 juillet, le manifeste a atteint 2 millions de signatures. Jamais une requête lancée sur la plateforme de pétition citoyenne du site de l’Assemblée nationale n’avait reçu autant de soutiens.
Prises de court par cet élan citoyen, plusieurs personnalités chez les macronistes ont proposé de consulter l’Anses au sujet de la dangerosité de l’acétamipride. D’autres, comme la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, se sont dits ouverts à un débat au Parlement. Des propositions qui n’engagent à rien.
Emmanuel Macron avait la possibilité de ne pas promulguer la loi en renvoyant le texte devant le Parlement pour demander une nouvelle délibération, mais il a annoncé quelques minutes après la décision du Conseil constitutionnel qu’il déclarerait cette loi valable « dans les meilleurs délais ».
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