
Le massif des Corbières est, depuis mardi, le théâtre d’incendies incontrôlables qui se propagent à une vitesse fulgurante en direction de l’est du département. Plus de 16 000 hectares sont déjà partis en fumée.
Par Antoine PORTOLES.
Aude, envoyé spécial.
Il suffit de pénétrer dans le massif des Corbières pour voir un nouveau monde s’ouvrir devant soi, un monde aux allures apocalyptiques, recouvert de cendres. Une terre désolée d’où s’échappe une fumée qui irrite les bronches. L’incendie d’une ampleur considérable – c’est le pire de la saison estivale, pour l’heure – s’est déclaré mardi, aux alentours de 16 heures, dans l’Aude, au niveau de la commune de Ribaute.
À l’heure où ces lignes étaient écrites, 16 000 hectares avaient déjà brûlé mercredi et 15 communes étaient toujours placées en alerte. Au total, d’après la préfecture du département, plus de 2 000 pompiers, déjà harassés par plusieurs semaines de feux dans le Sud et le Sud-Est de la France, sont engagés dans une course folle pour stopper les flammes. Ils sont appuyés par des forces militaires, par la gendarmerie, ainsi que par les habitants, prêts à braver tous les risques pour soutenir l’effort de lutte.
Au moins un mort
Pour passer de l’autre côté du miroir, là où des brasiers continuent de saccager la végétation, nous serpentons à travers les petites routes bitumées, sans cesse dépassés par des camions-citernes et par des habitants en panique au volant de leur véhicule. Près de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, la fumée s’épaissit autour de nous. Le massif, d’habitude luxuriant, bercé par le chant des cigales, est plongé dans un silence de mort, que brisent seules, dans cette atmosphère étrange, les sirènes des pompiers.
Un homme agrippé à son quad remonte la pente d’une colline. « Vous n’avez pas vu des chiens dans la zone ? » demande-t-il d’un air décontenancé. « Je tiens un chenil ici. Ce matin, j’en ai retrouvé deux calcinés dans le champ en contrebas. Le troisième se cacherait près de la route départementale d’après des voisins, et je suis toujours sans nouvelles du quatrième. »
Difficile d’y voir clair dans ce paysage grisâtre, où plusieurs teintes de cendres, tirant du blanc au noir, ont recouvert le sol. Des rangées de vignes, restées intactes malgré le passage du feu, forment la dernière trace de vert dans la zone. À l’entrée de Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse, des nuées de pompiers et de gendarmes affluent de toutes parts.
Les habitants, encerclés par le nuage de fumée, ont bien du mal à saisir d’où vient le danger. C’est dans ce hameau qu’un décès a été recensé mardi soir, tandis qu’un autre habitant est toujours porté disparu. Plusieurs maisons ont fini carbonisées. C’est ici que le premier ministre François Bayrou s’est rendu en déplacement en fin d’après-midi.
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François Bayrou annonce un « plan de sauvegarde et d’avenir »
Le premier ministre s’est rendu sur place mercredi 6 août. François Bayrou y a annoncé un « plan de sauvegarde et d’avenir », alors que le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau soulignait à ses côtés que ce feu était celui « qui a brûlé le plus d’hectares depuis 1949 ». Le chef du gouvernement a attribué la violence des incendies au changement climatique et estimé qu’au-delà de la crise immédiate, il faudrait s’en prémunir désormais.
Il a aussi esquissé des pistes pour un futur plan pour les Corbières : « Quels types de plantations ? Quel avenir pour la vigne ? Quelles possibilités d’imaginer des essences différentes qui pourraient être des essences résistantes à la progression du feu ? » « Nous allons mener ce travail avec les élus locaux », a-t-il assuré, précisant que l’économie des Corbières devrait aussi s’adapter à la menace climatique. Interrogé sur la situation des sinistrés, il a promis de « mobiliser tout ce qui existe, et si on peut, un peu plus » pour les indemniser « le plus vite possible ». « Mais le plus vite possible, ça n’est généralement pas assez vite », a-t-il tempéré.
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Plus tôt dans la journée, une rangée de quatre Canadair a fait son apparition, comme tombée du ciel, à proximité de Ribaute, à quelques kilomètres à l’ouest. Les avions bombardiers ont largué de gros volumes d’eau sur les flammes encore vives avant de s’éclipser. Ils ont été suivis par des hélicoptères équipés de nasses rouges, remplies à basse altitude dans les puits et les mares avant d’être déversées sur les braises.
Le feu se propage toujours plus vite
La mission est périlleuse puisque le feu s’est propagé à la vitesse de l’éclair, parcourant des milliers d’hectares en l’espace de quelques heures, galvanisé par des vents violents et par une sécheresse hydrique persistante ; à ce sujet, l’Aude est même placée en situation de crise depuis vendredi, selon le ministère de la Transition écologique. Le dispositif national déployé mercredi est lui aussi considérable : neuf Canadair, cinq Dash, un avion d’investigation Beechcraft, deux hélicoptères et deux petits appareils Air Tractor, liste à laquelle il faut ajouter 500 engins au sol.
Nous poursuivons notre route à Ribaute, où s’est noué le drame. Sur les hauteurs, tout un pan de la colline a été réduit à néant. Les pins parasols calcinés se comptent par centaines. Là encore, le décor pourrait laisser songer à de la pure fiction, mais le feu a bien laissé son empreinte sur la terre la veille et jusque tard dans la nuit. Jean-Marie observe cette colline depuis son logement, plus bas. « L’incendie a démarré juste au-dessus à 16 h 30, on a eu très peur. On l’a vu passer devant la maison en seulement 45 minutes », confie le vigneron, directeur d’un domaine à Boutenac.
L’émotion le prend à la gorge. « J’ai été pompier pendant vingt ans, je n’ai jamais vu ça. La rapidité des flammes, leur puissance. Heureusement qu’on a été protégé in extremis par le champ de vignes qui sépare les résidences du haut de la colline », poursuit-il. Sans ces cultures, le feu serait inéluctablement descendu dévorer une partie du village. Près de là, on aperçoit d’ailleurs d’autres maisons, cernées par les cendres, et pourtant miraculeusement debout.
« Tout ça, c’est à cause du vent qui a soufflé, mais aussi du fait qu’il n’ait pas plu suffisamment depuis quatre ans ! peste le Ribautois de naissance. On a eu quelques averses à la fin du printemps, de l’herbe qui a poussé derrière mais qui a vite séché, puis tout ça s’est embrasé. » Dans la nuit, avec quelques voisins, Jean-Marie est allé prêter main-forte aux soldats du feu. L’un avec un seau. L’autre avec son tuyau d’arrosage.
Pas de quoi faire reculer le monstre. À côté de la mairie, Claire et sa troupe de théâtre devaient se produire mardi soir devant une cinquantaine de personnes. « Demain, on doit démonter le décor et aller jouer à Paraza », explique-t-elle, sans certitude sur la suite des événements. Les nappes à carreaux sont encore sur les tables qui étaient censées accueillir le public. Elles ont finalement servi à réconforter habitants et pompiers autour d’un café et de viennoiseries.
Comment en est-on arrivé là ? D’aucuns évoquent un barbecue qui aurait mal tourné aux abords d’une rivière. D’autres, un jet de mégot de cigarette dans la nature. Des gestes désinvoltes, des étincelles qui allument des catastrophes, exacerbées par le réchauffement climatique.
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