« On va faire quoi ? Laisser ces gens crever la gueule ouverte ? » : face aux mensonges de Bayrou sur les arrêts maladies, les médecins haussent le ton (H.fr-10/08/25)

Après le mensonge du gouvernement sur les arrêts maladie non justifiés, les médecins expriment leur colère et alertent au sujet de la dégradation des conditions de travail.

Alors que le gouvernement cherche par tous les moyens à réaliser 5,5 milliards d’euros d’économies en s’attaquant aux arrêts maladie, les praticiens s’élèvent contre cette mesure stigmatisante pour les patients, qui occulte un autre phénomène massif : la dégradation des conditions de travail.

Par Cécile ROUSSEAU.

Des chiffres d’arrêts maladie biaisés jetés sur la place publique. Dans sa croisade pour réaliser 5,5 milliards d’euros d’économies sur la santé en 2026, François Bayrou a martelé que plus de 50 % des arrêts longs n’étaient pas justifiés, antienne reprise quelques jours plus tard par Catherine Vautrin, la ministre de la Santé. Or, la synthèse du rapport « charges et produits »de la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) pour 2026 dont est issu ce pourcentage est beaucoup plus nuancée : « Des contrôles médicaux ponctuels sur les arrêts de plus de dix-huit mois ont montré que 54 % des arrêts concernés par ces contrôles n’étaient plus justifiés, avec la possibilité d’une reprise du travail pour le salarié ou d’un passage en invalidité. »

En réalité, comme l’a révélé APM News (agence de presse médicale), relayée par Libération, seuls 18 585 arrêts ont été contrôlés, bien loin des 9 millions d’arrêts de travail prescrits chaque année. Sur ces 54 % d’arrêts soupçonnés d’être de complaisance, seuls 12 % ont été considérés comme infondés et ont conduit le médecin-conseil à acter une reprise du travail. Les 42 % restants « ne relevaient plus de l’arrêt de travail, mais d’une pension d’invalidité ». Rien à voir, donc, avec un phénomène généralisé de fraude à l’assurance-maladie.

Obsession du gouvernement

Cette manipulation statistique a fait bondir les généralistes. « Ces déclarations culpabilisantes pour les patients ne sont pas sérieuses, dénonce Jean-Christophe Nogrette, généraliste, secrétaire général adjoint de MG France (syndicat de médecins généralistes), qui est monté au créneau comme nombre de ses confrères. On parle ici de personnes en situation d’invalidité, ce qui ne dépend pas du généraliste qui prescrit l’arrêt, mais du médecin-conseil de la Sécu. Si les arrêts peuvent parfois s’étirer, c’est d’ailleurs parce que nous n’avons pas accès rapidement à eux comme ils sont en pénurie ! En Ardèche, par exemple, il n’y a plus du tout de médecin-conseil. De mon côté, si j’ai affaire à un maçon qui ne peut plus exercer et qu’on ne peut pas reclasser, je vais prolonger son arrêt. Une mise en invalidité trop rapide n’est pas non plus souhaitable pour le patient. C’est un processus qui prend du temps, après des mois de prise en charge, et entraîne une perte de revenus. »

Cette obsession du gouvernement est d’autant plus incompréhensible que l’assurance-maladie reconnaît elle-même que 60 % de la progression des indemnités journalières (en hausse en moyenne de 6 % par an entre 2019 et 2023) serait due à une augmentation et à un vieillissement de la population active mais aussi à la hausse des salaires. Le tout dans un contexte de recrudescence des maladies chroniques.

« Les patients ne choisissent pas d’avoir de plus en plus de troubles psychologiques, de diabète, d’hypertension… La Cnam reconnaît qu’il y a une évolution naturelle des dépenses de 10 milliards l’année prochaine. Pour réaliser les 5,5 milliards d’euros d’économies, on va faire quoi ? Laisser crever ces gens la gueule ouverte ? » s’énerve Jean-Christophe Nogrette.

« Notre quotidien est déjà une épreuve »

Victime de la maladie de Berger, qui provoque une insuffisance rénale, en attente d’une deuxième greffe, Manuela Déjean, bénévole au sein de l’association Renaloo, se sent stigmatisée en permanence. « Ça nous rajoute du stress alors que notre quotidien est déjà une épreuve. En dialyse, notre accès vasculaire peut se boucher et nécessiter une opération, nous sommes également très fatigués, ce qui nécessite des arrêts plus ou moins longs. »

Contrairement à ce que laisse entendre l’exécutif, le nombre de jours indemnisés n’est pas illimité. « Avant d’être en invalidité, il m’est arrivé de dépasser le plafond de 360 jours d’indemnités journalières sur trois ans et de ne plus rien toucher pour vivre », raconte-t-elle.

Lancée dans cette bataille, Catherine Vautrin a également évoqué la limitation des arrêts initiaux à quinze jours pour les généralistes et à un mois pour les hospitaliers, provoquant une levée de boucliers. « Une fracture, c’est minimum six semaines d’arrêt. Si cette personne doit revenir tous les quinze jours, alors que nous sommes déjà surchargés car trop peu nombreux, et repayer 30 euros remboursés par la Sécu : où est l’économie ? » s’interroge Fabienne Yvon, déléguée nationale chez MG France.

Même son de cloche chez les hospitaliers. « Si une personne a une entorse du genou, elle ne peut pas conduire avec une attelle et aura bien du mal à se rendre à un nouveau rendez-vous », ironise Jean-François Cibien, urgentiste au centre hospitalier d’Agen-Nérac (Lot-et-Garonne) et président d’Action praticiens hôpital (APH).

« On en a un peu marre d’entendre qu’on fait n’importe quoi »

Les généralistes sont d’autant plus remontés qu’en 2024, comme en 2025, environ 1 000 médecins de ville se retrouvent dans le viseur de la Sécu. Soupçonnés d’abuser des arrêts longs, ils se voient « proposer » une mise sous objectifs (MSO) pour abaisser leur prescription de 20 % ou une mise sous accord préalable (MSAP) de l’assurance-maladie, qui doit avaliser chaque arrêt.

« Il y a très peu de médecins qui fraudent, la plupart sortent juste un peu des statistiques, détaille Fabienne Yvon, qui a accompagné un certain nombre d’entre eux. On a constaté que les généralistes ciblés étaient principalement des femmes jeunes tout juste installées. Depuis un an, l’assurance-maladie nous impose aussi des motifs d’arrêt préremplis qui ne correspondent pas toujours à la réalité. La plupart des collègues qui ont été convoqués avaient coché la case « troubles anxio-dépressifs mineurs » ».

Aussi excédés que leurs aînés, les docteurs fraîchement diplômés voient ce flicage d’un œil inquiet : « On en a un peu marre d’entendre qu’on fait n’importe quoi, recadre Kilian Thomas, président de de Reagjir, syndicat des jeunes médecins généralistes. Si on limite les premiers arrêts maladie à quinze jours, on ne va pas pouvoir prendre de nouveaux rendez-vous, tout en préservant des créneaux pour les urgences et les renouvellements d’ordonnance. La qualité des soins va se dégrader. »

Pour ce remplaçant en région nantaise, la charge de la gestion de cabinet couplée à la politique actuelle n’incite pas à l’installation. Le nombre de confrères exerçant en cabinet (81 870 au 1er janvier) a baissé de 13 % entre 2010 et 2025 : « Ça ne me rassure pas beaucoup pour la suite, poursuit-il. D’autant qu’en tant que remplaçants nous passons complètement sous les radars des contrôles de la Sécu, comme les arrêts sont faits par télétransmission et ne sont pas signés. »

Une « sous-déclaration » endémique

Si les médecins sont montés au front, c’est qu’ils ne supportent plus de voir le gouvernement occulter l’une des causes de la flambée des arrêts maladie : la souffrance professionnelle. L’assurance-maladie souligne que 40 % de la hausse des indemnités journalières s’explique par une augmentation des prescriptions et de la durée des arrêts. La Cnam estime qu’elle pourrait être en lien avec la dégradation des conditions de travail, notamment avec la hausse de la pénibilité et des risques psychosociaux.

Dans son cabinet de la banlieue de Nantes (Loire-Atlantique), Fabienne Yvon voit défiler depuis la pandémie de Covid de plus en plus de personnes dans des situations compliquées. Dans sa patientèle d’ouvriers et de cadres, elle observe « une hausse de la tension psychologique ». « Les femmes sont souvent en première ligne, car elles ont en plus la charge mentale. J’entends des récits de petits chefs toxiques, de harcèlement, de méthodes de management brutales. 70 à 80 % des arrêts longs sont causés par des dépressions et des burn-out, la plupart du temps liés au travail. »

Pour Maëlezig Bigi, sociologue au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), le fait que les gouvernements successifs se servent allègrement dans la caisse accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) de la Sécu est assez révélateur de leur non-prise en compte de cette explosion des risques professionnels. « Chaque année, 1 milliard en moyenne est ponctionné sur la caisse AT-MP pour équilibrer la branche maladie de la Sécu car elle est excédentaire compte tenu de la sous-déclaration endémique des accidents du travail et des maladies professionnelles. Le gouvernement sait que le travail fait des dégâts, mais il choisit de prendre le problème par le petit bout de la lorgnette en ciblant les arrêts maladie. »

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/austerite/on-va-faire-quoi-laisser-ces-gens-crever-la-gueule-ouverte-face-aux-mensonges-de-bayrou-sur-les-arrets-maladies-les-medecins-haussent-le-ton

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