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À Paris, un des rares centres d’accueil et de crise (CAC) est en passe d’être démantelé. Patients et soignants dénoncent une décision brutale, qui risque de priver de nombreux usagers d’un accompagnement humain et efficace et d’encombrer les urgences.
Par Léa DARNAY.
Fin juin, Juliette 1, artiste, est prise d’une crise suicidaire. Depuis un an, elle est suivie par le centre psycho-traumatique privé de Paris après un traumatisme grave.
Ce jour-là, ses soignants l’orientent vers les urgences suicidaires, qui la dirigent immédiatement vers le centre d’accueil et de crise (CAC, des structures de soins psychiatriques) Ginette-Amado, dans le 7ᵉ arrondissement de Paris. « C’était un soulagement, confie-t-elle. L’accueil était rapide, humain et entièrement gratuit. »
Le déménagement et la restructuration menacent le modèle d’accueil
Depuis, Juliette est prise en charge dans un cadre apaisant, sans hospitalisation lourde ni isolement. « Je viens quasiment tous les jours, je déjeune parfois avec l’équipe. Une nuit, j’ai même dormi sur place : rentrer chez moi était impossible dans mon état », raconte l’artiste.
Mais cette prise en charge est aujourd’hui en péril. Début juillet, la direction a annoncé le déménagement du centre vers ses anciens locaux rue Garancière, dans le 6e arrondissement, accompagné d’une restructuration drastique : fin de l’accueil de nuit et du week-end, suppression de la totalité des lits d’hébergement et réorganisation du personnel. « On nous demande de continuer notre mission avec des moyens incompatibles », alerte un représentant syndical CGT.
Le CAC Ginette-Amado couvre les 5ᵉ, 6ᵉ et 7ᵉ arrondissements de la capitale. Sa spécificité : proposer une prise en charge intensive, brève et sans hospitalisation classique, pour les personnes en détresse psychique aiguë. Ce modèle, en anticipant les crises, permet d’éviter de nombreuses hospitalisations longues. Une équipe pluridisciplinaire assure une présence physique et téléphonique 24 heures sur 24, dans un lieu « hors les murs » de l’hôpital, pour déstigmatiser l’accès aux soins.
Consultations rapprochées, repas thérapeutiques, hébergement temporaire, lien direct avec les services hospitaliers… Le CAC agit en prévention comme en urgence, sans contention ni isolement, sauf cas exceptionnels – moins de 5 % en 2019. « C’est rare, mais notre cohésion d’équipe permet cette approche respectueuse et efficace », souligne l’élu du personnel.
Décision unilatérale et incomprise
La décision a été prise sans concertation ni avec les soignants ni avec les patients, provoquant une vive inquiétude. La perte des lits d’accueil, en particulier, menace la capacité à héberger des patients en crise pour quelques jours, un pilier de ce dispositif.
« Une dépression ne s’interrompt pas le vendredi soir, témoigne Alexandre, patient depuis octobre. Savoir que les locaux et la permanence téléphonique avec un personnel compétent sont ouverts à toute heure aide énormément de patients et évite l’encombrement des urgences. Les horaires de bureau ne correspondent malheureusement pas à cette mission. »
La suppression de l’équipe de nuit, composée de quatre infirmiers et de trois aides-soignants, et de plusieurs postes d’agent hospitalier affaiblit encore davantage l’offre de soins. « C’est une équipe expérimentée, capable de prévenir des hospitalisations lourdes. Sans elle, on surcharge les hôpitaux déjà débordés, et on accroît le risque de passages à l’acte », avertit le représentant CGT.
À cela s’ajoute une perte financière pour le personnel paramédical, désormais privé de primes de nuit et de week-end. « Pour certains, c’est une centaine d’euros en moins par mois. La seule solution, ce sera les heures supplémentaires dans d’autres services, déplore un aide-soignant qui a dix-sept ans d’expérience, ce qui ne vas pas être compatible avec les vies de famille de beaucoup d’entre nous. »
« Une décision politique »
Pour le personnel, cette restructuration n’est pas une simple réorganisation, mais un choix politique dicté par une logique de réduction budgétaire. « Le CAC n’est pas une unité obligatoire, donc est plus facile à affaiblir. Mais, à long terme, c’est un investissement. Il stabilise, anticipe, évite des hospitalisations coûteuses », explique l’élu CGT.
Le centre offre aussi un accès équitable aux soins, notamment pour les plus précaires. « À l’institut, on me prescrivait un anxiolytique mal adapté et ça me coûtait une fortune, témoigne Juliette. Ils n’ont d’ailleurs jamais repris de mes nouvelles. Ici, je suis écoutée, suivie, sans frais à ma charge. »
Les nouveaux locaux ont certes été cédés à l’hôpital par le Sénat pour 1 euro symbolique, mais leur fonctionnement limité pourrait désorganiser un secteur déjà en tension. Chaque secteur psychiatrique devrait couvrir environ 100 000 habitants.
Aujourd’hui, ils en couvrent le double, et l’abandon définitif d’une possibilité d’hospitalisation alternative risque de créer l’embolie des urgences, déjà mises à mal par les politiques de ces dernières années.
- Le prénom a été changé ↩︎
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