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Un rapport d’inspection des services de l’État, rendu public le 8 août, révèle la présence sur le site BASF de Genay (Rhône) d’une dizaine de tonnes de Fastac, un insecticide interdit en France et dans l’UE. L’affaire interroge la capacité des pouvoirs publics à agir face aux multinationales de l’industrie agrochimique qui jouent avec les limites de la loi.
Par Clara GAZEL.
Se dirige-t-on vers un nouveau scandale lié aux pesticides ? Dix tonnes de Fastac Tech – un insecticide retiré du marché en France depuis 2020 – ont été découvertes sur le site BASF de Genay (Rhône), au nord de Lyon. Ce produit contient de l’alpha-cyperméthrine, une substance active interdite depuis 2021 dans l’Union européenne (UE). C’est ce que révèle un rapport de l’Inspection des installations classées, relevant de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) rendu public le 8 août.
Ce document de quinze pages évoque « plusieurs dizaines de tonnes » de produits contenant de l’alpha-cyperméthrine : du Fastac mais aussi d’autres produits phytopharmaceutiques. Selon les données communiquées par le géant allemand des phytosanitaires il s’agirait de « plusieurs dizaines de milliers de litres de produits à base de cette substance active stockées » et destinées à l’export hors UE. Les inspecteurs ont aussi relevé la présence de chlorfénapyr, un insecticide également interdit.
Les faucheurs et faucheuses volontaires, lanceurs d’alerte
Le 30 juin, une inspection de l’usine BASF de Genay, a été menée sur ordre du ministère de la Transition écologique, une semaine après l’intrusion de Faucheurs et faucheuses volontaires d’OGM. Les militants du collectif y sont restés environ quarante minutes avant d’être évacués, selon Mediapart. Ils affirment avoir découvert « un stock du pesticide Fastac et sa substance active, l’alpha-cyperméthrine ».
Dès le 2 juillet, la préfecture du Rhône faisait savoir que cette inspection avait « permis de confirmer la production et la présence de stocks de produit phytopharmaceutique Fastac contenant de l’alpha-cyperméthrine, destiné à l’export, ce qui est interdit par la loi Egalim ».
Adoptée en 2018 et appliquée depuis 2022, la loi Egalim interdit « la production, le stockage et la circulation de produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées » par l’UE. « Un produit phytopharmaceutique contenant de l’alpha-cyperméthrine entre dans le champ d’application de la loi », nous confirme le ministère, ajoutant : « Son export est également interdit. »
Des produits destinés à l’export
Contacté, BASF affirme que « toutes les productions du produit phytopharmaceutique FASTAC, à base de la matière active alpha-cyperméthrine, sont conformes à la réglementation française, y compris au regard du dispositif Egalim ».
Cette divergence illustre les zones grises de la loi, que souligne le ministère de la Transition écologique : « L’interdiction prévue par la loi EGALIM peut présenter des difficultés d’interprétation sur les substances et produits auxquels elle s’applique. En particulier, l’interdiction ne s’applique pas aux substances actives, mais aux produits phytopharmaceutiques qui en contiennent. »
Un flou qui devrait disparaître au 1er janvier 2026, avec l’entrée en vigueur de la loi Duplomb, promulguée le 11 août, qui interdira de « produire, stocker et faire circuler des substances actives ayant fait l’objet d’un refus ou d’un non-renouvellement au niveau européen ». La Confédération paysanne salue cette extension : « Cela montre que l’Etat ne se fait pas berner par les stratégies des géants de l’agrochimie, commente son porte-parole Thomas Gibert. Comme BASF qui tente de se dédouaner en disant “on n’exporte que les substances actives”. »
Selon la DREAL, l’alpha-cyperméthrine présente à Genay est « fabriquée en Inde », puis « livrée chez BASF en Belgique » — où le groupe centralise ses importations — avant d’être acheminée en France. À Genay, maillon clé de son dispositif international, BASF « mélange les substances et les conditionne sous forme d’insecticides, de fongicides, de traitement des semences ». Ces formulations sont destinées à l’export hors UE : en 2023 et 2024, elles ont été acheminées vers le Kenya et la Turquie.
« Ces multinationales jouent avec la vie des gens »
En théorie, ces exportations doivent être notifiées aux autorités françaises. Or, selon le ministère, « BASF n’a pas obtenu d’autorisation d’exportation d’un produit phytopharmaceutique contenant cette substance (NDLR : l’alpha-cyperméthrine) » depuis la France ces dernières années. Depuis mi-2024, c’est la plateforme néerlandaise de BASF qui gère les exportations de produits formulés dans les usines européennes. Dans son rapport, la DREAL épingle l’industriel pour des justificatifs manquants sur certaines de ces expéditions en 2023 et 2024.
« C’est inacceptable de savoir qu’on va exporter des produits interdits chez nous, fustige Thomas Gibert. C’est du colonialisme agrochimique. Les multinationales jouent sur chaque mot pour échapper à la loi, alors qu’en réalité, elles jouent avec la vie des gens. »
Quelles suites ?
Ces substances ne sont pas sans danger pour la biodiversité et la santé humaine. L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) classe l’alpha-cyperméthrine comme toxique pour les milieux aquatiques et dangereuse pour la santé humaine, pouvant irriter les voies respiratoires et endommager certains organes en cas d’exposition prolongée. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) alertait aussi dès 2018 sur un risque élevé pour les abeilles et les bourdons.
Quelles suites peuvent être données à cette affaire ? La DREAL, prudente, indique vouloir « saisir les autorités administratives en charge du contrôle des produits phytopharmaceutiques » pour statuer. Le ministère de la Transition écologique précise que ces suites relèvent du ministère de l’Agriculture, compétent pour décider « des suites administratives, et éventuellement pénales ». De son côté, la préfecture du Rhône nous assure qu’une « réunion aura lieu avec BASF courant septembre ».
Pour Thomas Gibert, l’affaire BASF est avant tout politique. « L’entreprise cherche à étouffer le scandale. L’État doit absolument réagir, et pour cela il faut maintenir la pression, comme nous l’avons fait avec la pétition sur la loi Duplomb. Sans cette pression, je doute que ce soit le type de sujet dont l’État aime s’occuper. »
Le syndicaliste prévient : « Le sujet va revenir sur la table dès septembre. Nous devons poursuivre les actions, car même si nous avons remporté une petite victoire avec l’interdiction de l’acétamipride, le système agrochimique et son armement sont encore bien présents… et les cancers continueront de se multiplier. »
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