« La mort de notre fils est passée inaperçue » (HistoirePopulaire-18/08/25)

Par Matthieu LEPINE.

« Sur le moment nous étions tellement effondrés que nous n’avons pas réagi face au silence qui entourait l’évènement. Mais ensuite, j’ai vraiment eu l’impression, qu’excepté sa famille et ses amis, tout le monde se foutait de la mort d’Alexandre ». Isabelle Garnier a perdu son fils dans un accident du travail en juin 2023. Deux ans après le drame, elle reste sans aucune nouvelle de l’enquête et déplore le silence qui entoure la mort d’Alexandre.

Né le 6 juin 1990 à Grenoble, Alexandre est le benjamin de sa fratrie. Il grandit en Isère aux côtés de son frère, de sa sœur et entouré par ses parents. « C’était le petit dernier, plein d’humour et de fantaisie, parfois provocateur, il n’hésitait pas à secouer le cocotier en famille » se remémore Isabelle. « Sa mort a laissé un vide immense ».

« Du jour au lendemain il était heureux de partir à l’école »

Alexandre n’a pas eu une scolarité très épanouie, mais lorsqu’il entre en BEP tout change. « Il a intégré une formation Maintenance des systèmes mécaniques automatisés. Du jour au lendemain, il était heureux de partir à l’école ». Dans son élément le jeune isérois obtient son diplôme et poursuit sa formation en Bac pro aéronautique au lycée Grésivaudan de Meylan.

Se spécialisant dans les interventions sur hélicoptère, il effectue différents stages en entreprise. « Il a d’abord été sur Perpignan et a vraiment aimé cette expérience. En revanche, celle sur Grimaud, dans le Var, l’a moins épanouie. Il s’est retrouvé à faire des interventions en plein cagnard directement sur le tarmac. Ses temps de pause n’étaient pas respectés. Il avait vraiment l’impression d’être traité comme un larbin ».

Au sortir de sa formation, Alexandre est confronté au manque d’offres d’emplois dans le secteur de la maintenance d’hélicoptères. Il est cependant embauché en CDI chez Supply Chain Service International (fournisseur américain de services qualité et logistiques). Pendant 3 ans, il effectue surveillance, entretien et réparation sur des machines entre Grenoble et Turin. Au-delà de l’expérience acquise durant cette période, Alexandre se lie d’amitié avec un collègue ingénieur qui n’est autre que son supérieur direct.

C’est ensemble qu’en 2014, les deux hommes décident de monter leur propre société. Ainsi nait Kaléo industrial services dont l’activité principale réside dans la fabrication de pièces métalliques, le dépannage et le contrôle de mise en conformité des machines. Complémentaires les deux associés réalisent 6 premiers mois très encourageants fournissant des services réguliers à différents clients comme Caterpillar.

Un génie de la mécanique

Comme un poisson dans l’eau, Alexandre est pleinement épanoui. « Il avait un côté génie de la mécanique avec cette capacité à toujours trouver une solution ». Ce fut par exemple le cas ce vendredi soir, l’une des premières grosses interventions de la jeune entreprise. Appelés en urgence par l’usine Caterpillar d’Echirolles, les deux associés se retrouvent face à une ligne de production automatisée de tractopelles. Depuis plus de 5 heures maintenant, un blocage lié à une pièce difficilement accessible empêche le redémarrage de la chaine d’assemblage.

L’attente du client est importante alors que le week-end débute. Une étape cruciale pour la jeune entreprise prestataire qui doit faire ses preuves. Les deux hommes échangent un regard complice : « ça va le faire ! ». « Ils y ont passé des heures » se remémore Isabelle. « Mais une solution osée, à laquelle personne n’avait pensé jusque-là, leur est apparue ». D’ailleurs, lorsqu’ils sont revenus le lundi matin pour débriefer, les salariés de l’usine les ont accueillis sous les applaudissements. Même s’il n’aimait pas le montrer, Alex en était très fier ».

Cette passion d’Alexandre pour la mécanique dépasse très largement le cadre professionnel. Depuis son enfance, où il intervenait aux côtés son père sur des véhicules, le jeune homme dédie une grande partie de son temps libre à entretenir et réparer ses bolides. « Il avait une superbe moto GS, une Corvette Z06 mais le projet de sa vie c’était sa BMW. Un coupé ancien qu’il a restauré puis customisé. C’est d’ailleurs le seul véhicule que nous avons gardé avec mon mari car cette BMW c’était le rêve de notre fils ». Malgré les bons débuts de Kaléo et le bilan positif de l’entreprise celle-ci doit pourtant déposer le bilan en 2016. Les problèmes de santé qui touchent l’associé d’Alexandre ne lui permettent malheureusement plus de s’impliquer pleinement dans leur projet.

Une capacité de résilience à toutes épreuves

Les années qui suivent sont difficiles, notamment moralement. L’isérois multiplie les contrats en intérim mais reste à la recherche d’un nouveau défi. C’est ainsi qu’il crée en 2020 Alex Métal Solutions (AMS). « Alexandre savait faire preuve de résilience et rebondir » se souvient Isabelle. « Malgré le Covid puis un accident qui l’a immobilisé pendant plusieurs mois, il n’a jamais cessé d’y croire ». Avec AMS, le soudeur met ses services à disposition de particuliers, d’entreprises ou encore de collectivités. Son activité il la résume ainsi : « Vous avez une idée de modification ou de création de pièce métallique et vous ne savez pas comment la réaliser ? AMS le fait ».

La jeune entreprise obtient rapidement des commandes et Alexandre se lance notamment dans la production de rampes de piscines ou encore de portails ouvragés. Il intervient aussi sur des missions de soudures plus délicates : son savoir-faire et son perfectionnisme lui font gagner le respect et la confiance de ses clients. « Alex n’a laissé que de bons souvenirs partout où il est passé » ajoute Isabelle.

Grâce à sa bonne réputation, AMS obtient de nouveaux contrats notamment chez de nombreux paysagistes du Grésivaudan pour des réparations diverses. Alexandre se voit également confier l’entretien de machines chez Bois du Dauphiné, une des plus importantes scieries industrielles de la région. « Les compétences, la conscience professionnelle d’Alexandre et sa réactivité ont amené la scierie à le faire intervenir une semaine par mois ainsi que de façon exceptionnelle, en cas de problèmes ». 

« Cet accident n’aurait jamais dû avoir lieu »

C’est justement pour une intervention urgente sur une machine qu’Alexandre est amené à se rendre sur le site de la scierie le vendredi 30 juin 2023. Un dépannage à risque pour le soudeur puisqu’il nécessite de descendre directement dans la machine. « Alex savait qu’intervenir sur ces machines pouvait être dangereux. Mais il n’avait pas peur. Ses collègues admiraient son sang-froid » se souvient Isabelle.

Il est 18h. Pendant qu’un salarié de l’entreprise est positionné aux commandes de la machine, Alexandre et un autre technicien, également son ami, s’engagent à l’intérieur. La communication avec le pilote se fait dorénavant par talkie-walkie. L’intervention dure plusieurs minutes. Mais alors que le salarié qui accompagnait Alexandre ressort, la machine est subitement remise en marche. Encore à l’intérieur, l’isérois est pris au piège et meurt sur le coup. Il venait tout juste de fêter ses 33 ans.

« Un simple problème de communication ne doit pas amener à la mort d’un homme. Cet accident n’aurait jamais dû avoir lieu. N’y a-t-il pas des sécurités sur ce genre de machines ? » lance Isabelle. L’enquête, qui à cette heure est encore en cours, devrait permettre d’en savoir davantage sur les circonstances exactes du drame et pointer d’éventuelles responsabilités.

« Nous avons été prévenus de l’accident sur les coups de 23h par l’adjoint au maire de notre commune. Mais c’est par téléphone qu’un gendarme nous a appris que notre fils avait été je cite < broyé par une machine >. Un choc épouvantable pour nous. L’apprendre de cette manière, c’était d’une violence inouïe ».

Les gendarmes se présentent quelques minutes plus tard au domicile des parents d’Alexandre pour leur annoncer officiellement son décès et préciser les circonstances de l’accident. Ils affirment notamment qu’il n’a pas eu le temps de souffrir. Venu soutenir la famille, l’ami d’Alexandre présent au moment du drame leur confirmera l’information. « D’un côté cela nous a soulagé. Mais l’accident a été tellement violent qu’on ne nous a même pas laissé voir son corps. Nous n’avons pas pu lui dire au revoir ».

Des questions toujours sans réponses

Dans les jours qui suivent, Pierre, le père d’Alexandre, porte plainte contre X. « Nous sommes ensuite restés sans nouvelles. Un temps d’attente terriblement long avec cette impression que la mort de notre fils est passée inaperçue ». Il faut dire que le décès du soudeur de 33 ans n’a eu que peu d’écho dans la presse sinon quelques lignes sur le site d’un quotidien régional. « Sur le moment nous étions tellement effondrés que nous n’avons pas réagi face au silence qui entourait l’évènement. Mais ensuite, j’ai vraiment eu l’impression, qu’excepté sa famille et ses amis, tout le monde se foutait de la mort d’Alexandre. Mort au travail pourtant ! ».

Un an après le drame, Isabelle, Pierre et leurs deux enfants décident de porter plainte contre l’entreprise pour homicide involontaire et manquement grave à l’obligation de sécurité. Deux ans après le drame, la famille n’a toujours aucune réponse à ses questions. « Lorsque j’appelle le parquet on me dit < c’est à l’étude, l’attente est normale > ».

« Je veux qu’on sache que ce qui caractérisait vraiment Alex, c’était sa générosité » explique Isabelle. « Il arrivait qu’il ouvre les portes de son atelier à des jeunes en rupture. Il leur tendait la main et les logeait même parfois quelques jours. C’était quelqu’un qui avait beaucoup d’empathie. Un jour il m’a dit : < tu sais, si je ne vous avais pas eu je serais surement devenu comme eux. Il faut bien que quelqu’un les aide > ».

Aujourd’hui à la retraite Pierre et Isabelle vivent toujours dans la maison familiale. « Alexandre était le dernier de nos enfants dans la région. On s’imaginait qu’il reprendrait un jour cette maison à laquelle il était très attaché ». Dans l’attente des conclusions de l’enquête et d’un éventuel procès, ils souhaitent plus que tout honorer la mémoire de leur fils.

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Source: https://matthieulepine.wordpress.com/2025/08/18/la-mort-de-notre-fils-est-passee-inapercue/

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