Chronique de Palestine : Interview exclusive de Georges Abdallah, « Pas de paradis sans Gaza » (14/08/25)

Georges Abdallah avec Samaa Abu Sharar de Palestine Chronicle. (Photo : Dalal Sharour)

Le journal en ligne Chronique de Palestine (Palestine Chronicle) a interviewé le résistant et révolutionnaire libanais Georges Abdallah, libéré après 41 ans de prison. C’est l’offensive de la Résistance palestinienne du 7 octobre, qui, comme l’a souligné Georges, a permis le soulèvement des masses populaires du monde entier. C’est dans ce cadre que les soutiens – dont certains, comme la Campagne Unitaire pour la libération de Georges Abdallah, avaient lancé leur travail depuis plus de dix ans – ont pu travailler à arracher sa libération.

Georges est entré en prison en communiste, combattant, fils adoptif du peuple palestinien, résistant anti-impérialiste. Georges est sorti de prison en communiste, combattant, fils adoptif du peuple palestinien, résistant anti impérialiste, mais « plus âgé, avec plus d’expérience et plus disposé à donner ».

Merci au site La Cause du Peuple de mettre a disposition du lectorat francophone cette traduction de l’entretien publié en anglais par Palestine Chronicle.

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« La prison ne change pas les combattants »

Samaa Abu Sharar (The Palestine Chronicle) : Nous connaissons tous Georges Abdallah comme un militant international qui a consacré sa vie à des causes justes, notamment la cause palestinienne et la lutte contre le colonialisme sous toutes ses formes. Comment vous présenteriez-vous ?

Georges Abdallah :
(Je suis) un combattant parmi nos combattants arabes, un combattant de la révolution palestinienne et un combattant de la résistance libanaise contre l’oppression impérialiste et sioniste. Notre militantisme découle de notre conviction que l’entité sioniste est une extension organique de l’impérialisme occidental. Nous considérons que cette entité a actuellement atteint le dernier chapitre de son existence et qu’elle va donc déchaîner toute sa barbarie et sa soif de meurtre sur notre peuple. Les masses populaires doivent se préparer à cette étape, en gardant à l’esprit qu’elles finiront par triompher de cette entité.

Ce que vous dites correspond tout à fait à la façon dont beaucoup de gens vous perçoivent : comme une icône de la résistance qui représente la bonne direction à suivre dans notre grande lutte. Il n’y a donc aucune différence entre la façon dont Georges Abdallah se perçoit et la façon dont les gens le perçoivent.

Notre peuple a une grande confiance dans la résistance palestinienne, c’est pourquoi toute forme de résistance est très appréciée. Notre peuple est prêt à apporter un soutien important et à faciliter la lutte. Ce qui se passe aujourd’hui à Gaza et en Cisjordanie le confirme. En tant que simple combattant dans les rangs de la résistance, je constate que notre peuple est inébranlable. Il y a des failles, comme c’est toujours le cas dans les révolutions, mais cela ne nous arrête pas. Les masses à Gaza serrent leurs enfants émaciés dans leurs bras, continuent de résister et refusent de hisser le drapeau blanc. On peut donc dire que la résistance est en pleine forme malgré tous les problèmes subjectifs et objectifs.

Palestine Chronicle : La prison vous a-t-elle changé ?

Georges Abdallah : La prison ne change pas les combattants. En réalité, la prison aide à forger des positions solides si la solidarité nécessaire des forces de résistance est disponible, et c’est ce qui s’est passé pour moi.

Palestine Chronicle : Cela signifie-t-il que Georges Abdallah, emprisonné il y a 41 ans, est sorti de prison en étant le même homme ?

Georges Abdallah : Un combattant plus âgé, avec plus d’expérience et plus disposé à donner pour la lutte.

Palestine Chronicle : Comment avez-vous vécu le temps pendant votre séjour en prison ?

Georges Abdallah : En fait, le temps passé en prison pour les combattants et les militants est un cadre dans lequel s’organisent les priorités de la vie. Si le militant a trouvé la solidarité, c’est-à-dire s’il dispose d’un groupe de personnes qui font de la solidarité une expression pratique dans la lutte quotidienne des masses de notre nation, alors le militant emprisonné est simplement un combattant qui fait ce qu’il doit faire dans des circonstances exceptionnelles.

Le temps devient compté, car il n’a pas assez de temps pour faire ce qu’il juge approprié pour soutenir la lutte, que ce soit en termes de lecture, d’interventions ou d’autres choses. Cela s’appliquait à moi.

Palestine Chronicle : Vous manquiez donc de temps en prison ?

Georges Abdallah : Je n’avais pas assez de temps pour faire tout ce qu’on attend d’un combattant et d’un militant. J’ai fait tout ce que j’ai pu dans la mesure de mes modestes capacités.

Palestine Chronicle : Vous avez déclaré dans votre interview avec Al Mayadeen que vos journées en prison étaient très organisées et que vous aviez un quotidien qui comprenait beaucoup de lecture du courrier que vous receviez. Avec qui correspondiez-vous pendant votre séjour en prison ?

Georges Abdallah : Avec des combattants et des militants qui étaient en prison ou qui y sont restés, avec ma famille et avec des amis. C’est normal, étant donné qu’il existait des installations obtenues grâce à la lutte des masses dans tel ou tel pays. Dans les prisons françaises, un téléphone était mis à disposition pour appeler qui vous vouliez, à condition de donner le numéro aux autorités compétentes. Vous pouviez donc contacter qui vous vouliez.

Les livres étaient fournis par des camarades, vous aviez donc de nombreuses occasions de lire et de faire d’autres choses. Cependant, il faut beaucoup de temps pour lire tout ce qu’il faut lire et participer au débat en cours sur ces questions.

Palestine Chronicle : Étiez-vous l’une des personnes qui passaient beaucoup de coups de fil ?

Georges Abdallah : L’une des personnes qui faisaient ce qu’elles avaient à faire.

Palestine Chronicle : Les appels téléphoniques concernaient-ils davantage vos amis ou les membres de votre famille ?

Georges Abdallah : La famille faisait bien sûr partie de mon cercle de communication. Il existe en quelque sorte un continuum qui s’étend de la maison au lieu de la lutte. Les préoccupations concernant le Liban occupent une place essentielle dans ma vie, c’est pourquoi je communique en permanence avec ma famille, mes amis, mes proches et toutes les autres formes de lutte présentes dans notre pays et à l’étranger. Je ne me suis pas senti isolé à cet égard.

Palestine Chronicle : Avez-vous subi des violences psychologiques ou physiques pendant votre séjour en prison ?

Georges Abdallah : J’ai subi tout ce que subissent les combattants et les militants. Je peux dire que toutes les procédures ne m’ont pas posé de problème. En d’autres termes, d’un point de vue personnel, je n’ai subi aucune pression particulière et, d’un point de vue objectif, j’avais à ma disposition de nombreuses ressources mises à ma disposition par mes nombreux camarades.

Ils étaient nombreux et se relayaient pour pouvoir tous venir me voir en prison. Je n’ai donc jamais ressenti de sentiment d’aliénation ou d’isolement. Le mouvement de solidarité fait partie de la lutte quotidienne ; il n’y avait donc pas d’angoisse personnelle en ce sens. Il y a une lutte contre le temps. Je voulais utiliser tout ce temps pour approfondir mes lectures et mes interventions aussi longtemps que possible. Cependant, ce temps est limité en raison des priorités de la vie.

Palestine Chronicle : Qu’est-ce qui vous a le plus manqué pendant votre séjour en prison, outre la liberté, bien sûr ?

Georges Abdallah : En réalité, tous les aspects de la vie et toutes ses expressions m’ont manqué.

Palestine Chronicle : Comme quoi ?

Georges Abdallah : Tout. Il n’est pas facile de dire ce qui m’a le plus manqué : ma famille, mes proches, les étoiles, les arbres et les animaux. Les camarades vous manquent, vos discussions avec eux vous manquent ; il n’y a pas de priorité particulière.

Palestine Chronicle : Si vous pouviez remonter le temps, y a-t-il quelque chose que vous auriez fait différemment dans votre combat ?

Georges Abdallah : Je ne fais pas actuellement d’autocritique de ma lutte. Tout au long de ma lutte, j’ai fait tout ce que je considère comme approprié pour la voie de la lutte. Bien sûr, comme pour tout le monde, il y a des succès et des échecs, et il est possible d’améliorer ceci ou cela.

Cependant, dans l’ensemble, je suis satisfait de ma voie de lutte. Malgré sa modestie, elle est acceptable comme celle de tout autre combattant ou militant de notre peuple dans le cadre de la base de masse existante.

« La résistance est en pleine forme »

Palestine Chronicle : Parlons de la Palestine et du Liban. Vous avez déclaré dans plusieurs interviews que la solidarité avec Georges Abdallah était équivalente à, ou faisait partie de, la solidarité avec la Palestine.

Georges Abdallah : La solidarité avec Georges Abdallah [NDLT : le camarade Georges Abdallah ne personnalise pas sa lutte, « Georges Abdallah » n’est qu’un prisonnier parmi tant d’autres. Il ne s’agit pas de lui ; mais d’une part de la lutte du peuple pour sa libération de l’impérialisme] n’a de sens que lorsqu’elle s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la guerre génocidaire à Gaza. Elle s’inscrit dans le cadre de la lutte qui relève des questions de solidarité, et non en dehors de ce cadre ou parallèlement à celui-ci. Elle s’inscrit dans ce cadre, et je pense qu’elle a été très efficace.

Palestine Chronicle : À votre avis, si l’opération « Déluge d’Al Aqsa » n’avait pas eu lieu, seriez-vous parmi nous aujourd’hui ?

Georges Abdallah : L’opération « Déluge d’Al Aqsa » est très importante. Cependant, mon cas ne peut s’expliquer dans ce cadre sans entrer dans les détails de l’opération « Déluge d’Al Aqsa ». L’opération « Déluge d’Al Aqsa » est très bonne en termes de timing et d’efficacité. Même si nous pouvons trouver ici ou là des lacunes, nous ne sommes pas en mesure de nous flageller ; nous sommes en mesure d’évaluer l’opération elle-même.

Cette opération est arrivée au bon moment, elle est très appropriée et elle a fait avancer la lutte, en imposant de nouvelles responsabilités à ceux qui l’ont menée et vécue. J’espère que les camarades dans le cadre de la révolution palestinienne réussiront à examiner le programme national de la révolution palestinienne. Nous savons que le programme national palestinien se trouve dans une impasse historique.

Il est certain que l’opération « Déluge d’Al Aqsa » a un rôle à jouer pour clarifier certains aspects et corriger certaines déviations. Cependant, sans résoudre la crise du projet national palestinien, nous resterons dans l’impasse et en paierons le prix fort. Il incombe à toutes les forces présentes sur la scène palestinienne de s’efforcer de surmonter cette crise, car il s’agit bien d’une crise, et non d’une question d’unité nationale ou non nationale. La crise est plus profonde que cela, et il est de la responsabilité de toutes les forces actives de faire ce qu’elles doivent faire pour mériter de faire partie du mouvement de libération nationale palestinien.

Palestine Chronicle : Quelle est cette crise ?

Georges Abdallah : La crise touche tous les aspects du projet national palestinien dans son ensemble. Israël est une extension organique de l’impérialisme occidental. Israël n’est pas une colonie ou une simple colonie de peuplement. C’est une extension organique de cet Occident impérialiste. Par conséquent, pour affronter cet Occident impérialiste, il faut affronter la crise du système impérialiste dans sa forme capitaliste. Ceux qui s’opposent à cette extension organique doivent se positionner sur un terrain hostile au capitalisme.

Par conséquent, les dirigeants de la bourgeoisie palestinienne, sous ses différentes formes – islamique, nationaliste, semi-nationaliste, orientée vers l’État, etc. – sont confrontés à un problème à cet égard. Et la gauche palestinienne se trouve dans une situation très embarrassante, n’ayant jusqu’à présent pas réussi à construire une unité nationale pour affronter ce prolongement organique et n’ayant pas réussi à affirmer l’unité nationale. Bien sûr, ce sont là de grandes responsabilités qui pèsent sur les épaules de chacun.

Néanmoins, la résistance est toujours aussi forte. Les masses de notre peuple continuent à affronter l’ennemi sioniste avec une efficacité remarquable et avancée, même si les enfants de Gaza sont émaciés et ont désespérément besoin d’un verre de lait. Cependant, Gaza ne lèvera pas le drapeau blanc, et c’est là une question très importante. Quant à la manière dont nous allons avancer, c’est à la direction palestinienne d’en décider.

Palestine Chronicle : Mais nous sommes impatients d’entendre ce que vous avez à dire à ce sujet !

Georges Abdallah : Tout le monde est concerné, mais les véritables dirigeants de la révolution palestinienne sont les mieux placés pour répondre à un certain nombre de questions. Ils doivent apporter une réponse à la crise de ce projet national, à la crise d’Oslo, à la crise de l’Autorité palestinienne, à la crise de la division entre le Fatah et le Hamas, à la crise de la dispersion des forces palestiniennes, à la crise du retrait de toute une série d’organisations qui ont été transformées en noms sans titres, à la crise de la mère de la révolution palestinienne, le Fatah.

Où est le Fatah et qu’est-il devenu ? Où est le Fatah et où est le Hamas ? Que font-ils tous les deux ? La crise est complexe et comporte de nombreux aspects. Le peuple palestinien dispose des capacités intellectuelles, organisationnelles et de résistance nécessaires pour faire face à cette crise, mais beaucoup reste à faire à tous les niveaux. Il est inacceptable qu’il y ait environ 60 000 combattants à plein temps au sein de l’Autorité palestinienne dont la tâche se limite à la coordination sécuritaire avec Israël. Et quand nous parlons d’unité nationale, de quelle unité parlons-nous ? Une unité dans laquelle 60 000 combattants pourchassent les Fedayin [combattants de la liberté] et les livrent à Israël, contre ceux qui voient leurs enfants mourir de faim et continuent à brandir le drapeau ! Nous connaissons tous les dangers d’une guerre civile, mais le dilemme du projet national demeure.

« Pas de paradis sans Gaza »

Palestine Chronicle : Vous avez brièvement évoqué l’opération « Déluge d’Al Aqsa ». Avez-vous été surpris lorsque vous en avez entendu parler pour la première fois ?

Georges Abdallah : L’opération « Déluge d’Al Aqsa » a surpris tout le monde, ce qui en soi est un problème et s’inscrit dans le cadre de la crise du projet national. Cela n’en diminue certainement pas la valeur. Le « Déluge d’Al Aqsa» a marqué un tournant dans l’histoire du conflit avec Israël, mais elle impose également d’énormes responsabilités à chacun. L’ennemi est bien conscient qu’il en est désormais au dernier chapitre de son existence ; il ne s’agit pas d’un simple revers militaire. L’opération « Déluge d’Al Aqsa » est la première étape pour déterminer les priorités de ce dernier chapitre.

Tout le monde doit assumer cette responsabilité, en particulier ceux qui sont chargés des priorités de la lutte en Palestine et en dehors de la Palestine. La rue arabe a également une responsabilité, et ceux qui sont chargés du projet national doivent se poser la question suivante : pourquoi cet abandon de la part de la rue arabe ?

Les dirigeants palestiniens ne sont pas étrangers à cet abandon. Alors que l’Égypte et les Émirats arabes unis jouent le rôle de médiateurs, comment pouvons-nous attendre des masses égyptiennes qu’elles s’excusent de ne pas être en première ligne de la lutte ? Il s’agit d’une crise considérable. La valeur de la révolution palestinienne réside dans son rôle de levier de la révolution arabe. Elle est le levier historique de la révolution arabe, mais elle ne joue plus son rôle pour plusieurs raisons. Les dirigeants palestiniens doivent expliquer pourquoi ils ont abandonné ce rôle.

Je vois le Qatar, qui héberge la base principale de l’impérialisme américain, comme un médiateur. La question est : un médiateur entre qui et qui ? Je vois également l’Égypte, avec une population de 120 millions d’Arabes, comme un médiateur. La même question s’applique. L’Égypte, c’est Al Azhar [considérée comme la plus grande institution islamique du monde arabe], et Al Azhar n’est pas une agence de tourisme ; c’est une institution civilisée qui englobe toutes les valeurs de cette nation avec des personnes de différentes couleurs. Quatre-vingts millions de personnes considèrent Al Azhar comme leur autorité (morale). Où sont ces quatre-vingts millions de personnes ? Qui est responsable de leur inaction ? Al Azhar est responsable d’elles. Qu’a-t-elle fait, et quel est le rôle de la révolution palestinienne dans ce contexte ?

Il suffit qu’un seul des quatre-vingts millions, soit un million, se rende à Rafah et y accomplisse ses prières. Ils ne sont pas tenus de porter une arme et de l’offrir au Hamas ou au Front populaire (pour la libération de la Palestine – une organisation socialiste – PC) ou à toute autre faction ; tout ce qu’ils ont à faire, c’est d’offrir un verre d’eau ou un verre de lait aux enfants de Gaza. Al Azhar est responsable de cette inaction. Elle doit savoir que ses prières ne sont pas acceptées si elles ne sont pas faites au passage vers Gaza. Il faut également savoir qu’il n’y a pas de chemin vers le paradis pour tous les croyants en Égypte, car les enfants de Palestine ont occupé toutes les routes pendant qu’ils montaient au paradis. Ceux qui souhaitent entrer au paradis doivent venir à Gaza, sinon il n’y a pas de paradis pour eux.

Al Azhar, ainsi que les cheikhs de Palestine et les dirigeants des mouvements islamiques, le savent très bien. Ce sont eux qui déterminent si l’Égypte est un médiateur ou un partenaire dans ce génocide. Ils savent également si l’Arabie saoudite et Mohammad Ibn Abdallah jouent leur rôle ou non. La Kaaba de Mohammad Ibn Abdallah n’est pas un vase antique ; elle incarne tout ce que possède cette nation. Où se trouve-t-elle dans tout cela ?

Palestine Chronicle : Êtes-vous d’accord avec ceux qui disent que les peuples arabes sont impuissants, gouvernés par des dictateurs et des agents de l’entité israélienne ?

Georges Abdallah : C’est absolument inacceptable. Les régimes arabes ne sont pas des agents passifs ; ils participent en fait au génocide en cours, et cela ne fait aucun doute. Ce que je constate, cependant, c’est qu’aucune personne n’a été tuée dans la rue en Égypte lors d’une manifestation, tout simplement parce qu’il n’y a pas eu de manifestation. Où sont-ils, la jeune Greta, venue de Suède pour lever un verre d’eau en solidarité avec Gaza ? Où sont-ils, Rima Al Hassan, venue de Belgique [sic] pour lever un verre de lait en solidarité avec Gaza ?

Où sont les marins égyptiens ? Ces militants sont venus dans un bateau qui n’était même pas adapté pour transporter du poisson, et les marins égyptiens regardent comme des « singes ». Où est la révolution palestinienne dans tout cela ? La trahison est présente dans tout le monde arabe ; une manifestation au Yémen ou dans d’autres villes arabes ne suffit pas. Où est la Jordanie ? Où sont les masses jordaniennes ? Où sont les 60 % de la population d’Amman qui sont d’origine palestinienne ? Tout cela s’inscrit certainement dans la crise du projet national, car ces forces sont responsables de l’action nationale. L’action nationale palestinienne vise soit à élever la Palestine au rang de levier révolutionnaire pour toute la nation arabe, soit à être le bouclier de ces régimes.

Palestine Chronicle : À la suite des atrocités commises à Gaza, beaucoup de ceux qui croyaient au projet de résistance ont cessé d’y croire. Que répondez-vous à cela ?

Georges Abdallah : Je ne vois pas ces gens-là. Je vois des parents à Gaza regarder leurs enfants trembler comme des squelettes et continuer à brandir le drapeau rouge, pas le drapeau blanc. Gaza n’a pas encore brandi le drapeau blanc, et les masses de Gaza ne quitteront pas Gaza. Ce n’est pas le moment de s’autoflageller ou de prétendre que le moral est au plus bas.

À Gaza, il y a des héros. Il n’y a personne sur cette planète qui ressemble aux habitants de Gaza. Gaza a été frappée trois fois plus fort que Hiroshima. 17 000 tonnes d’explosifs ont été larguées sur Gaza, alors que Dresde, en Allemagne, a été frappée par 5 000 tonnes. Gaza n’a pas capitulé, contrairement à Dresde. Aujourd’hui, il n’y a pas une seule ville en Europe qui ne brandisse pas le keffieh palestinien comme symbole de la liberté.

La révolution palestinienne n’a jamais été aussi présente sur la scène internationale qu’aujourd’hui. Le problème réside dans notre projet national, dans notre leadership national. Les masses populaires du monde entier, partout sur la planète, soutiennent Gaza. Nos dirigeants soutiennent-ils vraiment Gaza ? Lorsque 30 à 35 % des jeunes juifs américains brandissent le keffieh palestinien et le drapeau palestinien et déclarent que cette entité sioniste est l’ennemie du peuple juif et de la Palestine, qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que le compte à rebours de l’existence d’Israël a commencé. Où sont nos dirigeants dans tout cela ? Il ne suffit pas que les dirigeants soient martyrisés ou pourchassés. Ils doivent identifier l’énergie des masses et être capables d’y investir. Encore une fois, cela ne se produit pas parce que cela fait partie de la crise dont nous avons parlé.

N’oublions pas que plus de 50 % des prisonniers de la révolution palestinienne dans les prisons israéliennes sont membres du Fatah, mais c’est aussi le Fatah qui a négocié les accords d’Oslo, et c’est lui qui a provoqué la crise du projet national. Néanmoins, le Fatah reste la mère des martyrs, la mère de la révolution et la mère des prisonniers. C’est là tout le dilemme du projet national. Comment expliquer que ces plus de 50% de prisonniers, membres du Fatah, détenus par Israël, alors que 60 000 combattants du Fatah sont mercenaires sous le commandement de (Mahmoud) Abbas, président de l’Autorité palestinienne, et d’autres ? Cela incarne la crise du projet national.

Ces questions doivent être abordées par les dirigeants du mouvement Fatah. C’est une réalité à laquelle nous devons faire face. Comment vont-ils y faire face ? Les forces qui mènent la lutte palestinienne partout dans le monde doivent répondre à ces questions. Elles doivent également apporter une réponse concernant le statut de nos camps en dehors de la Palestine et leur sort. La révolution palestinienne est une révolution des camps. Le peuple palestinien est un peuple de camps. Il n’y a pas de peuple palestinien sans camps. Les camps sont l’identité palestinienne. Où sont nos camps aujourd’hui ? Que sont Sabra et Chatila aujourd’hui ? Quel est le pourcentage de Palestiniens à l’intérieur du camp ? Quel est leur avenir ? Les dirigeants concernés doivent répondre.

Ces lieux sont en principe semi-libérés et ne sont pas des lieux de chaos sécuritaire comme on nous le dit. Ils sont semi-libérés parce qu’ils présentent toutes les caractéristiques de la libération de la Palestine ; ce ne sont pas des centres qui présentent les caractéristiques de la prostitution, du trafic de drogue, etc. Qui assume la responsabilité des camps ? Encore une fois, c’est là que réside la crise du projet national.

Palestine Chronicle : À quoi ressemblera la situation en Palestine après le génocide à Gaza ?

Georges Abdallah : Le génocide à Gaza ne continuera pas. Le génocide échouera, et Gaza et la Cisjordanie triompheront alors qu’Israël assistera au dernier chapitre de son existence, et ce n’est pas un discours poétique.

Palestine Chronicle : Vous l’avez répété dans plusieurs interviews.

Georges Abdallah : Je ne suis pas le seul à le répéter. Nous devons comprendre qu’Israël n’a jamais connu ce qu’il traverse actuellement ; c’est pourquoi il va utiliser tout son arsenal barbare contre nous. Cela se traduira par une intensification maximale de sa machine à tuer. Israël va déverser toute sa barbarie inexploitée sur nos masses dans les jours, les semaines et les mois à venir. Que vont faire les dirigeants du projet national face à cela ? Comment ceux qui ont planifié l’opération « Déluge d’Al Aqsa » vont-ils faire face à cela ? Ce sont des questions qui exigent des réponses de la part de toutes les factions.

Lorsqu’un leader comme Yahya Sinwar tombe en martyr et non en fugitif dans un refuge au Qatar ou ailleurs, sa résistance est vouée à triompher. La résistance de notre peuple triomphera. Elle triomphera grâce à des hommes comme Sinwar et Haniyeh qui n’ont ni fui ni recherché la « paix ». Ces leaders et leur résistance ne peuvent être vaincus. Notre peuple en est conscient et ne brandira pas le drapeau blanc, ni à Gaza ni ailleurs. En conséquence, la responsabilité des dirigeants actuels est immense pour trouver des solutions à la crise nationale. Ces solutions viendront inévitablement, même si nous regrettons certainement qu’elles soient retardées, car le coût humain est immense.

Résoudre le dilemme gauche – mouvement islamique de libération nationale

Palestine Chronicle : Le génocide de Gaza pourrait-il déclencher une révolution mondiale ?

Georges Abdallah : Cela arrivera forcément, si ce n’est aujourd’hui, ce sera demain. La plus grande responsabilité incombe aux dirigeants de la révolution ; ce sont eux qui doivent anticiper la prochaine étape, pas moi.

Palestine Chronicle : Comment voyez-vous les révolutions islamiques dans le monde arabe ? Votre approche semble différente de celle de nombreux gauchistes. Nous avons l’impression que vous abordez la question d’un point de vue opérationnel plutôt qu’idéologique. Est-ce exact ?

Georges Abdallah : Nous ne sommes pas engagés dans une compétition idéologique ; nous avons des masses arabes, dont la majorité sont musulmanes. C’est la composition organique de notre nation. Ce n’est pas un choix idéologique. Ces gens résistent avec tout ce dont ils disposent, que ce soit le Coran, une analyse scientifique ou un missile. Il incombe aux responsables de la lutte de déterminer ce dont disposent les masses arabes.

Quand l’Égypte joue le rôle de médiateur et que le Qatar accueille la plus grande base américaine, quel message est-ce que j’envoie aux masses arabes ? Est-ce que je m’attends à ce que cette rencontre avec les services secrets égyptiens, afin qu’ils puissent se coordonner avec les services secrets qataris et américains, me permette de trouver une issue à la crise révolutionnaire ou à la crise du projet national ? J’en doute. Toutes ces actions contribuent à l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, y compris l’inaction des masses arabes.

Palestine Chronicle : Pensez-vous qu’il puisse y avoir un point de rencontre entre la gauche et les révolutions islamiques actuelles ?

Georges Abdallah : Tous les mouvements de libération ont mis en place un projet national dans lequel tous les acteurs sociaux travaillent. Partout où une révolution triomphe, elle le fait grâce à l’unité nationale. Mais cette unité n’est pas celle d’une rencontre entre deux personnes ; elle implique en fait la rencontre de l’ensemble du bloc populaire pour défendre un projet.

Prenons à nouveau l’exemple d’Al Azhar. Comme tout Arabe ou militant lié à la Palestine, je ne le considère pas à la lumière de la relation entre l’idéologie marxiste et l’idéologie islamique, mais plutôt en fonction de sa position objective dans le cadre du mouvement de notre peuple. Il en va de même pour La Mecque. Je ne la considère pas d’un point de vue idéologique, mais plutôt en fonction de son importance pour les musulmans du monde entier. Qu’ont fait les responsables du projet national avec leur « Qiblah » pour inciter les masses du monde entier à se mobiliser en faveur de la Palestine ? Je ne dis pas cela parce que je suis communiste ou parce que je suis croyant ; je le dis comme toute personne ayant le moindre lien avec le conflit qui examine cette question et se dit que c’est tout simplement inconcevable.

Liban : Résister ou « observer »

Palestine Chronicle : Après avoir rejoint le Liban, loin des slogans, comment voyez-vous la situation là-bas ?

Georges Abdallah : La situation est délicate, mais elle est également bonne. La résistance a sacrifié ses meilleurs leaders, qui sont devenus des martyrs.

Palestine Chronicle : Mais il existe une profonde division dans le pays.

Georges Abdallah : Ce que nous avons au Liban n’est pas différent de ce qui se passe dans n’importe quel autre pays du monde. Dans tous les mouvements de résistance à travers le monde, vous trouverez des gens prêts à se sacrifier pour défendre leur pays et des lâches qui se contentent d’observer. Il n’existe aucun pays au monde où la résistance bénéficie du soutien de l’ensemble de la population. L’appartenance sectaire est une autre question, mais je pose la question suivante : qui est derrière le projet qui défend l’identité et la dignité du Liban ? La résistance. Il y a une occupation ; la résistance est donc la réponse initiale. En dehors de la résistance, il n’y a pas de solution à caractère national.

Vous pouvez dire tout ce que vous voulez sur cette résistance, qu’elle doit représenter tout le peuple libanais, ou qu’elle doit être ceci ou cela. Cependant, pour avoir le droit de parler, vous devez être du côté de la résistance, et non de l’occupation. Si vous êtes du côté de l’occupation, vous n’avez pas le droit de parler, ni même d’exister. Lorsque votre pays est sous occupation, quiconque se range du côté de l’ennemi, quel que soit son statut ou ses justifications, n’a même pas le droit d’exister.

Palestine Chronicle : Alors, que faisons-nous de ces gens ?

Georges Abdallah : C’est la responsabilité de la résistance et des masses résistantes : trouver le moyen d’isoler les forces qui coopèrent avec l’ennemi et s’ouvrir aux masses dirigées par ces forces. Je n’ai pas passé ma vie en captivité, pas plus que le martyr qui a sacrifié sa vie pour le pays, pour être finalement qualifié de non représentatif de la souveraineté de ce pays. Ceux qui défendent la patrie sont la souveraineté de ce pays, pas ceux qui sont prêts à accueillir Israël.

Dire qu’il y a une contradiction entre l’armée et la résistance est faux. À mon avis, comme pour tout combattant de la résistance, notre devoir est de construire une armée nationale très forte afin d’éliminer la justification de l’existence de toute résistance. Telle est notre ambition. Notre ambition est qu’un soldat reçoive un salaire décent – pas vingt dollars par mois – afin de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille et défendre le pays.

Les dirigeants de la résistance devraient avoir le courage et la lucidité de s’ouvrir à tous, avec toutes leurs capacités, afin de construire un État national qui isole tous ceux qui ne remplissent pas leur devoir de souveraineté et de défense de la patrie pour nous tous. Une patrie dans laquelle nous sommes tous en sécurité ; sinon, nous serons tous perdants, et aucun camp ne triomphera de l’autre.

Palestine Chronicle : Donc, jusqu’à ce que nous ayons constitué une telle armée, pensez-vous que la résistance doit se poursuivre ?

Georges Abdallah : Bien sûr, que ferions-nous d’autre ? Partout dans le monde, la résistance est la première réponse à toute agression. J’espère que nous parviendrons à constituer une armée forte, capable de nous défendre et de remplacer toutes les factions. Mais en attendant, dois-je rester sans défense face à Israël ? Dois-je affronter Israël avec une déclaration ici et une déclaration là ? Je veux une armée qui considère Israël comme l’ennemi.

Nos soldats sont honorables, ce ne sont pas des membres d’une mafia. Ils viennent de tout le Liban, mais ils doivent être bien entraînés et équipés pour pouvoir défendre le pays et nous défendre. On nous dit que les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne sont nos amis. Très bien, qu’ils fournissent des armes à notre armée. Mais venir me dire que les États-Unis sont nos amis alors qu’ils viennent nous demander de rendre nos armes et de reconnaître Israël, sous peine d’être frappés par Israël, c’est inacceptable. Je continuerai à résister avec tous les moyens dont je dispose. La résistance n’aurait pas dû accepter d’accueillir l’envoyé américain ou qui que ce soit d’autre. Nous, le peuple de ce pays, devons nous réunir et déterminer comment résister à l’ennemi, et non comment nous soumettre à lui. Nous nous réunissons pour déterminer comment l’affronter, et non comment normaliser la situation.

Tout le monde sait très bien ce qu’on attend du Liban aujourd’hui. On demande au Liban d’abandonner son identité arabe, et en particulier d’abandonner la question palestinienne, et de vivre en paix avec l’ennemi sioniste. Il n’y aura pas de coexistence avec cet ennemi, ni aujourd’hui, ni demain, ni après-demain. Si quelqu’un soutient cette normalisation, la résistance le combattra. Si un parti soutient cette normalisation, elle le combattra également. Si une secte soutient la normalisation, la résistance la combattra également. Ceux qui veulent prendre le risque peuvent le faire, mais la normalisation n’aura pas lieu car notre peuple ne l’acceptera pas, et notre peuple est un peuple résistant.

La résistance actuelle a peut-être certains défauts, et nous avons peut-être certaines réserves à son égard. Mais allez-y, et trouvez-moi une meilleure résistance. Mais si vous venez me dire que cette résistance n’est pas bonne et que vous m’apportez un soldat israélien à la place, alors je vous combattrai, vous et le soldat israélien. C’est aussi simple que cela, malgré la complexité de la situation au Liban.

Nous avons un modèle à quelques mètres de nous, à Damas, où le projet de résistance est en train d’être frappé, tout comme l’État et la société. Ils veulent que le Liban se transforme en sectes et en tribus ! Ils veulent frapper l’État et l’armée et nous transformer en milices guerrières, avant que les États-Unis et Israël ne viennent à la rescousse et ne disent à chaque secte : « Je vous protégerai des autres ».

Ce qui est proposé au Liban est identique à ce qui se passe en Syrie. Nos masses résistantes lutteront contre cela. Vous voulez une meilleure résistance ? Travaillez à en construire une meilleure. Mais venir me dire qu’il faut se soumettre à Israël pour préserver la souveraineté du Liban, c’est absurde. La souveraineté n’est pas un costume, c’est une série de mesures opérationnelles visant à protéger le pays. Israël occupe une partie du territoire libanais ; que dois-je faire ? Certains disent qu’il faut s’y soumettre pour vivre en paix. Je leur réponds que non, notre peuple a historiquement sacrifié des millions de martyrs et n’a jamais accepté, ni n’acceptera, d’alliance avec cette entité.

Palestine Chronicle : Enfin, craignez-vous pour votre vie ?

Georges Abdallah : Non, je ne crains rien. Georges Abdallah est un citoyen ordinaire comme tous les autres et n’est pas courageux, soit dit en passant.

Palestine Chronicle : Comment occupez-vous votre temps actuellement ?

Georges Abdallah : Comme vous pouvez le voir, je passe mon temps entre les interviews et les visites de mes amis. Plus tard, je veux me rendre dans les camps pour voir mes amis et savoir où se trouve mon peuple.

voir également: Georges Abdallah.. Interviewé par le journaliste libanais Moussa Assi (Liban-20/08/25)

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Source originale en anglais: https://www.palestinechronicle.com/no-heaven-without-gaza-a-palestine-chronicle-exclusive-interview-with-lebanese-revolutionary-georges-abdallah/

Source en français: https://www.causedupeuple.net/2025/08/15/chronique-de-palestine-interview-exclusive-de-georges-abdallah-pas-de-paradis-sans-gaza/

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/chronique-de-palestine-interview-exclusive-de-georges-abdallah-pas-de-paradis-sans-gaza-15-08-25/

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