Quelle évolution après le sommet de l’OCS ? (Arrêt Sur Info – 28/09/25)

Le président russe V. Poutine, le Premier ministre indien N. Modi et le chef d’Etat et chef du Parti communiste chinois Xi Jinping s’entretiennent avant le sommet de l’OCS le 1er septembre 2025 à Tianjin. (Photo keystone)

Par Michael Hudson

Lors du sommet de l’«Organisation de coopération de Shanghai» (OCS) en Chine, les discussions ont porté sur le développement d’un nouvel ordre économique international fondé sur le commerce et l’investissement mutuellement avantageux. Michael Hudson expose son point de vue sur les résultats du sommet et leurs conséquences possibles.

La réunion de l’Organisation de coopération de Shanghai à Tianjin, le 1er septembre, a marqué une avancée remarquable dans la définition de la division du monde en deux grands blocs, alors que les pays de la «majorité mondiale» cherchent à libérer leurs économies non seulement du chaos tarifaire provoqué par Donald Trump, mais aussi des tentatives de plus en plus virulentes du gouvernement américain d’exercer un contrôle unipolaire sur l’ensemble de l’économie mondiale. Pour ce faire, il isole les pays qui veulent s’opposer à ce contrôle en provoquant le chaos commercial et monétaire et en recourant à la confrontation militaire directe.

La réunion de l’OCS est devenue un forum pragmatique visant à définir les principes fondamentaux qui doivent remplacer la dépendance commerciale, monétaire et militaire d’autres pays vis-à-vis des Etats-Unis par des échanges commerciaux et des investissements mutuels entre eux. Ce faisant, ils s’éloignent de plus en plus de la dépendance des marchés américains pour leurs exportations, des crédits américains pour leur économie intérieure et du dollar américain pour leurs transactions commerciales et leurs investissements mutuels.

Les principes annoncés par le président chinois Xi, le président russe Poutine et d’autres membres de l’OCS ont ouvert la voie à la définition détaillée du principe d’un nouvel ordre économique international, conformément à ce qui avait été promis il y a 80 ans à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Celui-ci a été déformé au point d’être méconnaissable de sorte que les pays asiatiques et autres pays de la majorité mondiale espèrent qu’il n’aura été qu’un long détour dans l’histoire, loin des règles fondamentales de la civilisation et de sa diplomatie internationale, de son commerce et de ses finances.

Il n’est vraiment pas surprenant que ces principes et leurs motivations n’aient pas été mentionnés dans la presse occidentale grand public. Le «New York Times» a décrit les réunions en Chine comme un plan d’agression contre les Etats-Unis, et non comme une réponse aux actions américaines.

Le président Donald Trump a résumé cette attitude de manière très succincte dans un message publié sur Truth Social à l’intention du président Xi: «Veuillez transmettre mes salutations les plus chaleureuses à Vladimir Poutine et à Kim Jong Un, alors que vous conspirez contre les Etats-Unis d’Amérique.»

La couverture médiatique américaine des réunions de l’OCS en Chine présente une perspective raccourcie qui me rappelle la célèbre gravure de Hokusai représentant un arbre en gros plan, éclipsant complètement la ville lointaine en arrière-plan. Quel que soit le sujet international abordé, tout tourne autour des Etats-Unis. Le modèle de base est l’adversité d’un gouvernement étranger envers les Etats-Unis, sans mentionner que ces politiques sont une réponse défensive à l’agressivité des Etats-Unis envers les pays étrangers.

Le traitement médiatique des réunions de l’OCS et de ses discussions géopolitiques présente une similitude remarquable avec celui de la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine. Ces deux événements sont considérés comme étant centrés sur les Etats-Unis (et leurs alliés), et non sur la Chine, la Russie, l’Inde, les pays d’Asie centrale et d’autres pays qui agissent pour promouvoir leurs propres tentatives de créer un commerce et des investissements ordonnés et mutuellement avantageux.

Tout comme la guerre en Ukraine est présentée comme une invasion russe (sans mentionner sa défense contre l’attaque de l’OTAN contre la sécurité de la Russie), le sommet de l’OCS à Tianjin et les réunions suivantes à Pékin ont été présentés comme des manœuvres conflictuelles contre l’Occident, comme si ces réunions concernaient les Etats-Unis et l’Europe.

Le 3 septembre, le chancelier allemand, Friedrich Merz, a qualifié Poutine d’être «le pire criminel de guerre de notre époque», car c’est la Russie qui a attaqué l’Ukraine innocente, et non l’inverse depuis le coup d’Etat de 2014. Et le commentaire de Poutine à propos de l’accusation de Merz: «Nous ne pensons pas que de nouveaux Etats dominants devraient apparaître. Tout le monde doit être sur un pied d’égalité.»

Le défilé militaire à Pékin, qui a suivi la réunion de l’OCS, a rappelé au monde que les accords internationaux qui ont créé les Nations Unies et d’autres organisations à la fin de la Seconde Guerre mondiale étaient censés mettre fin au fascisme et instaurer un ordre mondial juste et équitable fondé sur les principes des Nations Unies. Dépeindre ces réunions comme une menace pour l’Occident revient à nier que c’est l’Occident lui-même qui a abandonné les principes multilatéraux promis en 1944–45 et qui les a même inversés.

Le fait que les Etats-Unis et l’Europe considèrent les réunions de l’OCS comme entièrement motivées par une antipathie envers l’Occident n’est pas seulement l’expression du narcissisme occidental; il s’agit d’une politique délibérément censurée visant à ne pas discuter des moyens de développer une alternative à l’ordre économique néolibéral parrainé par les Etats-Unis.

Le chef de l’OTAN, Mark Rutte, a clairement indiqué qu’il ne fallait pas croire qu’il existait une politique des pays visant à créer un ordre économique alternatif et plus productif, lorsqu’il s’est plaint que Poutine recevait trop d’attention. Cela signifiait ne pas discuter de ce qui s’était réellement passé en Chine – et du fait que cela constituait une étape importante dans l’introduction d’un nouvel ordre économique qui n’incluait toutefois pas l’Occident.

Le président Poutine a déclaré lors d’une conférence de presse qu’il ne s’agissait nullement d’une confrontation. Les discours et les conférences de presse ont précisé les détails de ce qui était nécessaire pour consolider les relations entre eux. Concrètement, il s’agit de déterminer comment l’Asie et les pays du Sud peuvent simplement suivre leur propre voie, avec un minimum de contacts et d’exposition au comportement économique et militaire agressif de l’Occident.

La seule confrontation militaire menaçante vient de l’OTAN, de l’Ukraine à la mer Baltique, en passant par la Syrie, Gaza, la mer de Chine méridionale, le Venezuela et l’Afrique du Nord. Mais la véritable menace est la financiarisation et la privatisation néolibérales de l’Occident, le thatchérisme et la reaganomics.

L’OCS et les BRICS (comme cela est actuellement discuté dans les réunions de suivi) veulent éviter le déclin du niveau de vie et de l’économie résultant de la désindustrialisation en Occident. Ils aspirent à une augmentation du niveau de vie et de la productivité. Cette tentative de créer un plan alternatif et plus productif pour le développement économique n’est pas discutée en Occident.Cette grande fracture est parfaitement illustrée par le gazoduc «Power of Siberia 2». A l’origine, ce gaz devait être livré à l’Europe et injecté dans le gazoduc Nord Stream. C’est désormais terminé. Le gaz sibérien est désormais livré à la Mongolie et à la Chine. Auparavant, il alimentait l’industrie européenne en énergie, mais il va désormais faire de même pour la Chine et la Mongolie, de sorte que l’Europe dépendra entièrement des exportations américaines de GNL et des livraisons en baisse provenant de la mer du Nord, à des prix nettement plus élevés.

Conséquences géopolitiques de la réunion de l’OCS

Le contraste entre la consolidation réussie des accords commerciaux, d’investissement et de paiement de l’OCS/BRICS et la déstabilisation provoquée par les Etats-Unis rend difficile pour les pays d’adhérer à la fois au bloc Etats-Unis/OTAN et aux pays du BRICS/Sud global.

La pression est particulièrement forte sur la Turquie et l’Arabie saoudite. Elles ont été invitées à rejoindre les BRICS, et les pays arabes sont particulièrement dépendants du dollar sur le plan financier et abritent également des bases militaires américaines. (Selon certaines informations, l’Inde aurait empêché l’Azerbaïdjan, en raison de ses relations étroites avec le Pakistan, d’adhérer à l’OCS.1)

Deux dynamiques sont à l’œuvre. D’une part, les BRICS et la majorité mondiale tentent de se défendre contre l’agression économique des Etats-Unis et de OTAN et de dédollariser leurs économies afin de minimiser leur dépendance commerciale vis-à-vis du marché américain. Cela leur évite que les Etats-Unis utilisent leur commerce extérieur et leur système monétaire comme une arme pour leur bloquer l’accès aux chaînes d’approvisionnement existantes, ce qui perturberait leurs économies.

L’autre dynamique est que l’économie américaine devient moins attrayante à mesure qu’elle se polarise et se contracte, en raison de sa financiarisation et de l’augmentation de sa dette. Elle devient inflationniste et est soumise à une bulle financière alimentée par la dette, qui risque de plus en plus d’éclater soudainement.

Cette opposition morale fondamentale catalyse l’opposition entre les systèmes économiques et les politiques des marchés privatisés et financiarisés de manière oligarchique (néolibéralisme) et les économies industrielles socialistes. Ce socialisme est la suite logique de la dynamique du capitalisme industriel primitif, qui vise à rationaliser la production et à minimiser le gaspillage et les coûts inutiles causés par les classes rentières qui exigent des revenus sans jouer de rôle productif – les propriétaires fonciers, les monopoleurs et le secteur financier.

Le grand problème, bien sûr, est que les Américains veulent faire exploser le monde s’ils ne peuvent pas le contrôler et dominer tous les autres pays. Alastair Crooke a averti que le mouvement chrétien évangélique y voit une occasion de déclencher une conflagration qui verra le retour de Jésus et convertira le monde au jihadisme chrétien.

Le terme «barbarie tardive» est désormais largement utilisé sur Internet pour désigner le fanatisme de la suprématie ethnique, qui va des djihadistes wahhabites et des branches d’Al-Qaida à Gaza et en Cisjordanie jusqu’à la résurgence du néonazisme ukrainien (avec ses échos dans la haine allemande envers la Russie), comme on n’en avait plus vu depuis le nazisme des années 1930 et 1940, et qui nie que ses adversaires sont des êtres humains comme eux.

En tant qu’alternative à l’OCS, aux BRICS et à la Majorité mondiale, cela définit la profondeur de la division dans l’orientation géopolitique actuelle.

Professeur Michael Hudson – Etats-Unis

Michael Hudson est président de l’Institut pour l’étude des tendances économiques à long terme (ISLET). Il est analyste financier à Wall Street et professeur émérite d’économie à l’Université du Missouri, à Kansas City. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont «Super-Imperialism: The Economic Strategy of American Empire», «J is for Junk Economics» et «Killing the Host». L’ISLET mène des recherches sur la finance nationale et internationale, le revenu national et la comptabilité par bilan en matière d’immobilier. Il s’intéresse également à l’histoire économique du Proche-Orient ancien. Son site web est https://michael-hudson.com.

Source: https://www.geopoliticaleconomy.report/p/eurasia-sco-michael-hudson-post-western-world-order

1)https://www.ndtv.com/world-news/azerbaijan-claims-india-blocked-its-sco-full-membership-bid-over-pak-support-9201133

Source en français : https://arretsurinfo.ch/quelle-evolution-apres-le-sommet-de-locs/

URL de cet article ; https://lherminerouge.fr/quelle-evolution-apres-le-sommet-de-locs-arret-sur-info-28-09-25/

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