
« Je n’ai jamais vu ça », dit son avocate. Rachel, 23 ans, a été condamnée à 6 mois de prison ferme pour avoir aspergé l’hôtel Matignon de peinture à l’eau. La militante du collectif Dernière rénovation va faire appel.
Par Amélie QUENTEL et Mathieu GENON (photographies)
Être condamnée à six mois de prison ferme pour avoir aspergé de peinture à l’eau la façade de l’hôtel de Matignon (Paris) : il y aurait de quoi en perdre son sourire et son sens de l’humour. Ce serait mal connaître Rachel, 23 ans : quand on la rencontre à la terrasse d’un café parisien fin septembre, la jeune femme ponctue ses réflexions très structurées sur le marxisme, le militantisme de parti ou l’inaction climatique de bons mots et de blagues pleines d’autodérision. Une question de personnalité bien sûr, mais aussi une volonté de ne pas se montrer abattue par cette sanction « absolument démesurée » rendue par le tribunal judiciaire de Paris, le 23 septembre.
« Je n’ai pas envie d’être déprimante et que les gens en tirent la conclusion qu’il ne faut pas militer. Ce qui m’arrive montre plus que jamais la nécessité de le faire », dit l’activiste de sa voix grave. Le 8 novembre 2023, elle avait mené cette action dans le cadre de la campagne de feu le collectif Dernière rénovation (DR), lequel réclamait des mesures ambitieuses concernant la rénovation énergétique des bâtiments.
Cela n’avait duré que quelques secondes : plusieurs militaires avaient rapidement plaqué au sol Rachel et sa camarade Manon, qui a elle-même écopé de huit mois de prison avec sursis. S’en étaient suivies quarante-huit heures de garde à vue puis un déferrement au tribunal.
Blocages de routes, collages au musée d’Orsay
Rachel, habituée des procès pour ses actions non-violentes de « résistance civile » — blocages de routes, collage sur la vitre d’un tableau de Monet au musée d’Orsay… —, garde en tout cas un souvenir sidéré de l’audience du 23 septembre : « Les juges n’étaient pas du tout à l’écoute de nos arguments sur la crise climatique et démocratique en France, de pourquoi nous avions décidé d’entrer en résistance civile… C’était très violent. »
La militante a été condamnée pour dégradation de bien classé en réunion avec violences volontaires sur personnes dépositaires de l’autorité publique sans ITT, quatre gendarmes ayant porté plainte. Un non-sens pour son avocate Anne-Gabrielle Gandon, qui représente aussi Manon : « J’ai du mal à comprendre comment les violences volontaires ont pu être caractérisées : les militaires se sont pris de la peinture sur leurs vêtements quand ils les ont interpellées, ce n’était évidemment pas intentionnel. Plus globalement, les peines prononcées me désolent : cela crée un précédent désastreux pour les militants écologistes. »

Et d’ajouter, rappelant qu’il s’agit de la peine la plus lourde jamais prononcée en France pour une action de désobéissance civile non-violente : « Faire de la prison ferme pour un jet de peinture sur une porte : je n’ai jamais vu ça. C’est non seulement ridicule, mais aussi odieux. C’est quoi la prochaine étape ? On assiste peut-être là au début d’une répression de plus en plus sévère des militants écologistes, comme on l’a vu en Grande-Bretagne ou en Allemagne. »
« Cela crée un précédent désastreux pour les militants écologistes »
Assise derrière sa tasse de café, Rachel se montre, elle aussi, inquiète du durcissement de la répression des militants (écologistes ou non) en France, notant au passage les glissements sémantiques qui tendent à la banaliser. « Quand je pense qu’on nous traite d’écoterroristes, cela m’agace énormément. Je ne crois pas être bien menaçante ! », ironise-t-elle, en passant sa main dans ses cheveux coupés courts, qu’elle a eu un temps orange fluo — la couleur du logo de Riposte alimentaire, né en 2024 en remplacement de Dernière rénovation.
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Il en faut plus pour la décourager. « Libre à nous de continuer à maintenir le rapport de force : si la répression augmente, cela veut dire qu’il y a une crainte du pouvoir. Cela montre que nous avons mis le doigt sur quelque chose d’important. »
La native de Rouen (Seine-Maritime) le dit très tranquillement : en s’engageant dans ce combat pour la justice climatique et sociale, elle sait qu’elle est « du bon côté de l’histoire ». « C’est ne pas faire tout ça qui aurait été anormal », dit celle qui a toujours aimé observer la faune et la flore et dont l’engagement date de l’adolescence.
Marx et véganisme
Élevée par une mère CPE puis proviseure adjointe et un beau-père professeur de français — tous deux électeurs de Philippe Poutou —, Rachel grandit avec ses frères dans un foyer où les débats politiques occupent une place prépondérante et où il est naturel de commander un abonnement à L’Huma pour Noël. Elle évoque avec émotion sa grand-mère maternelle, cette institutrice végétarienne qui lui expliquait la composition « dégueulasse » de ses cornflakes, et lui parlait avec passion de Greenpeace et de José Bové.
Elle a eu une grande influence sur sa construction politique — Rachel est aujourd’hui végane. Du côté de son grand-père docteur en philosophie, leurs conversations tournaient plutôt autour du Capital (paru en 1867) de Marx. L’admiratrice de Greta Thunberg et de la députée Rima Hassan estime d’ailleurs nécessaire de combattre le capitalisme, système à la fois climaticide, raciste, patriarcal et violent pour les classes populaires.
« Avoir évolué dans un tel environnement familial a été une chance pour développer ma pensée politique », souligne cette ancienne animatrice auprès de jeunes enfants — activité qu’elle ne peut plus exercer en raison de son casier judiciaire. Elle se sait privilégiée. « Je suis blanche, j’ai des papiers français et je suis insérée socialement. Par ailleurs, je suis soutenue par mes proches dans mon militantisme. Ce n’est pas le cas de tout le monde : j’ai des camarades qui sont vus comme les fous du bus par leurs parents, c’est très difficile pour eux. En fait, ils ont plus de courage que moi », assure-t-elle, ne cessant en outre de mentionner le génocide perpétré actuellement par Israël à Gaza.

« Au premier abord, c’est une personne très intense et déterminée, qui parle souvent de politique. Mais elle est aussi très empathique et pleine d’amour », raconte Manon, qui l’a rencontrée en 2022 au sein de DR. C’est d’ailleurs cette année-là que Rachel rejoint le collectif : « Je cherchais une orga qui sortait du militantisme traditionnel — manifs, tractages et compagnie — et je trouvais assez stratégique le fait que DR se concentre sur une seule revendication. »
L’État lui réclame 160 000 euros de dommages et intérêts !
Marches pour le climat en 2018, mobilisation contre la réforme des retraites en 2019… C’est dès le lycée que la jeune femme s’engage, que ce soit en trainant ses boots noires sur l’asphalte des manifestations ou en se présentant aux élections municipale et départementale pour le compte de la Gauche révolutionnaire, un parti affilié à La France insoumise (LFI). Si elle n’en fait plus partie aujourd’hui — mais vote LFI à chaque échéance électorale —, Rachel garde un bon souvenir de cette expérience « intellectuellement riche », considérant de toute façon que des victoires ne pourront advenir que via un « travail d’équipe » entre forces politiques, associations et citoyens engagés.
« On voit bien que la voie partisane à elle seule ne fonctionne pas, on est obligés aujourd’hui de rajouter le volet résistance civile », indique-t-elle, rappelant que « si on se retrouve à faire ce type d’actions et de la garde à vue ce n’est pas par plaisir : c’est par nécessité ».

Rachel a finalement décidé de faire appel de sa condamnation, après plusieurs jours de réflexion : « Si l’audience a lieu après la présidentielle de 2027, on connaît tous le risque que le Rassemblement national soit au pouvoir à ce moment-là et que ma peine soit pire encore qu’en première instance », s’était-elle dit.
En octobre 2026, elle devra en outre se présenter à une audience supplémentaire : Matignon réclame 160 000 euros de dommages et intérêts pour… la peinture à l’eau de novembre 2023. En attendant, en parallèle d’un mi-temps au sein d’une Biocoop, cette passionnée de théâtre vient tout juste de reprendre des études de droit à Paris. Avec l’idée, qui sait, d’un jour devenir avocate ou juge.
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Source: https://reporterre.net/Rachel-six-mois-ferme-et-la-lutte-climat-comme-une-necessite
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