80ème anniversaire sécu : interview Félix Abecia* (PRC-7/10/25)

Felix Abecia

À l’occasion du 80eme anniversaire de la sécurité sociale, nous donnons la parole à Felix Abecia qui a coordonné la rédaction d’une publication de l’USR-CGT 75 :  » Sécurité sociale, les mensonges ça suffit ». Cette publication décrit les fondements de la sécurité sociale, son histoire attachée aux luttes de la classe ouvrière et les enjeux de classe qu’elle représente. L’interview vient en complément des deux derniers articles de notre hebdomadaire sur la sécurité sociale et l’hôpital public.

Le « trou » de la sécurité sociale, le déficit de l’hôpital public : un choix politique La Sécu appartient aux travailleurs ! Macron et les patrons veulent achever la destruction de notre sécu

Question 1 : La sécu a aujourd’hui 80 ans. Pourrais-tu rappeler dans quel contexte et dans quel rapport de force entre travail et capital elle a été créée ?

Félix ABECIA*. Le programme du Conseil National de la Résistance aborde l’essentiel des questions de société et offre des pistes à mettre en œuvre pour construire une société démocratique et solidaire une fois la guerre achevée.

Parmi ces pistes il propose : « Un plan complet de sécurité sociale, visant à assurer à tous les citoyens des moyens d’existence, dans tous les cas où ils sont incapables de se le procurer par le travail, avec gestion appartenant aux représentants des intéressés et de l’État. »

Après la capitulation de l’Allemagne nazie, le rapport de force est favorable au monde du travail. Le patronat, ayant pour une large part collaboré avec les nazis, est disqualifié. Le Parti Communiste Français est le premier parti au parlement avec 27,13 % des voix et 159 élus. La cgt, dont les militant.e.s se sont largement impliqué.e.s dans la résistance, recense plus de 5 Millions d’adhérents. C’est ce rapport de force très favorable au monde du travail qui permet, entre autres, la création de la Sécurité sociale dans l’esprit du programme du CNR.

Question 2 : Quel fut le rôle de la CGT dans cette création ?

Félix ABECIA*. Après les ordonnances des 4 et 19 Octobre 1945 Ambroise CROIZAT est nommé Ministre du Travail et de la Sécurité sociale. Il a en charge la mise en place de la Sécurité sociale. Croizat est un ouvrier, militant syndical, Secrétaire Général de la Fédération cgt des métaux. Avec l’ensemble de la Confédération, il mobilise les militants de la cgt pour œuvrer à la création de la Sécurité sociale, y compris physiquement en participant à la construction des locaux là où c’était nécessaire. Cet engagement de la CGT est reconnu au moment des élections des administrateurs des caisses primaires, régionales et nationale. La CGR est prépondérante dans ces conseils d’administration où le collège salariés est majoritaire (75%) face aux employeurs (25%).

Question 3 : Le financement de la sécu est basé sur ce qui est nommé couramment : cotisations salariales et patronales ou encore charges sociales. Ces termes ne masquent-ils pas l’essentiel ?

Félix ABECIA*. Le principe de la Sécurité sociale repose sur un dispositif solidaire financé par le travail à partir de la création de richesses. Chacun.e participe avec une cotisation dont le taux est identique. Quelle que soit la situation des intéressé.e.s. C’est le célèbre « De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins »

En effet, la notion de cotisations salariales et patronales que les employeurs et leurs soutiens politiques qualifient de charges est un vaste enfumage.

Lorsqu’on achète un produit, prenons une baguette, le prix facturé par le patron boulanger inclu les matières premières, l’amortissement de son matériel, le prix de l’énergie, et enfin l’ensemble des salaires incluant toutes les cotisations sociales (y compris celles dites «Employeur»). Le patron boulanger ne verse rien de sa poche et donc n’a aucun montant à sa charge. Les cotisations sociales sont possibles parce qu’il y a création de richesse, c’est à dire du travail.

L’ensemble des cotisations sociales ajoutées au salaire net perçu représente le prix de la force de travail. Ce financement est d’une grande intelligence. Il assure les moyens nécessaires dès qu’il y a création de richesse, c’est à dire du travail.

Question 4 : Peux-tu rappeler les principes essentiels qui fondent la sécu.

Félix ABECIA*. L’idée est de couvrir l’ensemble de la population sans distinction. La sécurité sociale est universelle. Le socle sur lequel est bâti la Sécurité sociale est la protection et la sécurité des travailleur.euses pour qu’elles et ils puissent vivre dignement de leur naissance à leur mort sans craindre d’être contraint.es du jour au lendemain à la mendicité.

Pour cela il faut assurer les moyens d’existence à celles et ceux incapables de se les procurer par le travail. L’assurance maladie qui permet de se soigner et de percevoir des indemnités journalières le temps de l’arrêt pour se soigner, la prise en charge des accidents du travail et de l‘invalidité, les allocations familiales qui permettent de percevoir des moyens destinés à élever et éduquer les enfants, et les pensions de retraites pour permettre aux salarié.e.s ayant cessé leur activité professionnelle de vivre dignement.

Et tout cela sans le moindre apport du capital.

Question 5 : Dès la mise en place de la sécu le patronat avec l’appui des gouvernements successifs s’est employé à enlever la gestion de la sécu aux travailleurs et à modifier l’assiette des recettes. Aujourd’hui le budget de la sécu est voté au parlement. Que signifie ce glissement d’une gestion par les travailleurs à une étatisation ?

Félix ABECIA*. Dès sa création la sécurité sociale a été l’objet de critique de la part du patronat avec le soutien plus ou moins affirmé des gouvernements. Les «Charges» sont dénoncées. Comme est très vite dénoncé l’âge du départ à la retraite sous prétexte que l’espérance de vie augmente du fait d’une meilleure prise en charge des soins.

Mais il y a une contradiction. Le patronat a besoin de salarié.es en bonne santé tranquillisés pour leurs familles descendants comme ascendants. La Sécurité sociale joue ce rôle d’amortisseur dont les employeurs se satisfont pendant plusieurs décennies.

Pour autant laisser la gestion d’un tel organisme avec un budget aussi important (supérieur à celui de l’État) aux représentants des travailleur.euses démocratiquement élus n’est pas acceptable pour le patronat.

C’est ainsi qu’apparaîtront les ordonnances Jeanneney en 1967 – du nom du Ministre des affaires sociales de de Gaulle.

Celles-ci, présentées par Georges Pompidou – Premier Ministre, modifie la composition des conseils d’administration. Il n’y a plus d’élections, elles sont remplacées par la mise en place du paritarisme (autant de représentant des salarié.es répartis de manière égale parmi les organisations syndicales que de représentants des employeurs). C’en est fini de la démocratie et même de l’espoir d’un vote favorable envers les travailleur.euses par le biais d’alliances contre nature entre représentants syndicaux et patronat.

La seconde grande attaque a été portée en 1991 par Michel Rocard – Premier Ministre de François Mitterrand – avec la mise en place de la CSG. Celle-ci a permis deux ans plus tard à Édouard Balladur d’initier les allègements des cotisations dites «patronales».

De fait, on a réduit unilatéralement le prix du travail de l’ensemble des salarié.es en France. Les gouvernements qui ont suivi se sont engouffrés dans le processus favorable au patronat.

En 2007, Denis Kessler – Vice Président du MEDEF – déclarait «Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance !».

On notera que le processus avait commencé 40 ans plus tôt et les gouvernements qui se sont succédé depuis 1967 n’ont jamais infléchit la tendance.

Question 6 : Tu as récemment coordonné la réalisation d’une publication de l’USR-CGT Paris : « Sécurité sociale, les mensonges ça suffit! » qui rencontre un vif succès. Quelle est l’enjeu de la sécu aujourd’hui pour les salariés ?

Félix ABECIA*. Nous avons écrit cette brochure1 à «quatre mains». Elle rencontre un réel succès parce qu’elle relate de manière factuelle l’histoire de la Sécurité sociale de 1945 à nos jours.

Nous nous sommes attachés à rappeler les événements politiques économiques et sociaux qui ont marqué cette histoire. Ce document est, de mon point de vue, une démonstration comme quoi tout dépend du rapport de force et que rien n’est inéluctable. Il démontre aussi que les moyens existent largement pour financer à partir des cotisations prélevées sur la création de richesse une Sécurité sociale du 21ème siècle dans l’esprit de celle de ses créateurs.

Afin de contrer cette perspective, patronat, gouvernement, et les médias privés ou publics qu’ils gèrent travestissent l’histoire et la réalité à longueur de pages et/ou d’heures d’antenne.

C’est la raison pour laquelle nous avons voulu réaffirmer que Les mensonges, ça suffit !

La perspective de la Sécurité sociale intégrale comme le revendique la cgt est réaliste et à portée de lutte. C’est l’affaire de toutes et tous : salarié.es, privé.es d’emploi, retraité.es. Nous devons par la mobilisation imposer une autre politique qui au-delà du triptyque de la République inclus la solidarité et, par les temps qui courent la Paix.

Note:

1 Cette brochure est disponible à la boutique confédérale, CGT 263 rue de Paris, 93516 Montreuil Cedex. Elle peut être commandée à l’USR-CGT Paris, 85 rue Charlot, 75140 Paris cedex 03 ;accueil@cgtparis.fr

*Félix ABECIA -Début de carrière d’électronicien (Thomson-CSF), puis réorientation vers la réadaptation professionnelle et sociale de personnes en situation de handicap. -Formateur, Chargé de communication institutionnelle, Directeur d’établissement. -Membre du CA puis Secrétaire Général de la FAGERH (Fédération des Associations Gestionnaires et Établissements de Réadaptation des personnes en situation de Handicap). -Directeur de l’Administration Confédérale de la cgt. -Titulaire d’un Master 2 de Droit de la Gestion des Établissements Sanitaires et Médico-Sociaux. -Adhérent à la Cgt depuis janvier 1974.

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Source: https://www.sitecommunistes.org/index.php/france/social/3599-80eme-anniversaire-secu-interview-felix-abecia

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/80eme-anniversaire-secu-interview-felix-abecia-prc-7-10-25/

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