Dans l’illégalité, le chantier de l’A69 se poursuit la nuit (Reporterre-9/10/25)

21 h 31 : sur la commune de Cuq-Toulza (Tarn), les travaux de l’A69 se poursuivent pour évacuer la terre creusée de la colline en journée. – © Antoine Berlioz / Reporterre

Depuis fin août, le bruyant chantier de l’autoroute A69 déborde la nuit, entraînant la colère des riverains. Ce, en toute illégalité : aucun arrêté administratif n’autorise le concessionnaire.

Par Justin CARRETTE et Antoine BERLIOZ (photographies)

Cuq-Toulza (Tarn), reportage

Dans le noir, les phares puissants des camions-bennes illuminent le sol terrassé et sans vie de Cuq-Toulza, une commune du Tarn située le long du tracé de l’autoroute A69, entre Toulouse et Castres. En plein milieu de la nuit, le ballet incessant de ces monstres de chantier, chargés de leurs cargaisons de terre, ne faiblit pas. Le cliquetis des chenilles, les bips de recul des pelleteuses, les moteurs qui grondent… Le chantier de l’A69 est à plein régime.

Un rapide regard sur notre téléphone nous permet de vérifier l’heure ce mardi 7 octobre : 22 h 16. Les travaux sont censés prendre fin à 20 heures, mais depuis début août, le concessionnaire Atosca déborde largement sur les horaires habituels du chantier.

Comme l’attestent une vingtaine de photos et de vidéos capturées entre le 11 août et le 1er octobre par des habitants le long du tracé, puis transmises à Reporterre, les machines arrivent un peu avant 5 heures et ne repartent qu’aux alentours de 23 heures, et cela tous les jours.

21 h 06 : sur la commune de Maurens-Scopont, des engins de chantier déchargent des tonnes de terre en provenance de la colline de Cuq-Toulza. © Antoine Berlioz / Reporterre

Ces faits ont également été confirmés de vive voix par plusieurs riverains rencontrés le 11 septembre par Reporterre, et qui confiaient leur colère quant à ces nouveaux horaires du chantier qui les empêchent de dormir et rendent leur quotidien invivable. Depuis début août, selon l’avocate qui les accompagne, sept plaintes ont été déposées par des riverains pour les nuisances qu’ils subissent.

Des dérogations inexistantes

Le concessionnaire n’est pourtant pas libre de modifier à sa guise les horaires sur lesquels faire travailler ses équipes, comme le confirme un document qu’il a lui-même édité, déjà repéré par nos confrères d’Ici et que Reporterre a pu consulter.

Dans ce rapport de 62 pages nommé « Bruit de chantier », déposé dans les mairies et dans les préfectures concernées début 2023, Atosca précise que les horaires de chantier sont encadrés par deux arrêtés, publiés par la préfecture du Tarn en 2000 et par la préfecture de Haute-Garonne en 1996. Ces textes stipulent que « tous les travaux bruyants sont interdits : tous les jours de la semaine de 20 heures à 7 heures » et « toute la journée des dimanches et jours fériés » [1].

« Nous n’avons vu passer aucun
arrêté préfectoral »

Quelques pages plus loin, le concessionnaire précise dans ce dossier que « sur dérogation, ils [ces horaires] pourront être étendus de 5 heures à 22 heures, ainsi qu’en période de nuit ». Ces dérogations, qui sont à l’initiative des préfectures ou des mairies concernées par le chantier, peuvent en effet permettre au concessionnaire de travailler plus tôt le matin et plus tard le soir.

Mais après de longues recherches, à exhumer le registre des arrêtés préfectoraux en juillet, en août et en septembre, et à contacter une dizaine de communes concernées par ces travaux, la fameuse dérogation reste introuvable. À la mairie de Saïx, dans le Tarn, « aucune délibération et aucun arrêté n’a été voté pour l’allongement des horaires de chantier », assure-t-on à Reporterre. « Cela ne me dit rien concernant un arrêté préfectoral dans ce sens. Si vous ne trouvez rien sur le site de la préfecture, c’est tout simplement que cet arrêté n’existe pas », confie un membre du conseil municipal.

Le chantier de construction de l’A69 se poursuit tard le soir (20h-23h) et tôt le matin (5h-7h), en dehors des périodes légales de travail (7h-20h), depuis le mois d’août. © Antoine Berlioz / Reporterre

La mairie de Teulat, en Haute-Garonne, nous assure également « n’avoir pris aucune dérogation qui autorise l’allongement des horaires du chantier. Et [elle n’a] vu passer aucun arrêté préfectoral qui permettrait cela ». Même son de cloche à la mairie de Loubens-Lauragais.

En revanche, c’est le silence du côté des préfectures du Tarn et de Haute-Garonne. Après de multiples relances, nous restons à ce jour sans nouvelle d’un éventuel arrêté autorisant l’allongement des horaires du chantier. Si un tel arrêté préfectoral devait être publié dans les jours ou les semaines qui viennent, il ne serait de toute façon pas rétroactif ; autrement dit, il ne permettrait pas de légaliser cette situation qui court depuis août.

21 h 46 : sur la commune de Cuq-Toulza, des camions font des allers-retours pour déplacer la terre creusée vers d’autres sites en cours de terrassement. © Antoine Berlioz / Reporterre

D’après plusieurs mairies contactées par Reporterre, une réunion en visio a eu lieu mardi 7 octobre entre plusieurs maires, les préfectures, un représentant de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) et le directeur d’Atosca pour parler de ces nuisances.

« On leur a fait état d’un bruit insoutenable et de nuisances quotidiennes », assure le maire de Montcabrier, Didier Belaval, qui y a assisté. Sa commune est traversée par l’autoroute. « Atosca nous a dit qu’il reviendrait vers nous, et les préfectures ne se sont pas positionnées, n’ont rien dit », assure l’édile, qui confirme également n’avoir pris aucune dérogation pour autoriser l’allongement des horaires de chantier.

Manquements et amendes

Malgré l’absence de dérogation, les vidéos et les photos transmises à Reporterre par plusieurs riverains sont univoques. Les exemples sont nombreux : sur l’une des vidéos, tournée le 13 août, des machines arrivent sur le chantier vers 4 h 40 à Cuq-Toulza, entraînant un bruit assourdissant et éblouissant les alentours de leurs grands spots lumineux.

À 22 h 52 le 1er octobre, un téléphone enregistre le cliquetis infernal de plusieurs engins à chenilles près de Loubens-Lauragais. Près de Vendine, le 16 septembre à 22 h 40, un appareil photo capte la lumière aveuglante d’un projecteur de chantier braqué vers des habitations.

20 h 43 : sur la commune de Montcabrier, les semi-remorques déchargent de la terre à la chaîne, bulldozer et compacteur terrassent. © Antoine Berlioz / Reporterre

Ces photos et vidéos placent le concessionnaire et les préfectures dans une position délicate. Contacté, Atosca n’a fait aucun commentaire sur l’absence de cadre légal lui permettant d’allonger les horaires du chantier.

Le concessionnaire n’en serait pas à sa première irrégularité, puisque depuis le début des travaux, la préfecture du Tarn a émis 50 rapports de manquements administratifs et 15 arrêtés de mise en demeure à l’encontre d’Atosca.

Une stratégie du « passage en force » que semble assumer le concessionnaire, peu importe les mises en demeure, les amendes et l’absence de cadre légal. Atosca pourrait également, comme il l’a déjà tenté lors des précédentes audiences, utiliser l’avancement des travaux comme un argument pour convaincre les juges de la cour administrative d’appel de Toulouse, fin novembre, qui statueront sur le fond du dossier et la légalité ou non de cette autoroute.

« NGE et Atosca prétextent devoir tenir des délais impossibles imposés par un État prêt à tous les excès, telle une bête blessée, pour faire perdurer un monde qui nous envoie dans le mur, lit-on dans le communiqué du collectif La Voie est libre, opposé à la construction de l’autoroute A69. […] Ce nouvel épisode révèle surtout une amère réalité. Cette A69 censée connecter les Hommes est en train de fracturer un territoire et d’irriter profondément ses habitants. »

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Source: https://reporterre.net/Dans-l-illegalite-le-chantier-de-l-A69-se-poursuit-la-nuit

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/dans-lillegalite-le-chantier-de-la69-se-poursuit-la-nuit-reporterre-9-10-25/

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