
«C’est la crédibilité de l’État qui se joue aussi si demain ce chantier est arrêté […] cela va faire jurisprudence sur l’ensemble du territoire national, c’est la fin des grands projets», s’emporte le Ministre des Transports
Le 27 février, la justice administrative annulait l’autorisation environnementale du chantier d’autoroute A69. Une première pour une autoroute de cette envergure en France, qui devait entrer en service fin 2025, et une victoire pour le mouvement qui résiste courageusement au projet depuis des années.
La rapporteuse publique du tribunal avait demandé à deux reprises que la justice prononce «l’annulation totale» de l’arrêté préfectoral qui a permis le démarrage du chantier en 2023. Ses demandes étaient validées : la justice estimait que les «gains espérés» par ce projet d’autoroute ne constituent pas une «raison impérative d’intérêt public majeur» justifiant les atteintes à l’environnement causées par le projet.
Et pour cause : cette autoroute n’a aucun intérêt. Ce grand chantier écocidaire sorti tout droit des années 1970, dont le coût est évalué à 500 millions d’euros, dont une partie d’argent public, avait commencé à détruire plus de 400 hectares de terres, notamment des forêts aux arbres centenaires qui sont rasées sur une bande de 60 kilomètres de long. Tout cela pour économiser quelques minutes aux automobilistes, et faire payer ce tronçon routier afin d’engraisser des actionnaires.
Alors qu’ils s’étendent déjà sur des dizaines de kilomètres, les travaux ont été mis à l’arrêt. Le temps de la justice est plus lent que celui des bétonneurs et Atosca, l’entreprise qui construit l’A69, se vantait en novembre que «100 % des terrassements aient démarré et 45% aient été réalisés». L’entreprise ajoutait que 70% des ouvrages d’art prévus pour enjamber la future route sont déjà installés.
Ainsi, pour le gouvernement, pas question d’obéir à la décision de justice, et encore moins de s’arrêter en si bon chemin. Le Ministre des Transports annonce ce 7 mars à la radio qu’un appel «sera déposé dans les jours qui viennent» devant les tribunaux, et qu’il compte surtout «demander un sursis à exécution». Concrètement, cela voudrait dire continuer le chantier le temps de la procédure d’appel qui peut durer des mois voire des années. Donc terminer l’autoroute malgré la décision du tribunal.
«Je rappelle quand même que les deux tiers sont réalisés, que 300 millions d’euros ont été pratiquement investis, que deux ouvrages d’art sur trois ont été réalisés. Quelles conséquences si demain, on est amené à être obligé de détruire ce qui a été réalisé?», s’est interrogé le Ministre. C’est la logique perverse qu’on pouvait craindre : les bétonneurs démarrent les travaux le plus vite possible et détruisent un maximum, afin que même si la justice finit par donner raison aux opposant-es, il est déjà trop tard : pourquoi stopper un chantier qui est déjà en cours ?
C’était déjà la crainte dans le cadre de la lutte contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes il y a 15 ans : s’il avait fallu attendre que la justice invalide le projet, tout le bocage près de Nantes aurait été bétonné avant la fin des recours. C’est la lutte déterminé d’occupant-es, de paysan-nes et de personnes solidaires sur le terrain, derrière des barricades, qui a permis de sauver ce territoire.
Dès 2012, quand le gouvernement déployait des milliers de gendarmes pour détruire des maisons et des cabanes, c’était pour construire un barreau routier au plus vite. Une fois ce coûteux tronçon d’asphalte posé, il aurait été beaucoup plus compliqué d’empêcher le reste du projet. Il n’était donc pas question de laisser poser la première pierre du chantier. Et c’est l’échec de cette première opération d’expulsion, suivi d’années de combats, qui a permis d’obtenir un abandon pur et simple de l’aéroport. Mais en 2018.
Revenons à l’A69 : le Ministre des Transports estime que «c’est la crédibilité de l’État qui se joue si demain ce chantier est arrêté», d’autant plus que «cela va faire jurisprudence sur l’ensemble du territoire national (…) c’est la fin des grands projets». Nous y sommes : l’État compte passer en force pour montrer l’exemple. Pas question de céder à la lutte écologiste, sinon il faudrait remettre en cause d’autres chantiers écocidaires.
Le Ministre s’est dit «déterminé» à terminer l’autoroute, jugeant que l’arrêt du chantier provoquait une «catastrophe concrète et immédiate sur un plan économique». Cette déclaration intervient à la veille d’une mobilisation, prévue samedi à Castres par les partisans de l’autoroute, contre le jugement du tribunal administratif de Toulouse.
Nous sommes entrés dans une nouvelle période. Pendant longtemps, la bourgeoisie s’est réfugiée derrière la légitimité du «droit» et de la «démocratie» pour justifier ses mesures. Elle prônait la «négociation» avec les «partenaires sociaux», et se pliait aux décisions de justice. Nos dirigeants et leurs laquais se moquent désormais des institutions et du verdict des tribunaux quand ils ne leur conviennent pas. Bruno Retailleau appelle à en finir avec l’État de droit. Le syndicat policier Alliance veut liquider la justice quand elle met en examen un des leurs. Macron passe en force quand il perd une élection. Alors pourquoi s’embêter quand des juges suspendent un projet d’autoroute ?
Chaque jour qui passe nous rapproche de la dictature. La version cosmétique de la démocratie libérale est terminée. Place à la bourgeoisie ensauvagée qui s’assume de plus en plus, sur le sujet de l’A69 comme sur les autres.
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