Agriculture-Des herbicides interdits près des captages d’eau en Ille-et-Vilaine, une première en France (reporterre-29/03/25)

Une parcelle de maïs (photo d’illustration). Cette dégradation de la qualité des eaux est largement due aux pesticides de l’agriculture intensive qui polluent les nappes phréatiques. – Wikimedia / CC BY-SA 4.0 / BotaFlo

Des élus bretons ont voté l’interdiction à partir de 2029 de pesticides sur les parcelles de maïs à proximité de zones de captages d’eau. Une avancée timide, mais inédite, contre la pollution massive de l’eau potable.

Par Scandola GRAZIANI

C’est une décision sans précédent. En Ille-et-Vilaine, en Bretagne, les élus de la Commission locale de l’eau (CLE) ont voté l’interdiction des herbicides dans les parcelles de maïs à proximité des zones de captage d’eau potable, à partir de 2029. Objectif : préserver la ressource en eau potable, qui devient de plus en plus difficile à dépolluer, même pour les collectivités les mieux équipées. La décision a été adoptée lors du vote du nouveau schéma d’aménagement et de gestion des eaux (Sage), vendredi 21 mars, à Pont-Péan, près de Rennes.

Une victoire ? « Pas vraiment, juge Ludovic Brossard, élu à l’alimentation durable de la ville de Rennes et membre de la CLE. À l’origine, avec d’autres élus rennais, on avait plaidé pour une mesure beaucoup plus ambitieuse : la sortie totale de tout pesticide de synthèse sur tout le bassin versant de la Vilaine, ou au moins sur toutes les aires d’alimentation de captage. »

Mais la chambre d’agriculture qui siège à la CLE a tiré les négociations vers le bas, proposant l’interdiction des herbicides sur les parcelles de maïs à proximité des aires de captage « prioritaires », les plus sensibles au ruissellement et à l’érosion. Ce qui ne représente que 1,4 % de la surface du bassin versant de la Vilaine… Cette rivière, qui traverse le département du nord au sud, est particulièrement polluée du fait de l’agriculture intensive. Seules 8 % des masses d’eau de son bassin versant seraient en bon état, selon l’association Eaux et Rivières de Bretagne, déçue par le manque d’ambition de la mesure.

« On a tendance à voir le verre à moitié vide, mais cela reste malgré tout une avancée dans la protection des aires de captage d’eau potable », admet Ludovic Brossard. C’est même une première en France, alors que la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, s’apprête à présenter sa feuille de route pour améliorer la qualité de l’eau potable en protégeant des captages sensibles.

12 500 captages fermés à cause des pollutions

Le sujet est brûlant. En novembre 2024, un rapport interministériel confidentiel, révélé par le média Contexte, dévoilait l’ampleur de la pollution des captages, nécessitant la fermeture de milliers d’entre eux : entre 1980 et 2019, 12 500 captages ont été abandonnés, essentiellement en raison des pollutions. Il n’en reste que 33 000, dont environ 3 000 qualifiés de « sensibles » (un terme qui, selon la feuille de route de la ministre, restera encore à définir).

Cette dégradation de la qualité des eaux est largement due aux pesticides de l’agriculture intensive qui polluent les nappes phréatiques. Le réchauffement climatique pourrait aussi aggraver les choses, en augmentant les concentrations de polluants avec l’évaporation de l’eau.

Face à cette situation critique, la feuille de route de la ministre, qui devrait être dévoilée vendredi 28 mars, ne s’annonce pas révolutionnaire… Dans un entretien accordé à La Tribune Dimanche et repris par le média en ligne L’info-durable, Agnès Pannier-Runacher déclarait que les mesures visant les agriculteurs seraient pour le moment non contraignantes, « sur la base du volontariat ».

La dégradation de la qualité des eaux est largement due aux pesticides, qui s’infiltrent dans les nappes phréatiques. © Camille Martin / Reporterre

Côté financement, aucune nouvelle enveloppe consacrée à la protection des captages n’est pour l’instant envisagée. La ministre n’a fait qu’évoquer des moyens déjà existants, notamment un financement via les agences de l’eau. En revanche, des crédits de 6,5 millions d’euros du plan de réduction des pesticides Écophyto seront fléchés pour la protection des captages prioritaires.

« Ça fait deux ans et demi qu’on attend ce texte, donc c’est déjà bien qu’on en parle ! On se satisfait de peu de choses, dit Régis Taisne, chef du département cycle de l’eau, à la Fédération nationale des collectivités concédantes et des régies (FNCCR). Il regrette toutefois l’absence de nouvelles sources de financement pour protéger les captages.

« Combien faudra-t-il de cancers pédiatriques ? »

« J’ai peur que, sous couvert de grands discours, ce texte ne change strictement rien à ce qui est déjà fait depuis des décennies…, déplore quant à lui Jean-Claude Raux, député Nupes de Loire-Atlantique, et porteur d’une proposition de loi pour protéger les captages d’eau potable. Combien faudra-t-il de cancers pédiatriques ? Combien de temps pour enfin protéger notre santé et celle de nos enfants ? »

Pour le député, la solution ne peut venir que de décisions obligatoires et contraignantes : il faut tout bonnement interdire les pesticides de synthèse dans les aires de captage d’eau potable.

77 % de pesticides en moins

À ceux qui le prennent pour un utopiste, Jean-Claude Raux rétorque : « Certaines expériences montrent que c’est possible, à condition que le monde agricole soit bien accompagné. » Il cite l’exemple d’Eau de Paris, qui paye les agriculteurs pour qu’ils n’utilisent pas de produits phytosanitaires à proximité des zones de captage. Ce dispositif porte un nom : le paiement pour services environnementaux, et pourrait se développer ailleurs, selon ce qu’a déjà annoncé Agnès Pannier-Runacher.

En Île-de-France, il a permis de convertir 9 000 hectares à l’agriculture biologique entre 2015 et 2023, et de réduire de 77 % la quantité de pesticides utilisée.

Lire aussi : Pollution de l’eau : ces agriculteurs payés pour réduire les pesticides

Il reste très coûteux : les agriculteurs franciliens sont payés 220 euros l’hectare. Soit 47 millions d’euros au total sur douze ans. Il faut donc sortir le portefeuille pour financer la protection de notre eau potable… Ce qui ne semble pas être vraiment dans l’air du temps, au ministère de la Transition Écologique.

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Source: https://reporterre.net/Des-herbicides-interdits-pres-des-captages-d-eau-en-Ille-et-Vilaine-une-premiere-en

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