
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine-Bolivar Infos
Ces derniers, jours les rencontres de haut niveau entre dirigeants de pays en développement à Moscou et à Pékin ont fait les gros titres dans le monde entier. A Moscou, le présence de Poutine, Xi Jinping et Lula au défilé qui commémorait le 80ème anniversaire de la victoire soviétique sur les nazis a été très symbolique. En rappelant la solidarité tiers-mondiste de « l’esprit de Bandung », ont eu également lieu dans la capitale de la Russie des rencontres comme celle de Nicolás Maduro – qui dirige la résistance vénézuélienne contre les sanctions illégales imposées par les Etats-Unis – et d’ Ibrahim Traoré -le surprenant jeune dirigeant du Burkina Faso qui a hérité de l’âme révolutionnaire de Thomas Sankara. Enfin, depuis Pékin, Lula et Xi Jinping ont confirmé leur engagement envers le multilatéralisme et la coopération internationale, en opposition avec l’unilatéralisme adopté par le Gouvernement de Trump, pendant que le 4º Forum CELAC–Chine confirmait les attentes d’une nouvelle ère de vigueur pour les relations de coopération sud-sud.
Tout cela arrive à un moment où les Etats-Unis, craignant une éventuelle récession, commencé à donner des signes de recul dans leur tentative d’intensification de l’agressivité contre la Chine en matière douanière. Suite à cela, il est naturel que les dirigeants politiques, les analystes et les observateurs perçoivent de plus en plus led fait qu’un nouvel ordre multipolaire avance de façon importante. Et ce n’est pas un hasard. En effet, le monde a changé et le poids économique, politique et démographique des pays en développement est une réalité irréversible. Cela aura d’importantes conséquences pour la con figuration des relations internationales dans les prochaines années.
Mais, dans le cas particulier de l’Amérique latine et des Caraïbes, on doit considérer certains faits pour ne pas conclure précipitamment que l’impérialisme étasunien a irrémédiablement perdu sa vitalité ou que nous assistons à une fin inévitable de la renaissance de la doctrine Monroe.
IL faut comprendre que la stratégie du Gouvernement de Trump envers l’Amérique latine est loin d’être modérée et que la région n’occupe pas une place subalterne dans la politique étrangère des Etats-Unis. Ce n’est pas une coïncidence si le premier voyage officiel du secrétaire d’Etat Marco Rubio a été une tournée dans des pays d’Amérique centrale et des Caraïbes. Il y a plus d’un siècle que -depuis la visite de Philander Chase Knox au Panama en 1912, lors de la construction du Canal- l’Amérique latine n’avait pas été la destination du premier voyage officiel d’un secrétaire d’Etat des Etats-Unis.
Depuis le début de son mandat, l’objectif principal des Etats-Unis dans l’hémisphère est clair: déstabiliser et affaiblir les relations de coopération des pays de la région avec la Chine. Parmi les nombreux moyens utilisés pour cela, deux sont plus importants que les autres pour comprendre la situation actuelle:
- l’utilisation de pressions et du chantage sur es Gouvernements locaux
- le soutien explicite apporté à des forces d’extrême-droite dans différents pays pour arrêter l’avancée des Gouvernements progressistes.
En ce qui concerne la première méthode, de hauts fonctionnaires des Etats-Unis ou de leurs différents tentacules ont fait de nombreuses déclarations publiques con être les relations de coopération entre la Chine et l’Amérique latine comme les déclarations récurrentes des chefs du Commandement Sud.
En Amérique centrale et dans les Caraïbes, où la politique du « grand garrot » s’est montrée historiquement le plus agressive, il y a une tentative explicite pour redessiner les relations politiques et économiques dans la région. Les pressions sur le Panama, qui incluent même la menace de reprendre par la force la zone du Canal, ont conduit le pays à annoncer son retrait de l’initiative de la Bande et de la route et à transférer l’administration de deux ports du canal des mains de l’entreprise de Hong Kong CK Hutchison à celles de la compagnie étasunienne BlackRock. Lors de sa visite au Costa Rica, Marco Rubio a soutenu les critiques du Gouvernement envers la mise en place de la 5G par Huawei. Dans un communiqué officiel, le chancelier du Costa Rica, Arnoldo André, a man infesté son alignement sur les Etats-Unis: « Le Costa Rica a été reconnu et félicité par le sénateur Rubio qui a fait son éloge parce qu’il a abordé les problèmes de la bonne façon, en harmonie avec les intérêts du nouveau Gouvernement des Etats-Unis, » se faisant l’écho des discours alignés sur le modèle d’une soi-disant « guerre froide ». Le président du Guatemala, Bernardo Arévalo, également avec le soutien des secteurs radicaux des Etats-Unis, a pris une position de soumission diplomatique, en arrivant même à continuer à reconnaître Taïwan.
Dans le même contexte, les Etats-Unis ont fait des efforts évidents pour discipliner leur allié régional Nayib Bukele, président du Salvador, qui – malgré sa position à droite du spectre politique et sa proximité avec Trump – a cherché à renforcer les relations de son pays avec la Chine. En avril, un article d’opinion dans le Wall Street Journal, intitulé «El Salvador’s Bukele Is a China Ally», critiquait la complaisance du Gouvernement des Etats-Unis pour les relations du Salvador avec la Chine. Enfin, le durcissement des sanctions contre Cuba et le Nicaragua complète ce scénario dans lequel les Etats-Unis cherchent à instaurer « un cordon sanitaire » autour de ces pays et, évidemment, autour du Venezuela.
Plus au sud, les pressions sur le Brésil sont devenues évidentes dans les mois qui ont précédé la visite du président Xi Jinping dans le pays, avec diverses déclarations d’autorités étasuniennes exprimant leur mécontentement face à la possibilité que le Brésil rejoigne l’initiative de la Bande et la Route. Bien que le pays n’ait pas officialisé son adhésion à cette initiative, le Gouvernement brésilien a mis en avant les synergies entre ses programmes nationaux -Programme d’accélération de la Croissance (PAC), Nouvelle Industrie du Brésil et Routes d’Intégration sud-américaine- et l’initiative de la Bande et la Route. Les relations avec la Chine continuent à se renforcer au point qu’on envisage la construction d’un corridor ferroviaire bi-océanique entre le Brésil et le Pérou avec le soutien d’entreprises et de connaissances chinoises.
La crise diplomatique entre les Etats-Unis et la Colombie qui s’est déclarée en janvier, s’est déroulée précisément au milieu de désaccords stratégiques croissants entre les deux pays, même en ce qui concerne les relations sino-colombiennes. Alliée traditionnelle des Etats-Unis et seul « partenaire mondial » de l’OTAN en la région, la Colombie, sous le gouvernement de Gustavo Petro, a effectué un tournant alternatif dans sa politique extérieure en défiant l’hégémonie étasunienne et en se rapprochant de la Chine. En 2023, Petro a établi une Association Stratégique avec Pékin et, pendant plus d’un an, a essayé de faire entrer son pays dans la Bande et la Route -une mesure annoncée officiellement lors du 4ème forum Chine–CELAC.
Quant à la seconde méthode -destinée à faire pencher le rapport des forces politiques et sociales en faveur de l’extrême-droite au détriment des forces progressistes- les actions du Gouvernement de Trump ont également été très explicites. Ce n’est pas un. hasard si, en annonçant les droits de douane sur les produits de différents pays, ce soit précisément l’Argentine qui soit le moins taxée, une chose saluée publiquement par Javier Milei. Plus haut représentant de la nouvelle extrême-droite mise en place par le trumpisme en Amérique latine, Milei a montré une disposition sans équivoque à sacrifier les intérêts de son propre peuple et même du patronat national- comme le démontre son insistance à faire obstacle aux lucratives relations bilatérales avec la Chine- en montrant une loyauté inconditionnelle à Washington. Sous sa direction, l’Argentine a annoncé son départ de l’initiative de la Bande et la Route, qu’elle renonçait à adhérer aux BRICS+ et elle n’a pas participé au forum Chine–CELAC qui a eu lieu à Pékin.
Deux autres alliés idéologiques du trumpisme dans la région, le Gouvernement de Daniel Noboa en Équateur et celui de Nayib Bukele aul Salvador, se sont montrés moins alignés sur les efforts anti-Chine, cave qui reflète les tensions croissantes entre les visions du monde de la droite étasunienne et les intérêts concrets d’une partie des élites latino-américaines. Bien qu’ils cherchent aussi à combattre les forces progressistes et conservent des liens avec les secteurs les plus conservateurs des Etats-Unis, ces dirigeants représentent aussi des fractions des élites économiques nationales qui, dans de nombreux cas, dépendant du succès des relations avec la Chine. Même dans cette situation, il est indéniable que les Etats-Unis exercent beaucoup plus de contrôle sur Noboa et Bukele que sur leurs ennemis directs -la Révolution citoyenne en Équateur et le Front Farabundo Martí pour la Libération Nation ale (FMLN) au Salvador. C’est pourquoi les services diplomatiques et les services de renseignement des Etats-Unis n’hésitent pas à soutenir explicitement les mesures illégales et suspectes qui ont marqué les élections qui ont reconduit Noboa à la présidence malgré les accusations véhémentes de fraude de l’opposition.
La tentative pour redessiner le scénario politique de la région passe directement par les résultats des élections de l’année qui vient avec des chapitres décisifs dans des pays comme la Bolivie, le Chili, le Honduras, la Colombie et le Brésil – dans lesquelles les Etats-Unis parieront sur la défaite d’un large éventail de Gouvernements progressistes. La Bolivie est un exemple traditionnel d’interventions des Etats-Unis, la plus récente étant la déclaration publique d’ Elon Musk sur le coup d’Etat de 2019 contre Evo Morales. L’actuel Gouvernement de Luis Arce affronte des difficultés qui découlent de la division du Mouvement Vers le Socialisme (MAS) entre ses partisans et ceux d’Evo. Dans ce contexte, la droite espère Deven ir au pouvoir par la voie des élections après plus de 20 ans, un espoir visiblement renforcé par les intérêts stratégiques de Washington.
Pendant ces dernières années, le Honduras a suivi une voie différente de celle qu’elle suivie par le passé et a établi des relations diplomatiques avec la Chine en 2023, sous la présidence de Xiomara Castro qui, actuellement, cherche à affirmer que celui qui lui succèdera conservera une orientation politique progressiste et renforcera les relations avec les Chinois. Par contre, le candidat probable du Parti Libéral, Salvador Nasralla, s’exprime déjà contre un éventuel accord de libre échange avec la Chine et a critiqué la rupture des relations diplomatiques avec Taïwan.
Au Chili, l’opposition de droite au Gouvernement de Boric compte plusieurs figures éminentes du conservatisme dur chilien, parmi lesquelles Johannes Kaiser, qui a adopté une rhétorique libertaire et d’extrême-droite identique à celle de Javier Milei.Pendant ce temps, en Colombie, les efforts des Etats-Unis pour réorienter complètement le pays vers leurs intérêts stratégiques et commerciaux sont évidents. La Colombie, non seulement joue un rôle important tant que partenaire commercial mais elle joue aussi un rôle important en tant que point central des tentatives d’isolement du Venezuela et d’arrêt de l’influence chinoise en Amérique du Sud.
Le Brésil sera probablement la scène de la bataille électorale la plus importante de la région. Le président Lula cherchera à être réélu face à un candidat encore inconnu mais qui aura le soutien de Jair Bolsonaro, actuellement disqualifié. Il ne faut pas oublier que, sous son dernier mandat, Bolsonaro a retiré officiellement le Brésil de la Communauté des Etats Latino-américains et Caribéens (CELAC) et essayé de vider totalement de sa substance l’Union des Nations d’Amériqque du Sud (UNASUR) et d’autres entités régionales qui avaient pris des forces pendant les années précédentes. Les bolsonaristes sont des alliés indubitables du trumpisme et les man infestation. pendant lesquelles le drapeau des Etats-Unis et celui d’Israël flotte sur le sol brésilien ne sont pas rares. Eduardo Bolsonaro, le fils de l’ancien président, est en congé de sa charge de député depuis mars pour rester aux États-Unis, où il coordonne des stratégies conjointes avec le cercle proche de Donald Trump.
Enfin, les sanctions sévères et permanentes des Etats-Unis contre Cuba, le Nicaragua et le Venezuela se sont encore plus intensifiées au début du nouveau mandat de Trump, pour créer des fissures dans le gouvernement de ces pays et renforcer les forces politiques et sociales réactionnaires qui souhaitent le succès des tactiques de « changement de régime. »
Il est indéniable que ces deux éléments -l’augmentation des pressions diplomatiques sur les Gouvernements latino-américains et les efforts de reconfiguration du rapport de forces avec le soutien d’éléments réactionnaires- composent le noyau de la stratégie du Gouvernement de Trump pour la région. Ses objectifs essentiels sont d’affaiblir les relations de l’Amérique latine avec la Chine et d’arrêter la nouvelle ascension des Gouvernements progressistes.
Mais les événements récents révèlent d’importantes fragilité dans cette stratégie. L’unilatéralisme, l’imposition de droits de douane et le chantage utilisés par les États-Unis ont créé la méfiance et des désaccords dans leurs relations avec certains de leurs alliés les plus proches. Des alliés de Trump comme Noboa et Bukele manifester des réticences à soutenir pleinement l’offensive anti-Chine, et d’autres Gouvernements conservateurs comme celui de Dina Boluarte au Pérou, semble décidé à ne pas s’embarquer dans la rhétorique de la « nouvelle guerre froide ». L’offensive des États-Unis a même amené certains Gouvernements progressistes à radicaliser leur position face à l’hégémonisme de Washington, comme le montre le ton adopté par Pétro lorsqu’il a annoncé l’adhésion de la Colombie et à l’initiative de la Bande et de la Route.
Mais même si, ces mouvements ne représentent pas un éloignement définitif de l’affrontement. Comme le démontre clairement le cas du Panama, les pression des États-Unis ont également produit des résultats favorables à leurs intérêts. Bien que le Brésil soit en train de renforcer ses relations avec la Chine, il est évident que les pressions des États-Unis ont joué un rôle fondamental dans le fait que le pays n’a pas annoncé officiellement son adhésion à l’initiative de la Bande et de la Route -un geste, qui aurait été très symbolique pour le rapprochement bilatéral. La position agressive des États-Unis en faveur des changements de régime et de la déstabilisation des Gouvernements progressistes avance avec le soutien décisif des forces réactionnaires d’extrême droite. La fraude récente en faveur de Noboa, en Equateur n’est pas seulement le signe qu’une période de difficultés politiques et électorales croissantes s’approche pour les forces progressistes sur la scène régionale.
Ceci dit, il est évident que le monde avance rapidement vers des transformations structurelles qui élargissent les marges de manœuvre politiques et économiques des pays en développement. Le vent qui souffle des récentes rencontrent à Moscou. Pékin sont des signes sans équivoque d’un monde multipolaire émergeant. Dans ce contexte, les relations entre l’Amérique latine et la Chine sont devenus de plus en plus indispensable comme le démontre de manière claire. Les résultats du quatrième forum, Chine–CELAC qui a souligné une vision partagée du développement, du multilatéralisme et de la coopération Sud-Sud. Renforcer ces relations n’est pas simplement un geste diplomatique officiel mais une nécessité vitale pour assurer l’autonomie et l’avenir de la région.
Mais il faut reconnaître que la défaite définitive de l’impérialisme en Amérique latine ne viendra pas uniquement de l’action internationale des Gouvernements nationaux –aussi importante qu’elle soit, mais dépendra aussi de la capacité d’des forces progressistes et populaires à résister, dans le domaine national, à l’alliance historique entre les élites oligarchiques de la collaboration et les faucons de Washington qui continuent à travailler pour garder vivant le fantôme de la doctrine Monroe.
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