Banque de France : après le suicide d’un salarié, un rapport vient confirmer « l’ébullition » des risques sociaux à l’imprimerie de Vic-le-Compte (H.fr-28/07/25)

Un rapport du cabinet Technologia pointe de nombreux risques psycho-sociaux dans la filiale de la Banque de France EuropaFi, après le suicide d’un contremaître en novembre 2024.© FRANCK FIFE / AFP

Un rapport rendu par Technologia, mené sur la situation sociale de la filiale EuropaFi après le suicide d’un contremaître en novembre 2024, décrit une société minée par de graves tensions générées par la coexistence de deux statuts et par des conditions de travail pénibles, auxquelles la direction peine à répondre.

Par Stéphane GUERARD.

Dans l’usine de Vic-le-Comte (Puy-de-Dôme), tout était réuni pour que ça se passe bien. La dernière imprimerie fiduciaire de l’hexagone, EuropaFi, filiale de la Banque de France qui a bénéficié d’un plan de modernisation de 400 millions d’euros, cumule les années bénéficiaires grâce à la fabrication des billets en euros et dans d’autres devises (80 % de son activité). Pourtant, « les gens viennent au travail avec le visage fermé. Et il y a eu ce drame », raconte un ouvrier.

Le drame, c’est le suicide d’un contremaitre le 18 novembre 2024. Le troisième en un an dans tout l’écosystème de la Banque de France. Un mois après, le CSE d’EuropaFi votait le recours à une expertise « en raison de dysfonctionnements susceptibles de dégrader la santé, la sécurité et les conditions de travail ». Une expertise consacrée au site et au suicide, confirmée en justice en février dernier après un vain recours de la direction.

Les contrats privés devenus majoritaires

Rendu et exposé par le cabinet Technologia au CSE courant juillet, le rapport très circonstancié, que l’Humanité a pu consulter, décrit une filiale fracturée entre personnels de différents statuts et entre employés et direction, ces dysfonctionnements provoquant des risques psycho-sociaux (RPS) avérés et insuffisamment pris en compte.

« L’ébullition » des RPS constatée depuis 2023 par l’infirmière du site citée dans le document prend son origine dans le plan de transformation en 2015. L’impression fiduciaire est alors regroupée dans le Puy-de-Dôme à Vic-le-Comte au sein d’une filiale désormais privée, EuropaFi. Les agents d’alors conservent leur statut Banque de France (BDF). En revanche, les nouveaux embauchés relèvent de contrats privés.

Dix ans plus tard, les salariés contractuels sont majoritaires. Leurs niveaux de rémunération se sont rapprochés de ceux de leurs collègues BDF et évoluent plus vite qu’eux grâce à une gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) qui leur est réservée. Mais le nombre de congé diffère toujours du tiers (41 jours contre 28 ou 29).

Chez les agents historiques, dont le statut appelé à s’éteindre dépend directement de la Banque de France, le sentiment est fort de « manque de perspective ». Malgré ce « mal-être », ces agents préfèrent rester dans leur « prison dorée » au vu de leur ancienneté élevée (19,5 ans en moyenne contre 4,8 pour les contractuels) et de leurs faibles perspectives ailleurs.

Effet cocotte-minute

Ce manque de renouvellement des effectifs génère d’autant plus un effet cocotte-minute que les horaires de travail « postés » (62 % des effectifs) et les conditions de travail pénibles ajoutent aux frustrations des deux côtés. Un diagnostic RPS effectué en 2023-24 avait déjà détecté 29 situations de travail (sur 537) en risque, la plupart relevant de « l’intensité et du temps de travail » ou des « rapports sociaux et la reconnaissance au travail ».

« Il y a dix ans, les agents BDF se sont battus pour améliorer le sort des nouveaux entrants. Mais les embauchés des dernières années ne connaissent pas l’historique et voient les BDF comme des privilégiés. D’où des remarques, des dénigrements, des échanges houleux. La direction en joue et en profite pour faire des mises au placard », dénonce Anthony Percuta, secrétaire du CSE d’EuropaFi.

Concernant les réponses aux situations de RPS, l’expertise menée par Technologia pointe le retard dans la mise en œuvre d’un plan d’action en 2024. « Si des efforts ont été faits, leur repérage et leur traitement sont encore largement insuffisants. Ces déficiences sont illustrées dans la chronologie du dossier du salarié qui a mis fin à ses jours », affirme le rapport.

Reconnaissance en accident du travail

« Sans préjuger d’un lien de causalité direct entre les événements professionnels et le passage à l’acte », l’expertise décrit la dégradation des relations de travail, liée à des négociations sociales dans l’entreprise ainsi qu’à des rapports tendus entre collègues du fait de la situation personnelle de cet agent. Une situation à laquelle le chef de service a dû faire face, sans soutien des services de ressources humaines.

« Depuis trois ans, nous sommes en situation de risques psycho-sociaux. L’inspection du travail l’a pointée. Une première expertise l’a pointée. Un cabinet RH nommé par la direction l’a bien détectée. Trois jugements de justice – sur des congés maternité, des reclassements qui se passent mal et sur cette expertise – ont reconnu la violence managériale à la Banque de France. La santé sécurité au travail est totalement défaillante et met en danger les personnels qui travaillent dans une grande tension », dénonce Hugo Coldeboeuf, secrétaire général de la CGT Banque de France, qui demande la reconnaissance du suicide en accident du travail. Sollicitée, la direction de la Banque de France n’a pas répondu à nos questions.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/accidents-du-travail/banque-de-france-apres-le-suicide-dun-salarie-un-rapport-vient-confirmer-lebullition-des-risques-sociaux-a-limprimerie-de-vic-le-compte

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