Crise de la pédiatrie : « des gamins passent des nuits entières sur les brancards aux urgences » (H.fr-22/05/24)

Près de la moitié des services de soins intensifs et de réanimation font état de taux d’occupation supérieurs à 95 %.
MORCILLO / BSIP via AFP)

Vendredi, seront présentées les conclusions des Assises de la pédiatrie. Mais les médecins exigent des actions rapides et concrètes, compte tenu de l’urgence.

Par Cécile ROUSSEAU.

Après des mois de concertation et d’attente, professionnels en néonatalogie, en pédiatrie et en pédopsychiatrie appellent le gouvernement, qui présentera les conclusions des travaux des Assises de la pédiatrie, vendredi, à enfin passer à l’action. Initiées après les épidémies de bronchiolite, de grippe et de Covid qui avaient mis les services hospitaliers à genoux, à l’hiver 2022, les Assises ont pointé dans leur rapport que ce n’était que « la partie émergée de maux bien plus profonds qui affectent la santé de l’enfant ».

Une néonatalogie sur le fil

Depuis quarante ans que le docteur Pascal Bolot, chef de la néonatalogie à l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), s’occupe des nouveau-nés très vulnérables comme les prématurés, la discipline a connu une révolution. « On réanime désormais des bébés à 23 semaines et demie. Mais il faudrait une infirmière par lit et non pas une pour deux lits, pour ces prises en charge lourdes. » L’organisation des soins n’a pas non plus suivi. En France, il y a en moyenne 0,5 à 1 lit de réanimation pour 1 000 naissances inégalement réparties sur le territoire. Une offre insuffisante et dégradée par la crise que traverse l’hôpital public.

Si les Assises recommandent notamment de « sanctuariser le nombre de lits de réanimation pédiatrique et néonatale », pourl’heure, partout en France, le transfert de nourrissons en souffrance est le lot quotidien des soignants. « À Delafontaine, la moitié des lits sont fermés : il manque 30 % d’infirmières, explique Pascal Bolot. Ce mardi, il y a eu trois sorties de soins intensifs, donc trois transferts dans d’autres structures. »

Selon un audit inquiétant, dévoilé par la Société française de néonatologie en octobre 2023, près de la moitié des services de soins intensifs et de réanimation font état de taux d’occupation supérieurs à 95 %, ce qui est associé à un risque de morbidité accru. En parallèle, la mortalité infantile progresse, devenant même supérieure à la moyenne européenne depuis 2015. Selon l’Insee, 74 % de la mortalité infantile était néonatale en 2021, contre 65 % en 2005.

Une prise en charge pédiatrique compliquée

Quand il regarde en direction des Assises de la pédiatrie, Philippe Babe, chef du service de l’hôpital Lenval à Nice (Alpes-Maritimes) et membre du bureau du SNPEH (Syndicat national des pédiatres en établissement hospitalier), est partagé : « Les grandes lignes nous satisfont, comme l’idée de créer un choc d’attractivité, mais j’ai peur qu’il y ait beaucoup de communication de la part du gouvernement et puis, pas grand-chose. »

Depuis la sonnette d’alarme tirée par les professionnels à l’hiver 2022, la situation a continué de se tendre. « À Nice, nous avons une dizaine de lits d’aval fermés sur une centaine, par manque de personnel, avance-t-il. Des gamins passent des nuits entières sur les brancards aux urgences. Partout, les urgences pédiatriques connaissent ce qu’ont connu les urgences adultes depuis dix ans. Pour récupérer des lits en service de pédiatrie, nous sommes aussi obligés de déprogrammer des hospitalisations. »

Le spécialiste pointe le besoin important de personnels dans ce secteur victime d’une pénurie de docteurs et de paramédicaux : « Quand vous hospitalisez un patient pour une gastro-entérite, il faut au moins trois personnes pour le prendre en charge. En parallèle, on voit aussi de plus en plus d’enfants arriver avec des maladies rares et des maladies chroniques. Au niveau politique, personne n’a anticipé le coup. »

« Il faut une solidarité avec tous les acteurs. La santé mentale concerne différents types de profession. »Maeva Musso, pédopsychiatre et présidente de l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues

Sans compter que le maintien de la T2A, tarification à l’activité, peu rémunératrice pour la pédiatrie, engendre un déficit chronique. « Nos directeurs d’hôpitaux essaient de ménager la chèvre et le chou, mais cela freine les recrutements. Il faut réformer le financement », expose-t-il.

Une pédopsychiatrie en déshérence

Alors que la santé mentale des adolescents a plongé depuis la pandémie, particulièrement celle des filles de 10 à 14 ans, dont, selon les derniers chiffres de la Drees, le taux d’hospitalisation en psychiatrie a augmenté de 246 %, les professionnels avaient, en juin 2023, exigé une refondation du système. Selon la Cour des comptes, si, en France, 1,6 million de mineurs présentent un trouble psychique, seuls 750 000 à 850 000 bénéficient de soins, souvent dans des conditions dégradées.

Pour Maeva Musso, pédopsychiatre et présidente de l’Association des jeunes psychiatres et des jeunes addictologues (AJPJA), la discipline ne peut pas se charger seule de tous les problèmes : « Il faut une solidarité avec tous les acteurs. La santé mentale concerne différents types de profession. Il faut rappeler qu’un enfant ayant souffert de violences a vingt ans d’espérance de vie en moins que les autres. »

Alors que les besoins sont allés crescendo, avec l’apparition de symptomatologies comme l’éco-anxiété, le nombre de pédopsychiatres a diminué de 34 % entre 2010 et 2022 pour une moyenne d’âge de 62 ans. « Il y a un manque d’attractivité de cette profession qui nécessite beaucoup d’engagement. Nous faisons les entretiens avec les patients, les parents, le lien avec les services sociaux », souligne Louise-Émilie Dumas, pédopsychiatre membre de l’AJPJA.

Si les Assises proposent notamment la création de 600 postes dans les CMP-IJ (centres médico-psychologiques infanto-juvéniles), actuellement, les délais d’attente pour un rendez-vous sont de deux ans. Les deux jeunes pédopsychiatres pointent un manque de moyens et d’organisation de ces moyens, « alors que c’est une question importante pour les patients, mais aussi pour toute la société : 50 % des troubles se déclarant avant 15 ans », rappelle Maeva Musso.

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Source: https://www.humanite.fr/social-et-economie/pediatrie/crise-de-la-pediatrie-des-gamins-passent-des-nuits-entieres-sur-les-brancards-aux-urgences

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