Dix ans après la mort de Rémi Fraisse, le militantisme écologiste toujours ciblé (H.fr-24/10/24)

10 ans après la mort de Rémi Fraisse, aucun changement n’a enrayé la dérive violente de la police dans la répression des manifestations écologistes. © Arnault Serriere / ABACA

Une décennie après la mort du zadiste de 21 ans tué par une grenade, le pouvoir n’a pas tiré les leçons du drame. Depuis 2014, les gouvernements successifs n’ont eu que la violence à opposer à ceux qui luttent pour l’environnement.

Par Emilio MESLET.

Dix ans après, il est en quelque sorte toujours là. Les militants écologistes, des plus modérés aux plus radicaux, n’ont jamais oublié leur martyr, devenu symbole de l’acharnement de l’État dans la protection d’intérêts privés au détriment du bien commun. Pas une manifestation sans que son nom ne figure, au moins, sur une pancarte. Pas une mobilisation sans que quelqu’un n’avoue sa crainte de « mourir comme Rémi Fraisse ». « Sa mémoire est entretenue. Pour la nébuleuse écologiste, il est le témoignage du tournant dans la répression », résume Alexis Vrignon, historien spécialiste des luttes environnementales.

Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, la vie de Rémi Fraisse n’aurait pas dû s’arrêter sur la zone à défendre (ZAD) de Lisle-sur-Tarn (Tarn). Peu avant deux heures du matin, avec d’autres opposants à la construction du barrage de Sivens menaçant les écosystèmes locaux, le jeune pacifiste de 21 ans décide d’assister aux affrontements entre manifestants et gendarmes sur le chantier vide du projet.

En simple badaud. Tirées en cloche plutôt qu’au sol comme l’exige la procédure, les grenades offensives pleuvent. L’une d’entre elles se coince entre sa capuche et son sac à dos. Elle explose et Rémi Fraisse tombe au sol. « Non, il ne s’agit pas d’une bavure », répondra Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur d’alors, jugé responsable du décès, comme de l’étouffement de l’affaire, par nombre de figures du mouvement climat. « On ne peut présenter les choses ainsi. » Àla suite du drame, l’utilisation de grenades offensives par les forces de police est interdite.

« Un tournant dans le durcissement du maintien de l’ordre »

Si l’enquête pénale s’est conclue par un non-lieu pour le gendarme à l’origine du tir, l’État a bien été condamné, par le tribunal administratif, à indemniser la famille à hauteur de 46 400 euros pour « préjudice moral ». Très clémente, la cour a retenu « la responsabilité sans faute de l’État » et écarté « l’existence d’une faute commise par les forces de l’ordre ».

Une autre procédure est toujours en cours devant la Cour européenne des droits de l’homme « pour faire condamner l’État français », explique Arié Alimi, avocat de Jean-Pierre Fraisse, le père de Rémi. « Une condamnation aurait pour conséquence que l’État tire les leçons de cette mort, en modérant l’usage de la force dans le maintien de l’ordre et en changeant les structures pour juger les violences policières », ajoute l’avocat.

Car, c’est bien cela dont il s’agit : depuis la mort de Rémi Fraisse, la répression du militantisme écologiste (et plus largement des mouvements sociaux) est allée crescendo dix années durant. « Le début des années 2010 marque un durcissement du maintien de l’ordre, avec son extension vers des catégories de manifestants qui n’étaient jusque-là pas concernés », constate Alexis Vrignon.

Une animosité croissante du pouvoir

L’historien rappelle que la mort de Vital Michalon, en 1977, pendant une manifestation antinucléaire, dans des conditions similaires à celle de Rémi Fraisse, avait conduit à une désescalade : « Le mouvement écologiste considérait qu’il était dans une impasse stratégique avec ce type de manifestations offensives et Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la République, a joué la carte de l’apaisement et du dialogue. »

« L’affaire Rémi Fraisse aurait pu servir de précédent pour remettre en cause le système. L’inverse a été fait », regrette l’avocat Vincent Brengarth.

Assignations à résidence de militants écologistes pendant la COP21 en 2015, intégration des dispositions de l’état d’urgence dans le droit commun en 2017, évacuation militaire de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) en 2018, qualification d’« association de malfaiteurs » pour les antinucléaires à Bure (Meuse), répression violente des manifestations anti mégabassines à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), tentative de dissolution du collectif des Soulèvements de la Terre en 2023… Une liste loin d’être exhaustive qui témoigne d’une animosité croissante des différents pouvoirs envers les défenseurs de l’environnement.

Et l’arrivée aux affaires d’Emmanuel Macron, défenseur autoproclamé de la planète, n’a fait qu’aggraver la réponse policière. « L’État et ses représentants ont tiré les conclusions de la mort de Rémi Fraisse. Ils ont inversé l’échelle de valeurs : ils devaient servir à protéger les citoyens et ils se protègent finalement eux-mêmes contre les citoyens, avance Arié Alimi. Le pouvoir considère qu’il ne peut se maintenir qu’avec davantage de violence. »

« Le pouvoir se prépare à la confrontation »

Une surenchère qui débute par les mots et se poursuit dans les actes, avec de nombreux blessés à chaque grand raout environnemental. L’ex-ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin n’a pas hésité à qualifier les Soulèvements de la Terre d’« écoterroristes » pour préparer le terrain, avant de tenter le coup de la dissolution administrative et d’envoyer la sous-direction antiterroriste pour arrêter des manifestants écologistes.

« L’écologie est considérée comme une nouvelle menace. On le voit avec le fichage et le renseignement. Le judiciaire et l’administratif emboîtent le pas du politique, s’inquiète Vincent Brengarth. L’urgence climatique n’a jamais été aussi prégnante et on observe une tension entre un Ancien Monde, qui préserve ses intérêts économiques, et un Nouveau Monde, qui lutte pour l’intérêt général. S’il n’y a pas de pont entre eux, on ne peut aller que vers une logique de confrontation. Et le pouvoir s’y prépare. » Nous ne sommes pas au bout de ce chemin.

Face à la répression, une « professionnalisation » de la lutte

Voilà qui inquiète Arié Alimi, par ailleurs vice-président de la Ligue des droits de l’homme, qui a « peur qu’il y ait de nouveaux morts » car « l’écologie politique focalise la récrimination de l’État puisque cette contestation a vocation à protéger l’environnement et porter de fait atteinte aux intérêts capitalistes et productivistes ».

Devant la réponse ultra-répressive, dont la mort de Rémi Fraisse peut être considérée comme le point de départ contemporain, les mouvements écologistes ont décidé de prendre en compte cette nouvelle donne. « Il y a eu une volonté de monter en compétences et en savoir-faire face aux forces de l’ordre, notamment en formant des bases arrière juridiques et plus de médics (personnes présentes pour apporter les premiers soins NDLR) », note Alexis Vrignon.

Une « professionnalisation » visible sur les nouveaux terrains de lutte, de l’autoroute contestée A69 entre Toulouse et Castres jusqu’aux mégabassines du Marais poitevin. Mais où qu’ils soient, les militants écologistes auront, ce week-end particulièrement, une pensée pour Rémi Fraisse.

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Source: https://www.humanite.fr/environnement/ecologistes/dix-ans-apres-la-mort-de-remi-fraisse-le-militantisme-ecologiste-toujours-cible

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/dix-ans-apres-la-mort-de-remi-fraisse-le-militantisme-ecologiste-toujours-cible-h-fr-24-10-24/

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