Droit à l’école bafoué : des jeunes veulent apprendre, l’État les en empêche (BastaMag-20/10/25)

L’association École pour tous réunit des personnes directement concernées par les difficultés d’accès à l’école. Elle a présenté ses revendications fin septembre pour garantir le droit à l’éducation de tous les enfants de France. ©DR

Par Margaret OHENEBA .

« J’ai été de ces enfants privés d’école. » Anina Ciuciu, 35 ans, est aujourd’hui avocate. Mais elle sait aussi ce que signifie vivre dans la précarité et devoir lutter y compris pour son droit à la scolarité. C’est pour ça qu’elle a cofondé l’association École pour tous. Fin septembre, l’organisation qui réunit des personnes exclues du droit à aller à l’école a présenté ses revendications pour garantir le droit à l’éducation à tous les enfants de France. Le Code de l’éducation est bien censé veiller « à la scolarisation inclusive de tous les enfants, sans aucune distinction ». Dans les faits, ce droit n’est pas encore garanti à toutes et tous.

Une jeune femme debout parle.
Anina Ciuciu, 35 ans, est aujourd’hui avocate. Mais quand elle était enfant, ses parents, gens du voyage, on rencontré des difficultés pour l’inscrire à l’école. Elle a fait face à la xénophobie des élèves. ©DR

D’origine rom roumaine, Anina Ciuciu était enfant quand sa famille a fui la Roumanie à cause de la xénophobie. Après quelques temps passés en Italie dans une situation très précaire, la famille rejoint la France. Là, sans toit, elle a logé en bidonville, dans un squat, en a été expulsée, a dormi dans un foyer de travailleurs, une voiture… « pendant des mois et des mois », se souvient la femme trentenaire. Les parents d’Anina tenaient malgré tout à envoyer leurs enfants à l’école. Mais parce qu’ils vivaient à l’époque dans un camion, le maire de la commune a refusé d’inscrire la petite fille dans un établissement.

« Ça a été un vrai combat pour pouvoir s’inscrire », souligne-t-elle. Une fois scolarisée, comme pour beaucoup d’enfants du voyage, Anina a connu « le harcèlement raciste ». « Il a fallu un courage hors du commun pour continuer malgré les insultes, le rejet et l’humiliation ». Malgré tout, l’école « était la porte de sortie » hors de la précarité. Et la réussite scolaire, c’était le moyen « de montrer à toux ceux qui m’humiliaient que je valais beaucoup mieux que ça ».

Enfants étrangers, des bidonvilles, de Mayotte, du voyage

Après un brillant parcours, Anina Ciuciu a obtenu en 2018 son certificat d’aptitude à la profession d’avocat. Mais elle a mis temporairement de côté ses ambitions de porter la robe noire. « Je me suis dit que je ne pouvais pas réaliser mon rêve et fermer les yeux sur le sort des milliers d’autres qui me ressemblent et qui vivent les mêmes difficultés que moi », insiste-t-elle.

C’est ainsi qu’est née l’association École pour tous, « avec des jeunes que j’avais rencontrés pendant mon parcours : des mineurs isolés étrangers, des enfants des bidonvilles, de Mayotte et du voyage ». L’idée derrière le projet est de « reprendre nos destins en main et faire entendre nos voix », résume l’avocate.

Faire entendre ceux qui se battent pour apprendre, c’est aussi l’objectif de Jassem Issouf, 27 ans, le porte-parole d’École pour tous. Lui est un enfant de Mayotte, le 101e département français. Il n’a connu que cet archipel de l’océan Indien. « Pour moi, c’était chez moi jusqu’à ce qu’on me dise : “tu es né aux Comores” », observe-t-il. Il vivait à Mayotte depuis tout petit, mais n’est pas français. Et, à 14 ans, se retrouve sans affectation pour entrer au lycée malgré son brevet obtenu avec mention. « Les places ici sont réservées aux lycéens français de Mayotte », lui a-t-on dit.

Félicité par le préfet… puis empêché d’étudier

Le jeune garçon d’alors et sa mère ne baissent pas les bras. Au bout de deux ans, Jassem parvient à rentrer au lycée. « J’étais l’un des meilleurs élèves », note-t-il. À l’obtention de son bac, « on a été invité par le préfet, qui est venu nous féliciter en nous disant : “vous êtes les étoiles de l’académie, vous avez mis Mayotte à l’honneur” », ajoute-t-il.

Repère :

Que demande l’association École pour tous ?

Une jeune homme assis regarde l'objectif en souriant.
Jassem, 24 ans, a grandi à Mayotte. Mais comme il n’est pas Français, il n’a pas d’abord pas pu aller au lycée après son brevet. Il passe aujourd’hui son agrégation de mathématiques dans l’Hexagone. ©DR

Et pourtant, le représentant de l’État va alors bloquer la poursuite des études de Jassem dans l’Hexagone. Car le titre de séjour du bachelier à Mayotte est « territorialisé ». Autrement dit, le document l’empêche de quitter le 101e département français pour rejoindre la France continentale ou un autre territoire d’Outre-mer. Or, à Mayotte, Jassem ne peut pas poursuivre ses études.

Il a ensuite perdu deux années. Mais réussit finalement à intégrer une classe préparatoire en mathématiques à Orléans (Loiret). Jassem prépare désormais l’agrégation de maths. S’il réussit le concours, il veut retourner à Mayotte, comme enseignant. « J’aspire pour ma première rentrée en tant qu’enseignant à aller là-bas, dans cette île que j’aime, qui est chez moi », confie-t-il. Il veut contribuer à « faire avancer les choses » et faire en sorte que l’archipel « puisse s’épanouir ». « À Mayotte, on n’a pas assez d’enseignants, pas assez de moyens mis dans l’éducation ».

Malgré ses victoires, l’étudiant est bien conscient de faire partie des exceptions. À Mayotte, beaucoup de jeunes confrontés à des refus d’inscription au lycée ou des rejets de demande de visa pour l’Hexagone « abandonnent », déplore le porte-parole d’École pour tous.

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Pour que les jeunes comme Jassem puissent poursuivre leur scolarité, l’association École pour tous demande la fin immédiate des titres de séjour territorialisés à Mayotte. L’Assemblée nationale a bien décidé en juin de mettre fin à ce visa spécifique à Mayotte qui ne permet pas d’aller en France continentale, mais à partir de 2030 seulement. Pour les enfants et les jeunes scolarisés à Mayotte, l’association revendique une application anticipée de la suppression de ces titres, dès la rentrée 2026.

Seydou veut devenir infirmier… malgré l’administration

École pour tous préconise aussi que les jeunes étrangers dont l’âge est en cours d’évaluation par l’État aient immédiatement le droit d’aller à l’école. Cette mesure pourrait par exemple aider Seydou, 16 ans, qui est arrivé en France de Guinée il y a un peu plus d’un an, sans ses parents. Seydou habite aujourd’hui Rouen où il fait partie d’un collectif de mineurs isolés étrangers, réunis pour tenter de faire valoir leurs droits. Il voudrait devenir infirmier. Mais pour l’instant, le garçon est à la rue et se bat au quotidien avec l’administration.

Un adolescent souriant debout dans la rue devant un restaurant.
Seydou est arrivé seul en France de Guinée il y a un peu plus d’un an. Il essaie depuis de faire reconnaître qu’il est mineur, mais n’a pas accès à l’école pendant l’étude de son dossier. ©DR

Seydou a quitté la Guinée après le décès de son père, et emprunté l’une des voies de migration les plus dangereuses et meurtrières, la Méditerranée. « Pour l’instant, je ne suis pas reconnu comme mineur, dit-il. Je suis en procédure depuis un an. » Tant que sa minorité n’est pas reconnue, il ne peut pas être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance, ne peut pas bénéficier des dispositifs d’hébergement d’urgence, et n’a pas le droit d’aller à l’école.

« C’est très compliqué pour moi de m’en sortir, je vois mes procédures administratives reporter de mois en mois », explique Seydou. À chaque fois qu’il soumet des documents d’état civil, dont un certificat de scolarité guinéen, une carte consulaire et un extrait de naissance biométrique, ceux-ci sont jugés non-conformes. Aujourd’hui, l’adolescent peut surtout compter sur l’aide des syndicats et des enseignants qui accompagnent son collectif à Rouen. Il devait passer devant le juge le 26 avril dernier, mais l’audience a été reportée fin août. Il attend depuis le délibéré, et s’engage avec École pour tous.

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Pour les jeunes comme Seydou, Jassem et les enfants comme Anina, l’association veut aussi suspendre les expulsions des lieux d’habitat les plus précaires, bidonvilles, squats et hôtels sociaux, pendant l’année scolaire, et instaurer une journée de formation obligatoire sur le harcèlement raciste à l’école pour l’ensemble du monde éducatif, professionnels comme élèves. Pour Anina Ciuciu, ces demandes sont urgentes pour préserver « le principe même de l’école républicaine française ».

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Source: https://basta.media/ils-et-elles-veulent-devenir-infirmier-avocate-ou-mathematicien-etat-les-en-empeche-droit-a-l-ecole

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