
À Lorient (Morbihan), la journée Matrimoine(s) autour des pratiques artistiques au féminin débattait de la place des femmes sur les scènes de festoù-noz. On progresse, mais à pas feutrés…
Par Pierre WADOUX.
Krismenn, musicien et rappeur breton, a ouvert une brèche en 2024. S’engageant à ne plus chanter dans un fest-noz dont la programmation serait exclusivement constituée d’artistes masculins. D’autres formations bretonnes, comme Fleuves lui ont emboîté le pas. La journée Matrimoine(s), organisée à Lorient (Morbihan) vendredi 20 juin 2025 par Bretagne culture diversité (BCD), invitait à débattre de la place des femmes sur les innombrables scènes de Bretagne. Chiffres à l’appui pour amorcer l’épineux débat. « Sur 1 175 festoù-noz en 2024, notre diagnostic fait état de 77 % d’artistes masculins sur scène. Les 23 % restant sont, pour moitié musiciennes ou chanteuses », relate Hoëla Barbedette, musicienne, membre de l’association HF + Bretagne. Des chiffres qui en disent, hélas, assez long sur la place faite aux femmes sur scène.
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Le fait est largement, et de longue date, constitué dans d’autres registres musicaux. Dans le rock ou les musiques dites actuelles ou amplifiées, c’est monnaie courante. « De ce côté-là, confirme Yves Raibaud, universitaire spécialiste des cultures masculines dans le monde des musiques actuelles, c’est 95 % d’hommes. Le rock est ce moment de retrouvailles entre garçons, une fraternité qui se confronte et regarde de haut le monde des femmes ».
« Nous ne partageons que des miettes »
« C’est vrai, acquiesce la chanteuse Nolwenn Le Buhé, les femmes sont toujours au pied des scènes, c’est ancré. Je ne suis pas surprise par ces constats et je pense qu’il faudra vraiment du temps pour que ça évolue… »
Le diagnostic posé, comment l’expliquer et, surtout, comment remédier à cette criante inégalité ? « Ne nous y trompons pas, il n’y a jamais eu de vraie place pour les femmes sur scène, analyse Hoëla Barbedette. Elles ont toujours usé de stratégies de séduction ou de parrainage, frisant le dédoublement de personnalité, pour exister sur une scène ».
Nolwenn Le Buhé est au diapason. « Que des artistes hommes, comme Krismenn, prennent position, c’est bien. Mais les femmes n’ont pas attendu pour tenter de se faire entendre. Nous avons fait du bruit, on ne nous pas écoutées. Aujourd’hui, nous ne partageons que des miettes ».
Continuer à sensibiliser
Reste que la récente position des groupes masculins, en faveur d’une programmation accrue des artistes féminines, porte ses premiers fruits. « 90 % des organisateurs de fest-noz ou de festival prennent en compte cette démarche, assure Alex Leboucher, chargé de diffusion au sein de La Criée, agence d’accompagnement artistique. Nous sommes dans l’échange, la pédagogie sur la place des femmes. Beaucoup, jusqu’ici, n’y pensaient pas, tout simplement ». Le groupe NDiaz estime, de son côté, que « les choses vont se faire peu à peu dans le milieu des amateurs de fest-noz. Mais nous restons vigilants ».
Hoëla Barbedette, le redit à l’envi : « il faut continuer à sensibiliser, la prise de conscience doit se jouer à tous les niveaux. Les programmateurs doivent veiller à cette diversité légitime ».
Ironie du sort, la journée Matrimoine(s) s’achevait par le concert du harpiste Kevin Le Pennec. « Inviter une femme, lâche Nolwenn Le Buhé, ce n’était pas possible ? »
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