
@ Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP
Le projet de loi constitutionnelle sur le statut de l’île, porté par l’exécutif, crée des remous. En cause, la volonté de graver dans le marbre la notion de « communauté ». Un affront aux principes de la République selon Pierre Ouzoulias, vice-président PCF du Sénat.
Entretien réalisé par Anthony CORTES
Le gouvernement persiste et signe. Dans un entretien accordé à la Tribune dimanche, le ministre de l’aménagement du territoire, François Rebsamen, a défendu ce 3 août le projet de loi constitutionnelle sur l’autonomie de la Corse malgré les nombreuses alertes du Conseil d’État.
Il y voit « une voie hors de la violence » qui « redonne de l’espoir à une jeunesse qui en a besoin dans la région la plus pauvre de France métropolitaine ». Pierre Ouzoulias, vice-président communiste du Sénat, dénonce un affront aux principes de la République.
Le texte reconnaît dans la Corse une « communauté historique, linguistique, culturelle, ayant développé un lien singulier à sa terre ». Que vous inspire ces termes ?
Pierre Ouzoulias,Vice-président PCF du Sénat
Le gouvernement ne nous propose pas une réforme de la Constitution, mais un changement de régime. La République a été fondée sur une base simple : chacun peut appartenir à la nation, sans critère d’origine, de langue, de religion. C’est le principe révolutionnaire posé en 1789.
Avec le projet de l’exécutif, on va à rebours de ces fondamentaux. On installe au sein de la République une nouvelle nation, que l’on appelle « communauté », et on l’appuie sur des critères stricts : sa langue, sa culture, son lien à la terre – ce qui rappelle d’ailleurs les propos de Pétain sur « la terre qui ne ment pas ».
C’est un recul pour la République, mais c’est aussi pour la Corse. En effet, Pascal Paoli, père de la première Constitution corse en 1755, fondait la « nation » corse sur l’ensemble de la population sans exclure quiconque sur la base de divers critères. Le projet actuel piétine l’histoire de l’île en prenant le risque d’installer un statut de citoyen de seconde zone.
Quel va être le statut d’un Français vivant en Corse, mais qui ne parle pas la langue ou qui n’a pas de lien particulier avec sa terre ? Nous pouvons discuter des volontés d’autonomie des corses, mais si cela passe par un système qui exclut ceux qui ne se rattachent pas à une vision communautariste, cela pose un réel problème.
Diriez-vous que l’indivisibilité de la République est menacée ?
C’est le chemin qui est pris. Si on nous proposait de nous diriger vers un système fédéral, même si je n’y suis pas favorable, nous pourrions en discuter. Mais nous sommes bien au-delà de cela en proposant de réorganiser la France avec plusieurs définitions de la nation.
D’ailleurs je m’étonne que, même à gauche, certains soient favorables à ce projet. Si demain le Rassemblement national proposait que l’on réforme la Constitution en excluant une partie de la population en fonction de leur religion ou de leur lien supposé à la terre, que dirions-nous ?
Au fil des élections, le vote autonomiste a pris de l’ampleur en Corse. Comment répondre à ces aspirations, exprimées démocratiquement, tout en préservant les principes républicains ?
Le premier problème de la Corse est social. La France a laissé survivre un état de sous-développement sur l’île qui a inévitablement créé de la défiance et du rejet. Jusqu’à installer l’idée que la Corse serait mieux défendue par eux-mêmes et pour eux-mêmes que par la République qui l’a abandonnée.
Aujourd’hui, les corses n’ont pas les mêmes droits que les autres, c’est un fait. On le voit sur les questions économiques, sociales ou de santé.
On le doit à la politique de concentration des investissements dans les métropoles qui a créé une mise en concurrence des territoires entre eux. Il faut donc réenchanter le projet politique républicain par l’égalité des droits.
Le gouvernement a décidé de faire fi de l’avis du Conseil d’État sur ce projet. Cela dit-il quelque chose du rapport du camp présidentiel à nos institutions ?
L’attitude du gouvernement est catastrophique. Mais ce n’est pas nouveau. Depuis plusieurs semaines, le camp présidentiel préfère miser sur des propositions de loi, d’initiative parlementaire, plutôt que sur des projets de loi déposés par ses soins. Pourquoi ? Pour éviter les avis consultatifs du Conseil d’État.
Donc on se retrouve avec des textes qui ne sont pas encadrés du point de vue législatif et constitutionnel. Et pour les quelques projets de lois, comme celui sur la restitution des œuvres spoliées aux pays colonisés, l’avis de la plus haute juridiction, souvent négatif, est totalement ignoré.
Quels que soient les dossiers, la stratégie du gouvernement est souvent la même : passer en force. Sur la question de la Corse, cette volonté, en plus d’être dangereuse, est hypocrite et irresponsable.
Le gouvernement sait très bien qu’il n’y aura pas de majorité au Sénat pour voter ce texte. Le but, c’est de pouvoir dire aux corses : « Vous voyez, on a fait le boulot, c’est le méchant Sénat qui ne veut pas. » Ce qui créera d’autant plus de défiance vis-à-vis des institutions de la République.
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