
Depuis Toulouse et Clermont-Ferrand, les « trains de la colère » ont convergé vers Paris. À leur bord, des usagers, des élus, des cheminots. Ils dénoncent la dégradation de leurs lignes, la lenteur des investissements promis, et plus largement, le choix politique d’affaiblir le service public ferroviaire. En gare d’Austerlitz, la colère s’est exprimée en actes : pancartes, prises de parole, et une même exigence partagée. Redonner au rail sa vocation : relier, desservir, connecter.
Une initiative saluée par Bérenger Cernon, conducteur de train devenu député LFI : « Plutôt que de dépenser des dizaines de millions d’euros ds des appels d’offres, renforçons le service public et la cohérence de nos territoires ! » a t-il déclaré au micro de l’Insoumission. Notre article.
Quand la colère monte à Paris
Mercredi 16 avril, deux trains spéciaux ont quitté Toulouse et Clermont-Ferrand à l’aube. À bord, plusieurs centaines d’usagers, d’élus locaux, de cheminots, de membres de collectifs citoyens et d’associations d’usagers. Tous unis par une même exaspération, une même volonté de ne plus laisser leurs lignes s’effondrer en silence. Sous la bannière des « trains de la colère », ils ont roulé vers Paris, comme pour remonter un message à la capitale.
À leur arrivée en gare d’Austerlitz, pancartes brandies, slogans scandés, prises de parole en série : le quai s’est transformé en agora populaire. On y parlait retards chroniques, suppressions de trains, désertification des dessertes et fatigue accumulée.
La mobilisation était coordonnée par les collectifs Urgence Ligne POLT et la FNAUT (Fédération nationale des associations d’usagers des transports), avec le soutien actif de la CGT-Cheminots, de Sud Rail, et d’une délégation d’élus venus de toute la diagonale du vide ferroviaire. Également présent, le député Antoine Léaument, qui a déclaré sur les réseaux sociaux : « Présent en gare pour soutenir la mobilisation pour les lignes Clermont-Nevers-Paris et Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. Pour la banlieue comme pour les zones rurales, nous voulons des transports de qualité. Ras-le-bol des sous-investissements. Vive le service public du rail. »
Chronique d’un démaillage territorial
La ligne Clermont-Ferrand-Paris illustre parfaitement la dérive actuelle. En 2008, le trajet durait 2 h 58. En 2024, il atteint en moyenne 3 h 14. Seize minutes de plus, sur fond de retards systématiques, pannes récurrentes, conditions de voyage dégradées et matériel roulant en fin de vie. La plupart des rames circulant encore sur cette ligne ont plus de quarante ans. Des locomotives diesel datant des années 1980 y sont encore utilisées, posant des problèmes de fiabilité. Le renouvellement promis tarde à venir, et les nouvelles rames, attendues depuis 2019, se font toujours attendre.
Sur la ligne POLT (Paris-Orléans-Limoges-Toulouse), la situation est similaire. 2,6 millions de voyageurs y transitent chaque année, mais les travaux de modernisation accumulent les retards. Selon les collectifs, il manquerait entre 2,5 et 3 milliards d’euros pour que la ligne soit pleinement réhabilitée.
Malgré l’urgence, le ministre des Transports Philippe Tabarot a annoncé lors d’un déplacement dans le Puy-de-Dôme la commande de seulement deux rames supplémentaires pour la ligne Clermont-Paris. Une annonce faite après des années d’attente et de reports, alors même que les rames promises en 2019 ne sont toujours pas livrées. Ce geste, jugé largement insuffisant par les usagers et élus locaux, a été perçu comme un signal faible face à l’ampleur des besoins exprimés depuis des mois.
Dans les coulisses, un choix politique
La situation actuelle n’est pas une fatalité. Elle est le résultat d’un choix : celui de désengager l’État du financement du rail. Depuis la réforme de 2018, SNCF Réseau est liée à un contrat de performance qui limite ses capacités d’investissement. En 2025, 6 milliards d’euros d’investissements sont annoncés, dont 3,3 pour la régénération du réseau. Mais selon SNCF Réseau elle-même, il en faudrait 4,5 milliards par an jusqu’en 2028 pour simplement stabiliser l’état du réseau existant.
Certaines lignes, comme Nevers-Paris, n’ont pas vu le moindre euro d’investissement public depuis 25 ans. Les dessertes diminuent, les retards explosent, les infrastructures vieillissent. Pendant ce temps, le ministère tente de calmer la grogne à coups de billets à 19 euros. Une réponse cosmétique à un problème structurel.
Les déserts ferroviaires
Cette politique produit une fracture territoriale de plus en plus visible. D’un côté, des métropoles bien desservies par les LGV. De l’autre, 10 millions de Français vivant dans des « déserts ferroviaires ». Cette fracture n’est pas nouvelle : elle est le fruit de quarante ans de politique du tout-TGV, concentrée sur les axes les plus rentables, en laissant à l’écart les lignes structurantes hors métropoles.
Aujourd’hui, cette logique est relancée avec force. En témoigne le projet de LGV Sud-Ouest, soutenu par le gouvernement, qui prévoit un financement public massif pour connecter Bordeaux à Toulouse et Dax. Pendant ce temps, les lignes Intercités existantes continuent de se dégrader. Cette orientation budgétaire est d’autant plus préoccupante que l’ouverture à la concurrence pousse à concentrer les investissements sur les lignes à fort potentiel commercial. Les autres sont menacées d’asphyxie.
Dans ces territoires, l’absence de train n’est pas un simple retard : c’est une condamnation à l’immobilité, ou à la dépendance automobile. Là où l’on parle de « mobilité durable », les habitants attendent encore que le service public suive.
Les revendications portées par la mobilisation
Au-delà des discours et des témoignages, la mobilisation du 16 avril a été l’occasion d’énoncer ce que les usagers attendent.
Un plan massif de réinvestissement est exigé pour les lignes Intercités. Ces lignes doivent redevenir prioritaires, car elles structurent des territoires aujourd’hui relégués et car exclus de toute logique de rentabilité.
Les représentants ont aussi pointé le coût excessif des péages ferroviaires, qui pèse directement sur le prix des billets. Leur baisse est nécessaire pour garantir un accès équitable au train.
Autre exigence : un moratoire immédiat sur la fermeture des petites lignes, pour mettre fin à l’effacement du maillage ferroviaire. Enfin, les usagers ont plaidé pour un abonnement mensuel plafonné, accessible à toutes celles et ceux qui prennent le train quotidiennement, souvent faute d’alternative.
Ces revendications traduisent une exigence de justice territoriale et d’égalité d’accès au service public. Ces propositions rejoignent celles proposées par les insoumis.
La conférence « Ambition France Transports » dans le viseur
La mobilisation du 16 avril a mis la pression. Et le calendrier politique oblige : la conférence « Ambition France Transports » sur le financement des infrastructures, qui débutera le 5 mai à Marseille, sera un test. Le ministre Philippe Tabarot a annoncé, dans une interview à La Tribune, rechercher 3,5 milliards d’euros pour l’ensemble des infrastructures de transport – ferroviaire et routier. Un chiffre largement insuffisant pour le député cheminot Bérenger Cernon, qui rappelle qu’il faut « minimum 4,5 milliards par an rien que pour l’entretien du réseau ferroviaire existant ».
Et avec du recul, la macronie à la rescousse, on n’y croit plus. Difficile d’oublier qu’en février 2023, la Première ministre Élisabeth Borne promettait 100 milliards d’euros pour le ferroviaire sur 15 ans. Promesse depuis lors tombée dans l’oubli.
Les collectifs, eux, annoncent que la mobilisation continuera tant qu’aucun engagement structurel n’aura été pris. Les trains de la colère ne sont pas un baroud d’honneur : ils marquent une étape vers une reconquête du service public ferroviaire.
Cette révolution du rail, la France insoumise la défend. Elle propose un plan d’investissement massif dans le réseau ferré national, à hauteur de 150 milliards d’euros sur 20 ans, pour moderniser les lignes existantes, rouvrir les petites lignes abandonnées, et développer une offre de trains du quotidien accessible à tous. Elle plaide pour la sortie du ferroviaire de la logique de rentabilité, le retour à un monopole public et intégré, et l’abrogation du pacte ferroviaire de 2018. Pour que le train ne soit plus un privilège mais un droit.
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Source: https://linsoumission.fr/2025/04/18/trains-de-la-colere/
URL de cet article: https://lherminerouge.fr/financement-du-ferroviaire-les-trains-de-la-colere-entrent-en-gare-li-fr-18-04-25/