IA : la porte-parole du PS travaille chez Palantir, l’ogre de la surveillance algorithmique choyé par Donald Trump. (L’Humanité – 05/09/25)

Pour Julie Martinez, « Il n’y a aucune contradiction, aucun choix à faire » entre son poste de porte-parole du PS spécialiste des sujets de l’IA et son emploi chez la sulfureuse société américaine Palantir.
© Fabrice COFFRINI / AFP

Salariée depuis trois ans de Palantir, le très libertarien fleuron de la big tech américaine, Julie Martinez a rejoint, depuis un mois, l’équipe des porte-parole du Parti socialiste. Un grand écart pour cette jeune femme et les déclarations publiques de ses représentants.

Par Elisabeth Fleury et Simon Guichard

Peut-on être à la fois porte-parole du Parti socialiste et salariée d’une entreprise clé de la Big Tech à l’ère Trump ? Professer des idées humanistes tout en travaillant pour une société dont les partenaires, aux États-Unis, s’occupent de la traque des étrangers en situation irrégulière ? La réponse est oui. Et ça n’a pas l’air de choquer grand monde au sein du Parti socialiste.

Depuis un mois, Julie Martinez a rejoint l’équipe des porte-parole du parti à la rose tout en travaillant pour Palantir, une entreprise cofondée en 2003 par un magnat de la Silicon Valley, le très sulfureux Peter Thiel. Ce quinquagénaire milliardaire, formé sur les bancs de Stanford, est un libertarien pur sucre.

L’ennemi, pour lui, c’est la norme. Cofondateur de PayPal, licencié en philosophie, il fut le grand argentier de l’élection de Donald Trump et J.D. Vance. Devenu conseiller numérique du président des États-Unis, il fait désormais partie de sa garde rapprochée.

« Nous construisons pour dominer »

Le département de l’efficacité gouvernementale (DOGE) et le Service de l’immigration et des douanes (ICE) figurent parmi les clients de Palantir dont les programmes, redoutablement efficaces, ne s’embarrassent pas du respect des droits humains. « Nous avons créé Palantir pour assurer l’avenir de l’Amérique, pas pour bricoler à la marge, affirmait Alexander Karp, un autre cofondateur de l’entreprise, sur des panneaux publicitaires affichés ces derniers mois dans des universités américaines. Dans les usines, dans les salles d’opération, sur les champs de bataille, nous construisons pour dominer. »

Traquer les immigrés, les pauvres et les malades. Dans le Far West de l’exploitation des données personnelles à des fins commerciales, Palantir tient la corde. Avec un certain sens du cynisme : Alexander Karp, affiche dans son bureau un portrait du philosophe Michel Foucault qui, le premier, décortiqua et théorisa, pour mieux les dénoncer, les mécanismes de la surveillance de masse au XXe siècle.

La data au cœur du business de Palantir

« Travailler pour Palantir, dans l’ère Trump 2, c’est tourner le dos aux libertés fondamentales », affirme Olivier Tesquet, spécialiste du numérique à Télérama, qui a publié en 2017 une enquête fouillée sur cette « Rolls-Royce du big data ». Leader incontesté – pour l’instant – du marché de l’exploitation des données, Palantir offre à ses clients des « solutions » leur permettant de tirer au mieux parti des informations qu’ils collectent sur les usagers d’Internet.

Sa toile, partout dans le monde, ne cesse de s’étendre. L’entreprise peut même se vanter d’avoir passé en 2017, dans la foulée des attentats islamistes qui ont endeuillé l’Europe, un contrat « temporaire » avec les services du renseignement intérieur français. Un accord très controversé dont la DGSI, aujourd’hui, peine à se défaire.

« Toute information se rapportant à une personne physique, identifiée ou identifiable » : telle est la définition des « données personnelles » que Palantir aide ses clients à exploiter. Aux États-Unis, elles constituent une marchandise comme une autre.

À ses clients, publics ou privés, Palantir vend « des solutions algorithmiques permettant leur exploitation sans les garde-fous dont nous disposons en Europe », explique Antoine Champagne, fondateur du site Reflets.info. Sur le Vieux continent, en revanche, les données personnelles sont protégées.

« C’est un peu comme être chargé de la protection de l’enfance à Betharam »

Palantir doit donc composer avec le Règlement général sur la protection des données (RGPD), adopté en 2016. « C’est mieux que rien, mais c’est loin d’être parfait face à l’appétit vorace des grosses plateformes, américaines ou chinoises », indique Antoine Champagne.

« Responsable de la protection des données personnelles (DPO) » : c’est précisément le titre de Julie Martinez, au sein de Palantir. Une fonction qui fait sourire les spécialistes de la Big Tech. « C’est un peu comme être chargé de la protection de l’enfance à Betharam », ironise l’un d’eux.

Pas de quoi inquiéter le Parti socialiste, en tout cas. Certes, « travailler pour Palantir n’est pas un non-sujet, reconnaît son directeur général Foran Vadillo. Mais je suis presque rassuré que des profils comme celui de Julie Martinez soient recrutés par ce genre de sociétés ». Et de mettre en avant les origines modestes de l’intéressée : mère AESH, enfance à Sarcelles. Julie Martinez déroule un parcours exemplaire. À dix-sept ans, en terminale, le département d’État américain lui offre un séjour d’un mois aux États-Unis lors duquel, raconte-t-elle, elle croise notamment Hillary Clinton.

L’année suivante, elle entre en Lettres à Louis le Grand. Elle se passionne pour le droit, choisit un triple cursus allemand-anglais-français, devient avocate, travaille dans un cabinet d’affaires à Londres. En 2021, alors qu’elle milite depuis cinq ans au Parti socialiste, Jacques Attali la propulse à la tête de France Positive, un think tank à prétention « transpartisane ».

Julie Martinez et son poste « à impact » chez Palantir

Quelques mois plus tard, Palantir la recrute. « Ils connaissaient parfaitement mes positions publiques », argue l’intéressée, affirmant voir dans cette opportunité la possibilité de « défendre des convictions là où ça compte vraiment ». « Mon rôle, c’est de veiller à ce que nos valeurs européennes soient prises en compte ».

Peter Thiel ? « C’est un libertarien que je méprise, parce qu’il méprise nos démocraties », dit Julie Martinez. L’idéologie de son patron est « mortifère » mais il n’a, chez Palantir, « plus aucun pouvoir opérationnel ». Alexander Karp ? « Il soutient Zelensky face à Poutine, malgré l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. »

Contrairement à Facebook et à son PDG Mark Zuckerberg, Palantir n’est donc pas une menace pour les libertés, assure Julie Martinez, bien au contraire, l’entreprise « accompagne la lutte contre les extrémismes », soutient les Ukrainiens, s’engage « contre le trafic de bébés ».

Sa coopération avec l’ICE, son rôle dans la traque des migrants ? Ce sont des « fake news », balaie-t-elle. Son rôle de DPO chez Palantir est « à impact ». Elle a l’impression d’y être « efficace ». « Je suis consultée avant n’importe quelle sortie de produit », indique-t-elle. Faire respecter le RGPD est « une base minimale », un « modèle par défaut » qu’elle s’efforce « d’étendre, et pas seulement aux entités européennes », assure-t-elle.

« Les fonctions de Julie Martinez sont conformes à son engagement »

« Les discussions sont compliquées, comme partout en entreprise » mais, dit-elle, « les lois sont avec moi ». « Je suis coriace et redoutable ». Travailler chez Palantir, ce n’est pas renier les « convictions de militante socialiste, antifasciste, anti-extrême droite » qui lui sont « chevillées au corps ».

« Les fonctions de Julie Martinez sont conformes à son engagement, valide Floran Vadillo. Elle porte un discours de régulation. C’est une militante des libertés fondamentales. » Qu’importe la collusion de la Big Tech avec l’extrême droite la plus violente. Qu’importent les accointances de Peter Thiel avec Donald Trump. « Julie Martinez n’a aucune responsabilité là-dedans. »

Si elle devait choisir entre le PS et Palantir, que choisirait-elle ? La question agace Julie Martinez. « Il n’y a aucune contradiction, aucun choix à faire. » Le 30 août dernier, à Blois, Olivier Faure alertait sur les dérives de Donald Trump. « Nous ne faisons plus face, comme lors du premier mandat, à l’improvisation brouillonne d’un magnat de l’immobilier mais à une stratégie populiste assumée avec le soutien de l’extrême argent des milliardaires de la Silicon Valley », mettait en garde le patron du PS.

À peine quelques mois plus tôt, interrogé par Wired en juin 2025, Peter Thiel disait douter « que la liberté et la démocratie soient compatibles ». Julie Martinez peut-elle l’ignorer ? « À partir du moment où mes valeurs sont respectées, je reste dans une entité américaine qui a un impact dans la société française. »

Source : https://www.humanite.fr/politique/big-data/la-porte-parole-du-ps-pour-lia-travaille-chez-palantir-le-geant-de-la-surveillance-algorithmique-choye-par-donald-trump

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/ia-la-porte-parole-du-ps-travaille-chez-palantir-logre-de-la-surveillance-algorithmique-choye-par-donald-trump-lhumanite-05-09-25/

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