
Merlin Ferret
La maison familiale de Kobayat, au Liban, n’a pas désempli. Les frères et les sœurs du militant l’ont accueilli après quarante ans d’absence. Il a même rencontré des proches qui n’étaient pas nés lorsqu’il a été emprisonné.
Par Pierre Barbancey
Envoyé spécial.
À l’entrée de la maison familiale, deux immenses photos de Georges Ibrahim Abdallah et un drapeau libanais ont été accrochés pour lui souhaiter la bienvenue. Le prisonnier politique est finalement rentré chez lui le vendredi 25 juillet.
Il a été accueilli à l’aéroport de Beyrouth par des centaines de personnes et des responsables politiques, dont le secrétaire général du Parti communiste libanais (PCL), Hanna Gharib. Un moment de joie comme le pays n’en avait plus connu depuis longtemps.
Georges Ibrahim Abdallah de retour dans son village natal
Kobayat, son village natal, a été aussi pavoisé. Reçu au centre culturel, Georges Ibrahim Abdallah a insisté sur la nécessaire « unité du Liban, quelle que soit la situation dans la région ».
Quarante ans qu’il n’avait pas revu ses frères et sœurs. Amal, 62 ans, ne cache pas son émotion. « Je n’arrive pas à croire qu’il est là, il m’a tellement manqué », confie-t-elle, épuisée, assise sur un canapé dans le patio. Une cousine, Marie, 60 ans, fume cigarette sur cigarette, nerveuse. « On a même pensé que l’avion ferait demi-tour avant d’atterrir à Beyrouth », dit-elle en riant.
À ses côtés, Rim, 36 ans, une nièce de Georges, sourit. « Je n’étais pas née quand ils l’ont mis en prison. Mais je n’ai vu personne qui a cette force en dépit de toutes les pressions qu’il a subies. Ses idées sont restées les mêmes. Je suis fière d’être sa nièce. » Rim voit donc son oncle pour la première fois et, pourtant, c’est comme si elle l’avait toujours connu.
« Tous les dimanches la famille se retrouvait et Georges nous appelait. On l’entendait parler, ça nous donnait de la force », raconte-t-elle. Marie, elle, a gardé le souvenir d’un homme grand. « Pour moi, c’était un géant. Il nous a toujours donné cette sensation de force. »
Un accueil au-delà des clivages politiques
La maison n’a pas désempli depuis le retour de Georges Ibrahim Abdallah. Les délégations se pressent, les habitants du village viennent présenter leurs salutations, y compris ceux qui ne partagent pas ses idées révolutionnaires. Comme ce général à la retraite passé en coup de vent.
Les verres d’eau et de jus de fruit succèdent aux pâtisseries. L’ambiance est feutrée, malgré la foule. Personne ne sait très bien s’il faut se recueillir, après de si longues années d’emprisonnement ou, au contraire, laisser éclater sa joie de voir celui qui était le plus vieux prisonnier politique d’Europe enfin libre.
Riad Oubeid a fait plus de trois heures de route pour se rendre à Kobayat. « Georges représente la première génération de la résistance, nous explique-t-il. Il a gardé en lui cette pureté et cette franchise dans ses convictions. En tant que parents, nous devons éduquer nos enfants dans cette voie. » Des jeunes ont entendu parler de cet homme. Comme Joseph, 20 ans, rencontré dans le village.
Un ancien prisonnier politique salué comme un modèle de résistance
« Tout ça est très lointain pour nous, mais ça reste un modèle. Il n’a jamais abandonné, et c’est très respectable. » Le cheikh sunnite du gouvernorat, Abdul Salam al Arrach, donne l’accolade à Georges Ibrahim puis l’embrasse longuement. « C’est un leader, déclare-t-il. Il faut être tous unis pour la résistance et la libération de la Palestine. » Ghassan Ben Jeddou, le directeur de la chaîne de télévision Al Mayadeen, a tenu lui aussi à rendre hommage à Georges Ibrahim Abdallah, avec lequel il s’entretient.
« C’est enfin arrivé ! » s’exclame Fidaa Abed el Fattah, une avocate et membre de son Comité libanais de soutien. « La France se présente comme un État de l’ordre et de la justice, mais c’est faux. Georges est resté enfermé sans raison alors qu’il était libérable depuis 1999 et elle a refusé de le considérer comme un prisonnier politique. »
Robert Abdallah, le plus jeune frère, se dit « content et fier » de la libération de son aîné. Mais il sait aussi qu’« au Liban les résistants comme Georges sont menacés ». « Avant qu’il ne quitte le pays, il y avait la gauche et la droite, rappelle-t-il. Désormais s’affrontent des divisions sectaires, chiites, chrétiens, sunnites. »
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