Israël a attaqué l’Iran – À qui mieux qu’à Israël pourrait s’appliquer le qualificatif d’« État voyou »? (Arrêt Sur Info – 16/06/25)

Le président américain Donald Trump (G) a révélé qu’il avait adressé une lettre au guide , l’ayatollah Ali Khamenei (D)suprême iranien, suggérant des pourparlers sur la question , Washington, le 5 mars 2025.

Par Samir Saul – Michel Seymour

Comme si le génocide en Palestine ne suffisait pas, Israël a déclenché en même temps une guerre par une agression caractérisée et à grande échelle. À qui mieux qu’à Israël pourrait s’appliquer le qualificatif d’« État voyou » que les États-Unis lançaient à tort et à travers contre les pays qu’ils ciblaient ?Les motivations israéliennes

Pour Netanyahu, il ne s’agit pas seulement de se maintenir au pouvoir et d’éviter ainsi les poursuites en justice qui s’abattraient sur lui une fois redevenu simple citoyen. L’Iran est le pays de la région qui tient tête à l’entreprise d’hégémonie américano-israélienne au Moyen-Orient. L’éliminer est considéré comme nécessaire pour réaliser la domination de la région par les États-Unis et son prolongement israélien. L’Iran est un obstacle à l’expansionnisme d’Israël. C’est le pays qui aide le Hamas, le Hezbollah, les Ansar Allah (Houthis) et les mouvements de résistance en Irak. Et si tous soutiennent la cause palestinienne, c’est peut-être en partie parce que la Palestine est l’obstacle le plus important au projet du Grand Israël, un projet auquel l’Iran veut faire obstruction.

Dans les dernières décennies, Israël a fait croire que l’Iran était sur le point de constituer la bombe nucléaire. Dans certains très vieux clips datant d’il y a environ 15 ans, Netanyahu disait que c’était une question de semaines avant qu’Iran y parvienne. (Une émission récente de Glenn Greenwald à System Update fait la recension de toutes ces fausses alertes de Netanyahu.) La question de la bombe nucléaire iranienne n’est donc qu’un prétexte, comme l’a été le mensonge sur les armes de destruction massive de l’Irak il y a 22 ans. De toute façon, l’équipement nucléaire de l’Iran est enfoui sous terre et inatteignable par des obus conventionnels. La guerre « préventive » qu’Israël vient d’amorcer ne s’explique pas en invoquant ce faux danger. Il s’agit plutôt d’éliminer la principale force politique hostile à l’hégémonie américano-israélienne et à l’annexion des territoires adjacents à l’Israël actuel. Voilà pourquoi les médias occidentaux ont immédiatement annoncé que, l’objectif réel d’Israël (et des Occidentaux) était de changer le régime à Téhéran. Le seul État nucléaire au Moyen-Orient c’est Israël et il veut à tout prix conserver son monopole. Enfin, en plus de se maintenir au pouvoir et de sauver sa peau, Netanyahu espère parallèlement entrer dans l’histoire comme celui qui a garanti le projet sioniste et l’élargissement du territoire israélien.

Les divers dirigeants israéliens se sont livrés depuis les années 1940 à des attaques meurtrières contre les Palestiniens au point d’aboutir au génocide actuel, et tout cela en exploitant les crimes nazis à des fins colonisatrices en Palestine. Ils les mettent à contribution afin de pratiquer l’occupation, le nettoyage ethnique et la colonisation de peuplement. Ils déploient une stratégie identique qui, cette fois-ci, inverse les choses et les place dans la position du bourreau. En se posant en victime éternelle, Israël se croit tout permis au point de commettre un génocide au grand jour, sous le regard du monde entier.

Il y a donc un ensemble de facteurs convergents qui expliquent le choix d’Israël d’attaquer l’Iran: sauver sa peau face à la justice pour Netanyahu, se maintenir au pouvoir grâce à une coalition réunissant des génocidaires et bellicistes d’extrême droite religieuse, élargir le territoire d’Israël. Il agit impunément avec l’appui des pays occidentaux qui le financent, l’arment, lui fournissent une couverture politique et répètent sa propagande. Les Israéliens n’attaqueraient pas l’Iran sans l’appui des États-Unis. Par conséquent, pour comprendre ce qui se passe, il faut aussi expliquer pourquoi les Américains veulent aussi attaquer l’Iran.

Les États-Unis

Pour les États-Unis, l’Iran était l’une des cibles ultimes dans une série de sept pays dans lesquels il fallait intervenir pour asseoir leur contrôle dans la région. Le clip du général Wesley Clark accordant une entrevue à Amy Goodman, disponible sur Youtube, est particulièrement révélateur et éloquent.

Pourquoi les Américains veulent-ils dominer la région? Il fut un temps où il s’agissait pour les États-Unis d’assurer leur approvisionnement en pétrole. Puis, ils ont cherché à neutraliser la compétition de divers autres pays dans la production de pétrole, en soutien aux pays du Golfe, leurs protectorats.

Ainsi, en 2011, les USA, l’Arabie saoudite et le Qatar ont déclenché une guerre par procuration (avec les djihadistes comme proxy) contre la Syrie quand celle-ci a choisi le pipeline iranien plutôt que celui du Qatar passant par l’Arabie saoudite. Les États-Unis avaient envahi l’Afghanistan pour mettre en place un régime favorisant l’établissement d’entreprises pétrolifères américaines dans la région, tout en se donnant une base au sud de la Russie. Les États-Unis sont présents en Irak pour l’exploitation du pétrole qui s’y trouve. Ils occupent le tiers de la Syrie pour contrôler la production du pétrole. Ils ont forcé la Russie à intervenir en Ukraine pour justifier des sanctions économiques contre ce pays, y compris celles visant à couper l’accès de la Russie au marché européen pour la vente de son gaz et de son pétrole. Ils ont même détruit le gazoduc Nordstream II, pourtant financé non seulement par Gazprom mais aussi par l’Allemagne. L’agressivité affichée par les Américains contre le Venezuela s’explique de la même façon. Ce dernier pays est un très grand producteur de pétrole.

Mais puisque les Américains sont maintenant presque autosuffisants en matière de gaz et de pétrole, pourquoi ces ressources sont-elles si importantes pour les États-Unis? La réponse : la ressource la plus importante pour les Américains, ce n’est pas le gaz ou le pétrole, c’est le dollar américain en tant que devise de facto de réserve mondiale. Le contrôle des pays du Golfe, où se trouvent d’immenses réserves d’hydrocarbures, est le moyen pour les États-Unis de s’assurer que le pétrole et le gaz continuent à être vendus en dollars, relation capitale pour la primauté de leur monnaie dans le monde. Soutenu par le commerce du pétrole et du gaz, le dollar est le pilier principal sur lequel repose l’impérialisme étasunien.

À ce propos, rappelons que l’Arabie saoudite a été tiraillée entre l’Occident, traditionnel allié, et la Chine, superpuissance économique désireuse d’acheter du pétrole saoudien en payant avec des Yuan. Les Saoudiens ont aussi envisagé de joindre les pays du BRICS et ont fait la paix avec l’Iran. Mais les Américains veulent maintenir Ryad dans leur giron et les associer à Israël (accords d’« Abraham »). D’où finalement la réticence des Saoudiens à joindre les BRICS.

Des négociations potentiellement fructueuses ?

A-t-on raison de faire jouer aux États-Unis un rôle de belligérant dans le conflit opposant Israël à l’Iran? Les Américains n’étaient-ils pas en voie d’obtenir une entente avec l’Iran sur le nucléaire? Certains ont pu y croire lorsque Trump a semblé accepter la présence d’une industrie nucléaire en Iran. Mais, très rapidement, il haussa le ton. Les exigences sont devenues plus grandes et l’Iran était sommé de renoncer complètement à son programme de développement de l’industrie nucléaire. Il devait mettre carrément fin à toute recherche dans ce domaine qui est pourtant un droit de tout pays souverain. Trump répétait le discours de Netanyahu. Des sceptiques ont alors fait valoir que les « négociations » entamées avec l’Iran ne servaient qu’à rassurer faussement l’Iran afin que l’intervention militaire puisse prendre l’Iran par surprise.  Ce serait surestimer l’habileté de l’administration Trump qui a cru pouvoir intimider l’Iran à se soumettre lors des pourparlers. Ils ont finalement été un moyen pour les États-Unis de se distancier de l’attaque israélienne et de laisser croire à la communauté internationale que les États-Unis n’y étaient pour rien.

Les États-Unis avaient fait mine de se distancier d’un État d’Israël se servant de la famine comme solution finale contre les Palestiniens. Ils avaient construit un pont permettant d’acheminer des vivres aux Gazaouis, projet qui avorta rapidement et qui se révéla n’être qu’une opération marketing préservant seulement son image publique. Les voici maintenant prétendant négocier et se posant en intermédiaires, alors qu’ils sont partie prenante dans le conflit opposant Israël à l’Iran.

Cette politique a été inspirée par la Brookings Institution : Which Path to Persia (2009), Brookings Institution: https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2016/06/06_iran_strategy.pdf. Le commentateur Brian en a expliqué les tenants et les aboutissants à son émission The New Atlas. https://www.youtube.com/watch?v=bPAFvlPf-UE

Les raisons profondes

Les États-Unis s’en sont pris à la Russie et à l’Iran, en se servant respectivement de l’Ukraine comme proxy et chair à canon, et d’Israël comme protectorat et tête de pont. S’ils veulent s’en prendre à la Chine en se servant de Taïwan comme prétexte et justification, c’est parce qu’ils veulent perpétuer leur hégémonie mondiale. Autrement, l’élargissement du BRICS avec la Chine comme membre de premier plan risquerait de fournir à la communauté internationale une mondialisation se déployant en dehors du système occidental, et donc à l’extérieur du complexe impliquant le dollar US, le FMI, la Banque mondiale et le système Swift, ce qui risquerait de faire perdre au dollar US son statut de facto de monnaie de réserve mondiale. Trump veut bien que le dollar US perde de sa valeur pour accroître les exportations américaines et réduire le déficit de la balance commerciale, mais il veut aussi que le dollar préserve son statut de devise de réserve mondiale. D’où la menace annoncée d’imposer des tarifs de 100% aux pays qui veulent fonctionner dans le BRICS.

Pourquoi veut-on aux États-Unis préserver le privilège du dollar? Sans ce privilège, l’achat de bons du Trésor américains ne serait plus un investissement sûr. Pour attirer les investisseurs, il faudrait alors hausser les taux d’intérêt, ce qui accroîtrait l’inflation, ralentirait l’économie, hausserait le fardeau de la dette et le service de la dette. Les Américains pourraient rapidement se retrouver non seulement dans l’obligation d’emprunter pour payer les intérêts de la dette, mais aussi en hyperinflation, puis en défaut de paiement, ce qui inciterait les investisseurs à se départir complètement de leurs dollars, lesquels ne vaudraient alors plus rien. Dans sa chute, le dollar entraînerait avec lui l’impérialisme américain.

Conclusion

On dit parfois que pour comprendre la géopolitique, il faut suivre le pipeline (follow the pipeline). Plus encore, il faut aussi garder l’œil sur le dollar. Qui conquiert par la piastre périra par la piastre et avec elle. Ainsi, l’on constate que les agissements génocidaires et guerriers d’Israël font partie d’une stratégie d’ensemble et que les États-Unis sont au cœur de cette entreprise.Samir Saul – Michel Seymour, 15 juin 2025

Samir Saul est docteur d’État en histoire (Paris) et professeur d’histoire à l’Université de Montréal. Son dernier livre est intitulé L’Impérialisme, passé et présent. Un essai (2023). Il est aussi l’auteur de Intérêts économiques français et décolonisation de l’Afrique du Nord (1945-1962) (2016), et de La France et l’Égypte de 1882 à 1914. Intérêts économiques et implications politiques (1997). Il est enfin le codirecteur de Méditerranée, Moyen-Orient : deux siècles de relations internationales (2003). Courriel : samir.saul@umontreal.ca 

Michel Seymour est professeur retraité du département de philosophie à l’Université de Montréal, où il a enseigné de 1990 à 2019. Il est l’auteur d’une dizaine de monographies incluant A Liberal Theory of Collective Rights, 2017; La nation pluraliste, ouvrage co-écrit avec Jérôme Gosselin-Tapp et pour lequel les auteurs ont remporté le prix de l’Association canadienne de philosophie; De la tolérance à la reconnaissance, 2008, ouvrage pour lequel il a obtenu le prix Jean-Charles Falardeau de la Fédération canadienne des sciences humaines. Il a également remporté le prix Richard Arès de la revue l’Action nationale pour l’ouvrage intitulé Le pari de la démesure, paru en 2001. Courriel : seymour@videotron.ca site web: michelseymour.org

Source : https://arretsurinfo.ch/israel-a-attaque-liran-a-qui-mieux-qua-israel-pourrait-sappliquer-le-qualificatif-d-etat-voyou/

URL de cet article : https://lherminerouge.fr/israel-a-attaque-liran-a-qui-mieux-qua-israel-pourrait-sappliquer-le-qualificatif-d-etat-voyou-arret-sur-info-16-06-25/

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