
Le texte, qui permettra à l’État de continuer à percevoir l’impôt en absence de loi de finances, devrait être voté, lundi, par l’ensemble des groupes politiques. Ce qui n’a pas empêché, mercredi, les invectives entre le camp présidentiel et les oppositions.
Par Florent Le DU.
Voter un texte sans faire de la politique ? C’est, prétendent-ils, le pari pris par les ministres démissionnaires pour valider leur loi spéciale. L’enjeu : permettre à l’État de continuer à percevoir des impôts en l’absence de budget voté par les députés.
« La loi spéciale n’est pas faite pour donner un cadre économico-financier au pays, elle est là en pis-aller en attente de l’adoption d’un budget », a précisé le ministre de l’Économie démissionnaire, Antoine Armand, auditionné ce mercredi par la commission des Finances de l’Assemblée nationale. « Il s’agit d’un texte technique sans portée politique, je vous demanderai donc de pas en faire dans vos prises de parole », a-t-il ajouté dans son introduction, avant de craquer dès la minute suivante : « Sans adoption rapide d’un prochain budget, l’activité économique sera toujours plus affectée. »
De quoi agacer le président de la commission Éric Coquerel (FI) : « Je crois que ce n’est pas bien de continuer à alarmer, à susciter des peurs dans le cadre de cet examen. » Et pourtant, pendant près de deux heures, les passes d’armes entre le « socle commun » et les oppositions n’ont jamais cessé.
Une reconduction des dépenses contenues dans le budget 2024
Dans cette période d’incertitude politique, et alors que l’Assemblée avait suspendu ses travaux, l’examen de ce projet de loi spéciale – qui se poursuit jeudi en commission puis lundi dans l’Hémicycle et au Sénat – est une tribune pour chaque camp politique. Une occasion de peser sur la bataille de récits toujours en cours tant qu’Emmanuel Macron ne nomme pas de nouveau premier ministre, notamment autour de cette question : qui est responsable de cette crise ?
À ce petit jeu, l’insoumis Aurélien Le Coq a été l’un des premiers à ferrailler : « Chers ministres démissionnaires, on attend encore la pluie de grenouilles et de sauterelles. Grâce à la censure, les retraités pourront manger, les malades se soigner, les élèves étudier. Le seul déluge est celui de votre incompétence. »
Dénonçant une « tribune politique », le ministre démissionnaire du Budget, Laurent Saint-Martin, a pourtant remis une couche sur « l’état des finances publiques » qui pourraient, selon lui, être dégradées « du fait de la censure ». « Vous pouvez dire que c’est la censure qui a mis le chaos mais c’est d’abord le 49.3, ou encore le fait que la première partie du PLF a été rejetée par le bloc central… » a répliqué le communiste Nicolas Sansu.
Si ces auditions ont parfois ressemblé à une séance impromptue de questions au gouvernement, c’est aussi parce que ce projet de loi spéciale fait, dans son ensemble, consensus. Chaque groupe a rappelé mercredi son intention de le voter. Car si ce texte est très simple, trois articles de quelques mots, il a une importance primordiale : « garantir la continuité de la vie nationale ».
Il contient une autorisation de lever l’impôt et précise que l’État et la Sécurité sociale peuvent « continuer à émettre de la dette afin d’assurer la continuité des services publics », a expliqué Antoine Armand. Enfin, un troisième article indique que le gouvernement – démissionnaire ou nouveau – doit prendre « des décrets ouvrant des crédits », c’est-à-dire reconduire le volet dépenses de la loi de finances 2024.
Une jurisprudence datée
Reste quelques zones de flou. Et pour cause : la jurisprudence manque pour définir clairement les contours de cette loi spéciale puisqu’un seul précédent existe, en 1979, lorsque le budget avait été invalidé par le Conseil constitutionnel. Pour aider le législateur, le Conseil d’État a émis, lundi, un avis, autorisant notamment un gouvernement censuré à le porter.
Les sages ont aussi tranché une question centrale dans cet examen du projet de loi spéciale, celle du barème de l’impôt sur le revenu. Dans les dernières lois de finances, celui-ci est indexé à l’inflation, sans quoi un travailleur au salaire fixe verrait son imposition augmenter. Une situation dans laquelle se retrouveraient 18 millions de Français en 2025, en absence de loi de finances.
Or, pour le Conseil d’État, cette indexation ne peut être incluse dans la loi spéciale car il s’agirait, selon lui, d’un « geste politique ». Mais, pour le NFP, comme le RN, c’est justement augmenter de fait l’imposition qui constituerait un geste politique. Éric Coquerel, qui considère que « le Conseil d’État a émis un avis et non une décision », a donc déposé un amendement prévoyant l’indexation. Le Conseil constitutionnel tranchera a posteriori.
Ce qui a été vertement critiqué par Laurent Saint-Martin : « On voit dans cette séquence deux écoles de pensée : ceux qui pensent qu’on peut mettre des coups dans les institutions et passer par-dessus et ceux qui considèrent qu’on ne peut pas faire fi de cet avis. » Venue d’un fidèle de la Macronie, spécialiste dans l’art de détourner les institutions, la phrase a provoqué quelques rires nerveux dans la salle. Même pour un texte technique, l’Assemblée nationale reste une arène politique.
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Source: https://www.humanite.fr/politique/budget/la-loi-speciale-un-texte-vraiment-consensuel
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