La politique extérieure de Trump – Un trompe-l’œil ? (Pressenza – 23/09/25)

(Crédit image: Flickr.com)

Par Michel SeymourSamir Saul

D’aucuns croient que Donald Trump veut effectivement mettre fin à la guerre d’Ukraine. D’autres croient qu’il est aussi belliqueux que ses prédécesseurs. Qui a raison? Peut-être un peu les deux. Il voulait peut-être arrêter l’implication américaine dans la guerre d’Ukraine mais, en tant que président, il ne peut mettre un frein à l’entreprise guerrière des États-Unis. S’il donne l’impression de vouloir terminer la guerre, c’est peut-être pour la refiler aux Européens et pour mieux entamer celle qu’il veut enclencher avec la Chine, qui est la cible prioritaire.

Gilbert Doctorow est l’un de ceux qui prennent au sérieux l’idéologie MAGA de Trump et qui le croient sincère au sujet de la guerre d’Ukraine. Pendant la course à la présidence, l’actuel président s’est démarqué de son prédécesseur et a annoncé qu’il pourrait mettre fin à cette guerre en 24 heures. Cela aurait pu cependant n’être que de la poudre aux yeux. Il répète à tout bout de champ que c’est la guerre de Biden, pas la sienne, ce qui n’est pas exact car il a entraîné et armé les forces de Kiev durant son premier mandat (2017-2021). Mais une fois arrivé au pouvoir, ses déclarations ont donné des raisons additionnelles pour qu’on le prenne au mot. Il a admis via Marco Rubio que les États-Unis avaient mené une guerre par procuration en Ukraine[1] et que maintenant le monde était entré dans une nouvelle ère, celle d’un monde multipolaire[2]. Nous savons aussi que Trump est un homme qui cherche d’abord et avant tout à conclure des affaires (‘deals’) et qu’aucune guerre ne fut amorcée à l’occasion de son premier mandat.

Brian Berletic n’est pas d’accord. Il ne croit pas à un Donald Trump pacifique, et à des États-Unis renonçant à leur rêve d’un monde unipolaire. Il s’est même inquiété de voir Vladimir Poutine se rendre en Alaska, donc en territoire américain[3].

Qui a raison ?

Doctorow a-t-il raison? Tel qu’il l’a admis lors d’une entrevue à l’excellente émission animée par le professeur Glenn Diesen[4], le comportement en apparence pacificateur de Trump face à la guerre d’Ukraine semble être contredit par l’attitude belligérante que le président américain affiche concernant Gaza. Trump a en effet donné le feu vert à Israël, conseillant à Netanyahou de finir le travail (finish the job)[5]. Comment concilier ces deux positions en apparence contradictoires?

Les choses s’éclairent un peu si on admet que Trump voulait peut-être seulement s’en remettre à une division du travail : l’Europe s’occuperait désormais de la Russie et Israël de Gaza, tandis que les États-Unis cibleraient la Chine. Pour ce qui est de Netanyahou à Gaza, la division du travail fonctionne déjà à plein. L’appui à Israël place Trump du côté du plus fort et lui fait espérer un dénouement rapide sans implication directe des États-Unis. Pour ce qui est de l’Ukraine, cependant, l’appui à Zelensky est un appui au perdant. Il n’est plus un bon sous-traitant. Il convient donc de prendre ses distances d’une aventure que les États-Unis avaient initiée et qui tourne mal et de laisser aux Européens le soin de poursuivre le sale boulot. C’est exactement ce que le secrétaire à la défense Pete Hegseth est allé dire aux Européens en février 2025 en reprenant à son compte le principe de la division du travail[6]. Les États-Unis, et Trump en particulier, ont besoin d’un succès, ou de son apparence, pas d’être associés à un nouvel échec, après l’Indochine, l’Irak, l’Afghanistan et l’Iran.

Selon ce point de vue, l’objectif ultime de Trump n’est pas de restaurer la paix. Le retrait des Américains du conflit en Ukraine n’est qu’une façon de se dédouaner et de déléguer la tâche militaire à un nouveau sous-traitant. L’appui à Israël, par contre, doit être maintenu, car dans ce cas, Netanyahou semble en mesure de mener à bien le nettoyage ethnique des Gazaouis.

La guerre comme occasion pour faire de bons ‘deals’

Les néo-cons ont pu vendre à Trump l’idée selon laquelle la division du travail militaire serait susceptible de permettre la conclusion de certaines affaires qui répondraient aux attentes de ceux qui prônent le principe de l’America First. Les deals, l’État américain semble en effet être en mesure d’en conclure plusieurs : avec le Congo permettant un accès étasunien aux ressources extractives de ce pays, puis celui concernant le corridor Zangezur qui vient d’être créé en Arménie, sans oublier le deal conclu avec les nouveaux alliés d’Al Qaeda maintenant au pouvoir en Syrie. S’agissant de l’Ukraine, un deal a aussi été conclu avec Zelensky permettant aux États-Unis de profiter des terres rares se trouvant sur son territoire, pour rembourser les milliards transférés par les États-Unis qui l’ont tenue à bout de bras dans la guerre contre la Russie.

Les États-Unis ne sont pas une grosse compagnie multinationale ayant à sa tête un chef d’entreprise. Il s’agit plutôt d’un État impérialiste et impérial ayant à sa tête un chef des armées. Le commandant en chef est non seulement au service d’un complexe militaro- industriel, mais plus généralement au service d’un empire économique qui veut encore asseoir sa domination sur le monde. La posture guerrière américaine va se poursuivre, mais elle veut se trouver un nouveau théâtre d’activités, pourvu que les guerres en cours puissent être déléguées à des sous-traitants consentants.

La différence entre les deux situations, celle de Gaza et celle de l’Ukraine, peut donc s’expliquer aisément. Avec la guerre d’Ukraine, les États-Unis doivent se chercher un nouveau supplétif pour combattre la Russie. Ne pouvant plus compter seulement sur une Ukraine perdante, ils ont joué au médiateur et fait en sorte d’impliquer l’Europe. Avec Israël, les États-Unis ont le meilleur des sous-traitants. Il n’est pas qu’un vulgaire proxy, car ce pays est un prolongement des États-Unis au Proche-Orient.

Les néo-cons ont ainsi pu convaincre Trump l’homme d’affaires de s’impliquer dans tous les conflits sanglants, car ce sera sans que des Américains y versent une seule goutte de sang. En appuyant Israël, Trump pourra faire des affaires d’or en exploitant les énormes réserves de gaz sous-marin se trouvant en bordure de Gaza. Il espère peut-être encore aussi pouvoir inclure les Saoudiens dans un accord d’« Abraham » élargi. En Ukraine, le nouveau proxy européen se chargera d’augmenter son budget militaire en achetant son équipement des États-Unis. Ce sont là certes de longs détours devant être pris, mais ils conduisent tous à la terre promise d’une Amérique redevenue grande, car tirant profit de tous les conflits qu’elle provoque.

Pour donner l’impression qu’il prend ses distances à l’égard du conflit Israël/Palestine, Trump peut aisément compter sur Netanyahou qui est perçu par plusieurs comme étant le seul maître à bord de l’entreprise génocidaire. On a convaincu Trump qu’il pouvait jouer au négociateur avec l’Iran sur le nucléaire et avec le Hamas à Doha, tandis qu’Israël ferait mine d’être hors de contrôle, agissant de son propre chef, même si à l’évidence, il profite des bombes, des avions et de la logistique américaine pour accomplir ses basses œuvres. Pour prendre ses distances à l’égard du conflit en Ukraine, il peut jouer au médiateur au-dessus de la mêlée, quitte à ce que cela soit dans le rôle d’un Ponce Pilate, prêt à s’en laver les mains, après avoir tenté « en vain » de rapprocher les deux parties. Si, en plus des ressources ukrainiennes, il peut aller chercher des contrats lucratifs d’équipements militaires auprès des chefs d’État européens, ce ne peut être qu’un bon deal.

Trump sera satisfait de donner l’impression d’avoir tout essayé. Poutine maintiendra ses exigences, car il est en position de force sur le terrain. Quant à Zelensky, il en va de sa survie. Il ne veut pas céder, car autrement, ses jours seraient comptés. La guerre va donc se poursuivre et elle se règlera sur le terrain.

En somme, Trump voulait sans doute en finir avec des guerres qui s’interposent et qui empêchent de conclure des affaires d’or pour les États-Unis. Mais on l’a peut-être convaincu que ces mêmes guerres pouvaient être le plus court chemin conduisant à cet objectif, d’où le changement de nom pour le Département de la défense, devenu Département de la guerre. Et pour qu’il se sente à l’aise dans cette entreprise, il pouvait jouer au négociateur avec le Hamas ou au médiateur entre Poutine et Zelensky. Trump est certes manipulable face à Poutine et Netanyahou, mais il est aussi et surtout manipulable face aux conseillers du deep state qui l’entourent et le conseillent.

Une ombre au tableau

Netanyahou voulait en découdre avec l’Iran et il ne pouvait le faire sans l’aide des États-Unis. Comment Trump pouvait-il s’extirper d’une implication dans cet affrontement? Les attaques d’Israël en Iran ont eu lieu alors que les États-Unis faisaient semblant de préparer une « négociation » avec Téhéran. L’attaque israélienne a donné lieu à une implacable riposte iranienne qui aura duré 12 jours. L’Iran avait les moyens de faire très mal à Israël et pouvait percer le dôme de fer avec des bombes hypersoniques lancées à la vitesse de trois kilomètres à la seconde.

Les Américains n’avaient pas le choix. Il fallait donner la réplique, mais ils ont pu prévenir l’Iran à l’avance pour les informer des cibles qui allaient être visées. L’Iran procéda de la même façon ensuite en informant les États-Unis de la base militaire qui allait faire l’objet de leurs représailles. De cette manière, les deux parties sauveraient la face et mettraient fin à l’escalade : l’Iran en étant les derniers à avoir frappé; les États-Unis en laissant croire que les infrastructures nucléaires iraniennes avaient été complètement détruites. Ce théâtre d’activités s’est révélé être une sorte de théâtre kabuki. Tout cela donna lieu à un cessez le feu qui convenait à tous, surtout à Netanyahou qui en était le demandeur car conscient qu’Israël ne pouvait plus tenir sous la pluie de projectiles iraniens. Israël perdrait encore plus au change si la confrontation avec l’Iran devait se poursuivre.

Conclusion

Très rapidement après être entré à la Maison blanche, Trump a réalisé qu’il ne pourrait pas aisément remporter des succès en mettant un terme à ces deux guerres. Les conseillers et membres de son entourage qui sont demeurés néo-conservateurs l’ont peut-être convaincu de tirer son épingle du jeu autrement qu’en tentant de mettre fin purement et simplement à la guerre. Il pouvait agir comme médiateur pour ne pas être perçu comme favorable à la guerre, tout en concluant des ententes lucratives bénéfiques pour les États-Unis. Il est maintenant convaincu que c’est pour les États-Unis la seule avenue.

Les Américains ont été les agents provocateurs de la guerre d’Ukraine et Gaza n’aurait jamais été rasé sans l’aide des 80 000 tonnes de bombes et des avions américains. Qu’à cela ne tienne, en adoptant la posture du médiateur et recherchant à conclure des deals, Trump espérait pouvoir satisfaire sa base MAGA.

Certains se demandent pourquoi il s’est impliqué dans l’inextricable conflit ukrainien, car cela équivaut à marcher dans un nid de guêpes. L’important est toutefois de frapper l’imagination du public américain. Trump doit être perçu comme celui qui aura « tout fait » pour mettre fin à une guerre qui, dit-il, n’est pas la sienne.

Si Trump, Zelensky et Poutine se rencontrent, le désaccord pourra être consommé et, en constatant l’impasse, Trump pourra affirmer qu’il ne veut plus s’en mêler. En adoptant cette posture qui frappera l’imagination du public, il espère aussi recevoir la bénédiction venant de son entourage de néo-cons, car cela permet de cacher la belligérance fondamentale de l’impérialisme américain. Les Américains peuvent vendre de l’équipement militaire aux Européens qui joueront désormais le rôle de premiers pourvoyeurs.

Il n’y a que les campistes pro-américains et pro-otaniens pour croire que les États-Unis sont venus à la rescousse de Zelensky en Ukraine et que Netanyahou est, que voulez-vous, hors de contrôle. Dans les deux cas, le pouvoir impérial leur fournit tout ce qu’il faut pour poursuivre la guerre.

Par Michel SeymourSamir Saul– 22.09.25 – Montréal, Canada

Notes

[1]https://www.youtube.com/watch?v=cfZZzYVFcdA

[2]https://www.youtube.com/watch?v=42WDKnx4nLA

[3]https://rumble.com/v6xerf8-us-russian-presidents-to-meet-us-prepares-dagger-of-betrayal-again.html?e9s=src_v1_eh_cs

[4]https://www.youtube.com/watch?v=tyzGNH5vO0g

[5]https://rumble.com/v4zv1qz-trump-to-israel-finish-the-job.html?e9s=src_v1_s%2Csrc_v1_s_o

[6]https://www.youtube.com/watch?v=Fuq900YIlp8


Samir Saul est docteur d’État en histoire (Paris) et professeur d’histoire à l’Université de Montréal. Son dernier livre est intitulé L’Impérialisme, passé et présent. Un essai (2023). Il est aussi l’auteur de Intérêts économiques français et décolonisation de l’Afrique du Nord (1945-1962) (2016), et de La France et l’Égypte de 1882 à 1914. Intérêts économiques et implications politiques (1997). Il est enfin le codirecteur de Méditerranée, Moyen-Orient : deux siècles de relations internationales (2003). Courriel : samir.saul@umontreal.ca

Michel Seymour est professeur retraité du département de philosophie à l’Université de Montréal, où il a enseigné de 1990 à 2019. Il est l’auteur d’une dizaine de monographies incluant A Liberal Theory of Collective Rights, 2017; La nation pluraliste, ouvrage co-écrit avec Jérôme Gosselin-Tapp et pour lequel les auteurs ont remporté le prix de l’Association canadienne de philosophie; De la tolérance à la reconnaissance, 2008, ouvrage pour lequel il a obtenu le prix Jean-Charles Falardeau de la Fédération canadienne des sciences humaines. Il a également remporté le prix Richard Arès de la revue l’Action nationale pour l’ouvrage intitulé Le pari de la démesure, paru en 2001. Courriel : seymour@videotron.ca site web: michelseymour.org

Source: La politique extérieure de Trump : un trompe-l’œil ?

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