
Des milliers d’étudiants en médecine ont manifesté mardi 28 avril, dans toute la France. L’un d’entre eux nous explique d’où vient ce ras-le-bol profond
Par Etudiant en médecine.
La proposition de loi Garot « visant à lutter contre les déserts médicaux », d’initiative transpartisane, est rediscutée depuis le 5 mai à l’Assemblée. Cette proposition de loi ne peut pas être une solution à la pénurie de médecins qui, certes, est flagrante dans les territoires reculés (ruraux notamment), mais qui en réalité touche tout le territoire national.
Concrètement, les futurs médecins généralistes, déjà épuisés après dix années d’études à pâtir d’un hôpital public à la limite de l’implosion, pour certains avec une vie de famille commencée, des projets de vie plein la tête, seront contraints d’aller s’installer dans des zones prédéfinies (ou sous-dotées, rouges) par les agences régionales de santé.
Des zones « surdotées » ?
Ce que la loi ne dit pas c’est que dans bon nombre de zones dites « surdotées » (non rouges donc), la plupart des généralistes ne prennent plus de nouveaux patients. Ils croulent, littéralement, sous leur patientèle qui n’a cessé de s’accroître d’année en année. Les citoyens nouvellement arrivés dans ces régions, qui cotisent pourtant tous à la Sécurité sociale, ne bénéficient, de fait, d’aucun suivi médical sur le long terme. Contraints de se tourner vers les centres de permanences médicales ouverts 7 jours sur 7 ? Egalement dans le viseur de nos dirigeants ! Une nouvelle convention restreint la prise en charge des honoraires de ce type de consultations aux seules urgences vitales en soirée, le dimanche, ou un jour férié. Un argument de plus, pour se tourner d’office vers les urgences hospitalières déjà à bout de souffle depuis de nombreuses années. Pensons aux carences en personnel (si ce n’était que cela) qui obligent certains (petits) hôpitaux régionaux à fermer leurs services d’urgences la nuit. Le gouvernement veut-il priver les citoyens d’un médecin généraliste traitant, comme autrefois on avait son « médecin de famille » ?
Pire encore, concernant la médecine de spécialité. Rien n’est pour l’instant prévu au niveau des agences régionales de santé pour préciser le mode de calcul des zones surdotées en cardiologie, neurologie, dermatologie, etc. Prenons un exemple : jeune dermatologue spécialisé dans le traitement des cancers de la peau, vous souhaitez vous installer dans une zone où la limite est fixée à dix dermatologues. Si neuf sont spécialisés dans l’esthétique (pour vous retirer ce vilain grain de beauté pas très joli) et un déjà dans le traitement des cancers de la peau (avec des listes d’attente pouvant atteindre 1 an), vous ne pourrez pas vous y installer. « La zone est surdotée » répondrait théoriquement l’ARS… Des garde-fous n’auraient-ils pas pu être envisagés par nos responsables politiques ?
Enfin, il est intéressant de se demander pourquoi, de façon plus générale, les territoires actuellement en tension et les plus reculés n’attirent pas. Et ce malgré certaines incitations mises en place par des maires de petites communes proposant cabinet clé en main avec logement.

Numerus Clausus
Gardons toujours à l’esprit que c’est le désengagement de l’Etat, progressif mais non moins nocif, l’abandon de tous les services publics pourtant élémentaires (écoles, transports, maternités) et au-delà des services, l’abandon du monde rural et de nos petites communes en général qui ont favorisé l’exode, et de fil en aiguille l’exode médical. Les futurs médecins ne peuvent pas être tributaires d’une politique de mépris des territoires et de classe qui abandonne nos concitoyens vivant dans les zones peu ou pas urbanisées.
Rappelons que le quota d’étudiants autorisés à débuter des études de médecine (le numerus clausus) a été instauré sous le mandat de Pompidou, justifié à l’époque par le nombre « trop important » de médecins. En diminuant progressivement leur nombre, cela fait moins de consultations à rembourser pour l’Assurance maladie, moins de prescriptions et ainsi moins de dépenses pour un des piliers de notre Sécurité sociale.
Face à la mobilisation généralisée du corps médical partout en France, le gouvernement fait mine de reculer. Il faut toutefois rester vigilant. Le Premier ministre Bayrou voudrait à la place obliger les médecins, où qu’ils soient établis, à exercer deux jours par mois dans des zones en grave tension. Avec quelles structures ? Quels transports en commun ? Quelles indemnités de déplacement ? Pendant ces deux jours, quid de la prise en charge de la patientèle là où le praticien est établi ? Les médecins ne sont pas des pions, on en a besoin tout le temps, partout !
Depuis plus de 30 ans la quasi-totalité du territoire national est à lui seul un désert médical. Ne laissons pas nos dirigeants nous faire croire que les médecins sont le problème. Le problème, c’est la volonté permanente de couper dans les dépenses de santé publique et dans les moyens alloués à la formation des médecins.

Histoire Ambroise Croizat (1946) : « Je demande au corps médical d’éliminer toute crainte, en vue d’une collaboration loyale et sans réserve avec la Sécurité sociale » Ambroise Croizat fut ministre PCF du Travail de novembre 1945 à mai 1947 au moment où était mise en place la Sécurité sociale. C’est à ce titre qu’il s’est exprimé, le 8 août 1946, devant l’Assemblée constituante (qui a précédé la IVe République), pour préciser la place particulière des médecins dans le système de Sécu naissante et sa différence fondamentale avec le système anglais du National Health Service (NHS ou service national de santé). Extraits.« On a songé à réaliser, en France, un plan de Sécurité sociale, comme il en a été mis en œuvre depuis plusieurs années dans d’autres pays, notamment en Grande Bretagne où l’on a créé un service national de santé dont l’effet pratique est une fonctionnarisation presque complète du corps médical. Mais ce risque ne s’est pas présenté et ne se présentera pas dans notre pays.Je m’adresse donc, au-delà de cette Assemblée, aux représentants du corps médical, dont je ne sous-estime pas la haute conscience, qui a toujours tenu une place très importante dans notre pays. Nous respectons d’une façon toute spéciale cette fonction honorable qui ne cesse de rendre de grands services à la population de notre pays.M’adressant donc au corps médical, je lui demande d’éliminer toute crainte, en vue d’une collaboration loyale et sans réserve avec la Sécurité sociale. Les médecins français, par leur collaboration étroite, régulière et permanente, par les efforts qu’ils accomplissent, par leur quotidienne expérience, pourront contribuer à améliorer le fonctionnement de cette importante institution que constitue le plan français de Sécurité sociale.Notre intention est de réaliser, avec le corps médical, une collaboration sans réserve et sans arrière-pensée. Nous comptons sur lui pour qu’il apporte à l’œuvre de la sécurité sociale une collaboration sans réserve et sans arrière-pensée. » |
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