« Le simple fait de t’appeler Ismaël El Hajri, ça crée une suspicion » : le collaborateur de Louis Boyard, accusé à tort d’islamisme (StreetPress-10/10/25)

Du Figaro à France Inter, l’assistant parlementaire du député insoumis est taxé depuis un an d’être un agent de « l’entrisme islamiste ». Un récit médiatique initié par Progressif Media, agence de com’ du magnat d’extrême droite Vincent Bolloré.

Par Lina RHRISSI

« Comment on peut accepter un suppléant d’un parti politique français qui s’appelle Elias El Hajri, qui a aussi soutenu une association islamiste, qui s’appelle Baraka City ? » Il est 8 heures, le 25 septembre 2025, sur l’antenne de France Inter. Le journaliste Omar Youssef Souleimane est en promo de son livre Les Complices du mal (Plon, 2025) et dénonce la « gauche halal ». Son interlocuteur, Benjamin Duhamel, le reprend : « C’est un collaborateur de Louis Boyard, pas son suppléant. » La personne visée ne s’appelle pas non plus Elias et fait les frais d’une campagne visant à en faire l’un des visages de « l’entrisme islamiste » au sein de La France insoumise (LFI).

Ismaël El Hajri, l’assistant parlementaire du député insoumis Louis Boyard depuis son élection en 2022, dénonce un récit mensonger fabriqué de toutes pièces par les médias d’extrême droite, ceux de Vincent Bolloré en tête. Le but ? « Donner vie à des fantasmes islamophobes », réagit-il sur Instagram. « Aujourd’hui, le simple fait de t’appeler Ismaël El Hajri crée une suspicion d’islamisme », explique-t-il à StreetPress. « Est-ce qu’un jeune homme, d’origine maghrébine, perçu comme musulman, a le droit de travailler à l’Assemblée nationale ? C’est ça, le fil qu’ils sont en train de tirer. » Le communicant de 29 ans assure qu’aucun des médias ayant publié un article sur lui, du Journal du Dimanche (JDD) au Figaro, en passant par Frontières, ne l’a interrogé, ni publié son droit de réponse.

« On a été choqué d’assister en direct à la radio publique à une enième attaque raciste et islamophobe contre notre collègue », tonne Manon Amirshahi, secrétaire générale CGT pour les collaborateurs parlementaires (CGT-CP). « Ismaël est attaqué parce que tous les militants antiracistes sont attaqués par Bolloré. Mais aussi parce que c’est mon collaborateur et qu’ils cherchent à lui faire payer le combat que nous menons contre son empire médiatique », estime l’élu Louis Boyard. Contactés, aucun des trois médias ne nous a répondu.

« Ça va s’arrêter quand ? »

« T’es en train de faire ta skincare du matin et là tu entends le nom de ton compagnon sur la première matinale de France », se souvient Marie, la conjointe d’Ismaël. « J’ai eu un haut le cœur. Je me suis dit : “C’est pas possible, ça va s’arrêter quand ?” » D’après la trentenaire, qui se définit comme féministe, ces accusations sont surtout « injustes » :

« C’est totalement en contradiction avec ce qu’il défend, l’égalité homme-femme, la justice sociale… C’est une méconnaissance de ce qu’est l’intégrisme religieux, qui est beaucoup plus proche des idées de l’extrême droite. »

Elle tranche : « Si ça ne touchait pas à notre intégrité, ce serait limite drôle. » Ismaël El Hajri vient du Mans (72) et d’une famille métisse, avec un père militant au parti d’extrême gauche marocain Ilal Amam, opposé à la dictature d’Hassan II. « Depuis tout petit j’ai été élevé dans le délire classique du garçon immigré, qui doit faire des études et être le meilleur partout. Mais j’ai aussi entendu parler de la Palestine et j’ai été sensibilisé aux injustices. » Le Ligérien se politise au lycée, au moment de la réforme des retraites de 2013, avant rejoint les Jeunes communistes, en parallèle de ses études à Assas, à Paris, puis à l’université de Créteil (94), en communication politique.

Il a travaillé en 2018 pour Ian Brossat, adjoint communiste au Logement à la mairie de Paris, puis pour Philippe Bouyssou, maire membre du Parti communiste français d’Ivry-sur-Seine (94). Une formation politique qui l’aide à prendre du recul :

« J’en prends plein la gueule mais je théorise beaucoup. Ça vient valider mon analyse sur la société française, de plus en plus dure pour les personnes d’origine maghrébine, musulmanes ou assimilées comme telle. »

Selon lui, ceux qui l’attaquent s’intéressent davantage à son patronyme qu’aux idées qu’il porte :

« Ce qu’ils veulent, c’est faire le récit de l’arabe comme ennemi de l’intérieur. »

Les trolls de Bolloré à la manœuvre

À l’origine de ce matraquage, il y a un échange musclé sur X, le 17 septembre 2024, entre le dessinateur faf Marsault et l’assistant parlementaire, qui propose de renommer les rues Gallieni, Ferry ou Bonaparte, qui « glorifient la colonisation ». Trois jours plus tard, le compte Les Corsaires publie une série de tweets issus d’une recherche Google sur Ismaël El Hajri, qualifié d’« individu haineux qui fait du racisme anti-français » au CV « entre islamisme et ressentiment communautaire ». Principaux arguments ? Sa signature au bas d’une tribune contre l’islamophobie en 2019. Ou sa dénonciation de l’islamophobie dans un billet de blog Mediapart en 2021, où il critique la dissolution de Baraka City et du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). Derrière « Les Corsaires » se cache Progressif Media, une agence de communication qui œuvre pour Vincent Bolloré. Joint par StreetPress, son patron, Émile Duport, n’a pas donné suite.

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La publication X est reprise telle quelle le jour-même par le site identitaire FdeSouche qui titre : « Francophobie, soutien à l’islamisme : portrait d’Ismaël El Hajri, le sulfureux collaborateur parlementaire de Louis Boyard (LFI). » Le lendemain, le 21 septembre 2024, le JDD de Vincent Bolloré reprend l’exposé quasiment à l’identique en titrant : « Derrière Louis Boyard, le militantisme pro-CCIF, décolonial et woke d’Ismaël El Hajri. » Une cible idoine pour le groupe du milliardaire très conservateur, à la manœuvre pour torpiller le député LFI, dans le viseur depuis sa critique dans Touche Pas à mon Poste en 2022. Dans un mélange des genres propre à l’extrême droite et sa théorie de « l’islamo-gauchisme », c’est l’organisation d’un événement sur les critères de beauté de Photoshop à la fac qui justifie le qualificatif « woke »… L’article est signé d’un certain Alexis Bergeron, « journaliste fantôme » et adepte des fausses informations, indique Mediapart.

Le Figaro supprime un passage en douce

La bio traficotée atterrit sur papier glacé, dans le Figaro magazine, en novembre 2024 : « La France insoumise et les islamistes : l’histoire secrète d’une alliance politique », signée du journaliste franco-syrien Omar Youssef Souleimane. L’auteur conclut son papier en évoquant Ismaël El Hajri, « militant engagé pour la défense de Baraka City et du CCIF, deux organisations communautaristes dissoutes par le ministère de l’Intérieur ».

L’assistant parlementaire réplique en envoyant un droit de réponse par voie d’avocat : contrairement à la règle du contradictoire, il n’a pas été contacté avant la publication de l’article. En retour, Le Figaro a accepté de supprimer le passage en question sur leur site, « dans un souci d’apaisement », sans pour autant publier son droit de réponse. Une méthode qui va à l’encontre de la déontologie journalistique. Cette modification n’a pas empêché Omar Youssef Souleimane de le reproduire à l’identique dans son ouvrage Les Complices du mal (1), pour lequel il a été invité à la matinale France Inter.

Contacté par nos soins, Omar Youssef Souleimane confirme s’être basé sur le billet de blog de l’assistant dans Mediapart, mis en avant par « Les Corsaires » de Bolloré, sans avoir plus d’éléments à nous apporter. Relancé à plusieurs reprises au sujet de l’absence de contradictoire, il n’a pas répondu.

L’offensive Frontières

Ismaël El Hajri a reçu le soutien de ses collègues, qui se sont réunis mercredi 9 avril 2025 dans les jardins de l’hémicycle pour dénoncer le « ciblage » de plusieurs collaborateurs d’élus insoumis par Frontières. Quelques mois plus tôt, le média d’extrême droite a publié un article sur l’assistant, surnommé « l’ombre militante islamiste derrière Louis Boyard », dans le cadre de la campagne pour la mairie de Villeneuve-Saint-George (94).

Talonné par la caméra du journaliste faf Jordan Florentin, qui lui a demandé s’il était « un islamiste », Ismaël El Hajri a vu son nom être cité une nouvelle fois chez Bolloré. Cette fois sur CNews, Erik Tegner derrière le micro. Le fondateur de Frontières y a demandé son audition dans une commission d’enquête de l’Assemblée nationale « sur les liens entre LFI et l’islamisme ». Début octobre, cette commission a finalement été validée – sous une ambition plus générale, après un parcours chaotique. Las, Ismaël El Hajri se prépare encore une fois à démonter les fake news.

Le salarié de l’Assemblée nationale s’estime néanmoins privilégié par son statut social et sa connaissance des réseaux sociaux, à l’inverse d’autres personnes moins armées. Sa mère Françoise, orthophoniste de 64 ans qui se dit « très loin de la politique, les deux pieds dans le travail », est « attristée » et « en colère » qu’on lui « colle l’étiquette d’islamiste ». Elle s’inquiète des conséquences sur l’avenir professionnel de son fils :

« Dans le futur, s’il veut postuler à différents emplois, je me dis que ça pourrait lui porter préjudice. Ça laisse des traces des accusations comme ça. »

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(1) La maison d’édition Plon est la propriété de Daniel Krestinsky, qui possède Franc-Tireur et Marianne.

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Source: https://www.streetpress.com/sujet/1760026528-simple-appeler-ismael-hajri-suspicion-collaborateur-parlementaire-louis-boyard-extreme-droite-france-insoumis-islamisme-bollore-musulman

URL de cet article: https://lherminerouge.fr/le-simple-fait-de-tappeler-ismael-el-hajri-ca-cree-une-suspicion-le-collaborateur-de-louis-boyard-accuse-a-tort-dislamisme-streetpress-10-10-25/

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