Les députés rejettent le moratoire sur les énergies renouvelables (reporterre-24/06/25)

La proposition de loi sur la trajectoire énergétique de la France pour les dix ans à venir a finalement été rejetée par l’Assemblée. – © E.B / Reporterre

L’extrême droite, qui a donné le la à une semaine de débats énergétiques à l’Assemblée, n’a pas réussi à faire voter un moratoire sur les renouvelables. La transition énergétique ne sortira toutefois pas indemne de la séquence.

Par Erwan MANAC’H.

L’Assemblée nationale a fini par réagir. Après une semaine de débats chaotiques laissant les coudées franches au Rassemblement national, les députés ont rejeté mardi 24 juin, d’une large majorité, en vote solennel, la proposition de loi dite « Gremillet » sur la politique énergétique de la France à l’horizon 2035.

Ce texte de relance du programme nucléaire, aux multiples mesures parfois contradictoires [1], prévoyait en particulier un moratoire sur toute nouvelle installation éolienne et photovoltaïque en attendant la réalisation d’une étude.

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Le gel des principales énergies renouvelables ajouté à ce texte de loi le 19 juin avait suscité un tollé. La FNSEA ( : Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) avait argué de l’importance de l’agrivoltaïsme, de la méthanisation et des biocarburants. Le Réseau Action Climat et les acteurs des énergies renouvelables, qui représentent 40 000 à 80 000 emplois directs et jusqu’à 160 000 emplois indirects, selon les sources, s’étaient, eux aussi, élevés contre.

Démonstration de force du RN

Le rejet de cette loi, dont la portée aurait avant tout été symbolique, ne rassure pas totalement les acteurs du secteur. Ils ont été profondément glacés par la démonstration de force du Rassemblement national, qui est parvenu à donner le la du débat énergétique français sur une ligne farouchement anti-énergies renouvelables (ENR).

Le moral des professionnels des ENR était déjà émoussé par les atermoiements du gouvernement. Ils attendent depuis des mois la publication des décrets de la programmation pluriannuelle de l’énergie. Las, celle-ci a été retardée pour qu’un débat sur l’énergie puisse se tenir à l’Assemblée, comme l’exigeait le RN en menaçant le gouvernement Bayrou d’une censure.

« La crainte est très élevée chez les salariés et patrons d’entreprises des renouvelables. Depuis plus d’un an maintenant, nous voyons les plans sociaux se multiplier dans le secteur », dit Julie Laernoes, députée écologiste, à Reporterre. « Le premier trimestre 2025, c’est le pire trimestre en matière d’installations d’éoliennes terrestres depuis au moins 2011 », déplore Bastien Cuq, du Réseau Action Climat.

Le besoin de vision est crucial dans le secteur de l’énergie. « C’est une révolution copernicienne dont nous avons besoin pour décarboner l’économie. Si nous n’arrivons pas à nous placer dans une trajectoire de long terme et qu’il y a sans cesse des revirements, nous n’y arriverons pas », note Anne Debrégeas, ingénieure de recherche et économiste à EDF et membre de Sud Énergie.

« L’accélération du déploiement des renouvelables est indispensable »

Or, une petite musique anti-énergies renouvelables monte depuis plusieurs années, déplore Yves Marignac, porte-parole de l’Association NégaWatt. « Elle s’articule autour de l’idée totalement fausse et rétrograde que l’intermittence des sources renouvelables [les éoliennes et le photovoltaïque sont dépendants du vent et du soleil] serait un problème. Aujourd’hui, nous avons de plus en plus d’exemples qui prouvent qu’on peut faire fonctionner de façon sûre et compétitive des systèmes avec beaucoup d’énergies renouvelables. » Le stockage et la modulation de la demande peuvent corriger le problème d’intermittence, indique-t-il, ainsi que la complémentarité entre l’éolien — efficace la nuit et l’hiver — et le solaire qui performe en été.

Le RN a ajouté à ces fausses informations des arguments financiers trompeurs, voire mensongers, durant les débats à l’Assemblée : il a gonflé la facture théorique des renouvelables à 300 milliards d’euros. Pour y arriver, il a additionné le soutien public aux énergies vertes et le prix total du développement du réseau électrique, toutes énergies confondues.

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La relance du nucléaire ne pourra pas répondre à la demande d’électricité avant 2038 et l’entrée théorique en fonction des nouveaux réacteurs. D’ici là, seules les énergies renouvelables peuvent répondre à l’augmentation du besoin d’électricité de la France, afin de remplacer les énergies fossiles. « Il existe un consensus de la communauté des experts sur le fait que l’accélération du déploiement des renouvelables est indispensable », insiste Yves Marignac.

Un gouvernement sans ligne

Ce qui inquiète les acteurs des renouvelables, presque davantage que la croisade anti-ENR du RN, c’est l’absence de clarté du côté du gouvernement et de ses relais à l’Assemblée. Au-delà du vote du mardi 24 juin, vont-ils combattre l’« axe anti-écologie » décrit par l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, constitué des Républicains et du RN ? Ou lui serviront-ils de marchepied ?

Durant l’examen de la loi Gremillet à l’Assemblée, les députés du « bloc central » ont d’abord donné des gages à leur droite sur le nucléaire. L’État a d’ailleurs signé, en plein débat énergétique à l’Assemblée le 19 janvier, un accord avec EDF sur le financement de six nouveaux réacteurs nucléaires.

Sur les ENR, au contraire, le bloc central a brillé par son absence. « C’est devenu leur stratégie, décrit le député insoumis Maxime Laisney. Ils s’absentent des débats et ne votent pas. Leurs textes sont détricotés, ils finissent par les rejeter et comptent ensuite sur le Sénat, qui est à droite, ou sur les commissions mixtes paritaires, pour les reconstruire. »

Les déclarations et les décisions passées (relativement) inaperçues s’accumulent également, de la part des macronistes, en la défaveur des énergies renouvelables. Au printemps, les objectifs de développement de l’énergie solaire ont été revus à la baisse parce que la demande d’électricité n’augmente pas assez vite et que les objectifs fixés initialement risquaient d’aboutir à un système électrique « surdimensionné ».

« Nous avons divisé par trois les aides à l’électrification des véhicules lors du dernier budget. Rien de surprenant à ce que l’électrification des véhicules n’aille pas aussi vite que prévu », raille Bastien Cuq, du RAC. Citons également la réduction drastique des aides aux petites et moyennes installations photovoltaïques, le 28 mars.

La loi Gremillet n’est pas enterrée définitivement

Faute de constance dans sa politique d’électrification de l’économie, l’État freine la transition énergétique pour éviter la surchauffe.

Symbole supplémentaire, le gouvernement avait déposé un amendement à la loi Gremillet pour adoucir la portée juridique de ses engagements climatiques. Il ne veut plus « réduire » mais « tendre vers une réduction » des émissions de gaz à effet de serre. C’était d’ailleurs la volonté, jusque-là non aboutie, du gouvernement Attal avant la dissolution, rappelle le média Contexte.

Bien que rejetée par les députés, la loi Gremillet n’est pas enterrée définitivement. Le Sénat doit s’en saisir en deuxième lecture à partir du 8 juillet, en partant de la version qu’il avait votée en octobre 2024. Viendra ensuite une seconde lecture à l’Assemblée, peut-être en septembre.

Le RN, ces derniers jours, a encore agité la menace d’une motion de censure si les décrets de la programmation pluriannuelle de l’énergie devaient « contourner la représentation nationale ». Le parti est visiblement décidé à tirer le maximum de crédit politique de cette séquence cauchemardesque pour la transition énergétique.

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Source: https://reporterre.net/Les-deputes-rejettent-le-moratoire-sur-les-energies-renouvelables

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