Les Nuits du Bien commun du milliardaire d’extrême droite Stérin financées par le Crédit Agricole, McDonald’s, Peugeot… (StreetPress-7/10/25)

Illustration de Une par Caroline Varon.

À chacune de ses éditions en France, le gala caritatif cofondé par le milliardaire d’extrême droite, Pierre-Édouard Stérin, bénéficie du soutien de tissus économiques locaux, parfois représentés par des antennes de très grandes entreprises. Enquête.

Par Aurélien DEFER.

Benon (17), 24 septembre — Un peu plus d’une centaine de personnes sont installées sous une tente plantée en extérieur, sur le domaine de l’écrin religieux de l’abbaye de la Grâce-Dieu, en Charente-Maritime. Répartie par rangées, la foule est venue soutenir trois associations à l’occasion de la première édition de la Nuit du Bien commun dans cette petite commune de Charente-Maritime, située entre Niort et La Rochelle. Une soirée organisée par le fonds de dotation du même nom, qui existe depuis 2017 et dont le logo trône face à la scène où se déroule l’appel aux dons.

Au total, 97.000 euros seront récoltés ce soir-là par l’ensemble des associations — un score plutôt bas pour un événement qui, dans d’autres villes, génère d’ordinaire plusieurs centaines de milliers d’euros. À Lyon, par exemple, 718.000 euros ont été récoltés en mai. À Benon, parmi les quidams placés sur des sièges de salle des fêtes, certains sont des chefs d’entreprises locaux, qui financent une partie de la soirée. Les tissus économiques des villes dans lesquelles sont organisées les différentes éditions dans toute la France du gala caritatif — au nombre de douze en 2025 — occupent en effet un rôle majeur dans le financement ou l’organisation de ces Nuits du Bien commun. Beaucoup sont inconnues du grand public, quand d’autres sont des franchises et des enseignes locales de groupes très réputés : Crédit Agricole, Peugeot-Citroën, McDonald’s, Banque Populaire ou Enedis — filiale d’EDF.

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Ces entreprises commencent toutefois à ressentir une certaine pression, à mesure que la contestation contre la Nuit du Bien commun et son cofondateur, Pierre-Édouard Stérin, s’amplifie. Le milliardaire catho-identitaire était peu connu du grand public avant la révélation en 2024 par « L’Humanité » et La Lettre de son projet métapolitique « Périclès » visant à porter l’extrême droite au pouvoir. Depuis, ses galas caritatifs ont provoqué des protestations dans de nombreuses villes cette année (Angers, Toulouse, Lyon, Marseille, Annecy, Nantes, Tours…), laissant poindre une crainte générale chez leurs soutiens financiers, comme en témoigne leur grande retenue ce 24 septembre à Benon.

Des entreprises mécènes de tous statuts

« Les mécènes nous ont dit : “Je vais être discret ce soir.” On n’a pas de logos contrairement à d’habitude », décrit sur place Thomas Tixier, le directeur de la communication de la Nuit du Bien commun et de la société de production Obole. « Pour vivre heureux, vivons cachés », lâche-t-il dans un sourire. À un demi-kilomètre de là, bloqué par un important dispositif policier, un cortège de 150 manifestants empêche les voitures de certains inscrits à l’événement de rallier l’abbaye. Munis de drapeaux, de banderoles et de slogans antifascistes, les opposants à Stérin ont essuyé plus tôt dans la soirée, quelques jets de grenades lacrymogènes, en rase campagne. En réponse, l’accès à l’événement était si contrôlé que son service de sécurité avait reçu pour ordre de ne plus y faire pénétrer de journalistes — dont StreetPress, accrédité, qui a fini par entrer.

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Bien que la grande majorité des entrepreneurs à l’échelle nationale aient esquivé nos sollicitations, certains ont accepté d’expliquer leur engagement. « En tant que mécène, nous faisons un don au comité d’organisation pour la soirée », dit Nicolas Deshoulières, associé et fondateur du cabinet Envergure Avocats. Il a également fait partie avec son entreprise du comité de soutien et des financeurs de la Nuit du Bien commun tourangelle, organisée le 6 mai. Une double casquette qu’il est loin d’être seul à arborer : à Tours (37), on y retrouvait le Crédit Agricole Touraine Poitou, l’antenne locale de la radio catholique RCF, une boîte de conseil… Mais aussi un franchisé McDonald’s à Niort (79), une concession Citroën-Peugeot à Bordeaux (33), la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté à Dijon (21) ou encore Enedis à Toulouse (31).

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À Tours, StreetPress a pu retrouver en mécène l’antenne inter-régionale Crédit Agricole Touraine-Poitou. / Crédits : Nuit du Bien commun

Contactés, les sièges nationaux de ces entreprises n’ont pas tous donné suite (1). « Nous n’avons pas vocation à commenter les engagements personnels de nos franchisés, entrepreneurs indépendants », a commenté McDonald’s France, qui insiste sur la contribution de son réseau de restaurants « à la vitalité du milieu associatif dans tous les territoires ». Même son de cloche chez Banque Populaire, qui déclare « qu’il n’y a pas de partenariat au niveau national avec l’organisation la Nuit du Bien commun » et que « chaque établissement régional est autonome dans sa démarche de mécénat/partenariat ». Un système similaire à celui du Crédit Agricole, qui n’a pas souhaité « commenter l’information ». De son côté, le service presse de Stellantis — qui possède les marques Peugeot et Citroën — affirme « ne pas avoir connaissance du soutien à cet événement » et rappelle que sa charte de déontologie leur interdit « tout soutien à un événement à caractère politique ou affilié ». Il indique avoir pris contact avec le concessionnaire « pour comprendre quel est le motif de son soutien ». La Nuit du Bien commun, quant à elle, a fait disparaître de son site Internet les noms de ses soutiens et mécènes pour chaque édition, depuis l’envoi de nos questions à la mi-juillet. Par crainte de se voir couper le robinet à fric ?

Bouche à oreille et sollicitations

Ces grandes sociétés comme les plus petites se greffent au projet par différents biais, explique le dircom’, Thomas Tixier. « Dans certaines villes, des entreprises ou philanthropes nous contactent directement parce qu’ils ont entendu parler de la Nuit du Bien commun et souhaitent y participer. Ailleurs, nous identifions des acteurs engagés localement que nous sollicitons pour rejoindre cette dynamique collective. » Les mécènes interrogés par StreetPress estiment que c’est le bouche à oreille, entre entrepreneurs désireux de s’investir dans des associations proches de chez eux, qui les a convaincus. « J’ai été invité une fois par quelqu’un qui faisait partie des mécènes et j’ai trouvé que ces soirées-là étaient très réussies sur le plan de l’organisation », raconte Franck Gicquel, patron de Change by Fidso, une société de bureaux de change impliquée dans l’organisation des Nuits du Bien commun à Toulouse et à Bordeaux. Nicolas Deshoulières dit avoir été sollicité, il y a trois ans, « par le comité d’organisation de Tours qui cherchait des partenaires pour financer la soirée et soutenir des associations locales ».

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« Ce sont des personnes ou structures qui souhaitent s’impliquer dans la vie associative de leur territoire : entrepreneurs, dirigeants de PME, cadres RSE ou communication ou encore grands donateurs privés », résume Thomas Tixier. Avec les apports pécuniaires de ces sociétés, scellés via des conventions de mécénat avec la Nuit du Bien commun, « la soirée est gratuite » pour le public, annonce le site de l’événement. Car ces soirées, produites avec beaucoup de moyens, ont un coût à amortir : location des lieux, rémunération des salariés d’Obole mais aussi des animateurs et commissaires-priseurs présents sur scène, location de matériel technique, etc.

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À la Nuit du Bien commun toulousaine, c’est Enedis qui a filé un coup de pouce pour l’organisation du gala. La filiale d’EDF n’a pas répondu à StreetPress. / Crédits : Nuit du Bien commun

Une aide financière et pratique

À Tours, l’organisation d’une édition « coûte au moins 60.000 euros », selon Mikaël Goachet, un des initiateurs de la Nuit du Bien commun en Indre-et-Loire (37), également à la tête d’une franchise locale de l’entreprise de livraison de repas à domicile Les Menus Services. « J’ai donné une première partie avant la soirée, ce qui contribuait aux frais d’organisation, et j’ai gardé une enveloppe à donner avec mes salariés le jour J » aux associations, poursuit-il. On ne saura pas le montant de ce soutien, déductible à 60 % de l’impôt sur les sociétés. À Rennes (35), François Colcombet, directeur général de Tadamm Architecture, parle de son côté de « plusieurs milliers d’euros » injectés.

« Cela varie beaucoup d’un mécène à l’autre et d’une ville à l’autre. Certains choisissent de soutenir une association en particulier, d’autres apportent un soutien logistique ou plus global à la soirée », commente Thomas Tixier. Des partenaires supplémentaires garantissent en effet « un apport non financier », explique Mikaël Goachet. Il précise :

« Certains nous ont aidés par un carnet d’adresses, par les médias qu’ils connaissaient, pour avoir un lieu, etc. »

Un soutien qui concerne aussi directement les associations amenées à monter sur scène et à bénéficier des sommes récoltées : les membres des comités locaux les sélectionnent. C’est ce que détaille à StreetPress Franck Gicquel. Au même titre que les autres mécènes de ces soirées, il a reçu « une cinquantaine de dossiers d’associations, communiqués par Internet ». « On peut les consulter et donner des notes jusqu’à ce qu’en ressortent ensuite les vingt meilleurs. » Il poursuit :

« On se retrouve en physique pendant quatre à cinq heures, toute une matinée, on fait défiler le tableur Excel et on prend les dix meilleurs. »

Le tout sur la base de critères n’impliquant pas de considération politique, jure-t-il. Pourtant, certaines associations sont bien liées à la mouvance conservatrice et réactionnaire. Dès la première édition, en 2017 à Paris, l’événement avait aidé à financer Espérance banlieues — un réseau d’écoles hors contrat controversé — ou l’Institut libre du journalisme — une école « créée par la droite identitaire pour conquérir les médias », comme l’a révélé « Le Monde ». En 2021, plus d’un million d’euros avaient été récoltés pour douze associations « liées aux sphères catholiques dures », selon « Libération ». Rebelote cette année à Lyon, où les opposants à Stérin ont pointé du doigt une asso qui aurait des liens étroits avec le mouvement antiavortement et la Manif pour tous. Ou encore à Angers (49), où a participé le 1er octobre SOS Calvaires, une association qui nourrit un projet de « rechristianisation » de la France et fréquente de près l’extrême droite.

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Un écosystème qui commence à être impacté

Devant l’inévitable constat du profil de certaines associations et de Pierre-Édouard Stérin lui-même, l’implication des entrepreneurs dans la Nuit du Bien commun leur vaut parfois d’être visés par les détracteurs du milliardaire exilé fiscal en Belgique. À Rouen (76), la façade de l’enseigne locale de maroquinerie Paul Marius a été visée par des tags. Outre ces dégradations, Franck Gicquel raconte que sa société toulousaine « a été la cible de mails de personnes politiquement sûrement très engagées, qui ont voulu exercer une sorte de pression pour déstabiliser les mécènes et chercher à les faire partir ». L’avocat Nicolas Deshoulières regrette des « appels à manifester » qui « ont fait énormément de tort à de nombreux projets qui n’ont pas atteint le niveau de collecte espéré ». Ce dernier ne comprend pas les critiques :

« En trois ans, à aucun moment il n’a été question, au sein du comité de Tours, de la sensibilité politique de tel ou tel. »

Comme ses pairs, il récite la partition selon laquelle le milliardaire n’est plus investi dans la Nuit du Bien commun. S’il était tout de même annoncé présent à Benon, comme l’a relevé France 3, son départ en juin du conseil d’administration du fonds de dotation du gala aurait « permis de clarifier les choses », corrobore Thomas Tixier, qui affirme que « la gouvernance est locale ». Pas de quoi, donc, remettre en cause la pérennité de l’événement. « Si l’on doit revivre la même soirée que l’année dernière, on la revivra, jusqu’à temps que [les manifestants] se lassent », lance Mikaël Goachet. Bravache, il promet :

« Ça ne nous empêchera pas de faire les choses. »

Reste que, dans les faits, tout l’écosystème est bien impacté. À Benon, le franchisé McDonald’s de Niort a fait savoir à StreetPress, par l’intermédiaire du service communication de McDonald’s France, qu’il s’était retiré de l’organisation de l’événement « au début de l’été » après s’être aperçu de « l’ambiguïté » de la Nuit du Bien commun. Il ne s’est pas rendu à la soirée du 24 septembre mais n’a toutefois pas pu revenir sur son engagement de soutien financier. Avant la soirée, trois des six assos initiales se sont d’ailleurs retirées de l’édition charentaise. Comme l’organisme Simon de Cyrène, qui promeut des habitats inclusifs entre personnes handicapées et valides. « Mieux vaut se priver de financements que risquer d’accepter un mauvais argent », a déclaré Jean-Pierre Ledoux, son président à France Bleu. À Annecy (74), l’événement a récolté 100.000 euros de moins d’une année sur l’autre. À Toulouse, alors qu’il y avait eu 750 participants et 323.000 euros récoltés pour la première édition en 2022, celle de 2025 n’a généré « que » 255.000 euros auprès de 400 personnes.

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Face au soutien d’une concession Peugeot-Citroën à l’édition bordelaise, la maison-mère Stellantis a affirmé à StreetPress « ne pas avoir connaissance du soutien à cet événement » et avoir pris contact avec l’antenne locale. / Crédits : Nuit du Bien commun

« Ça nous oblige à nous retirer dans un lieu beaucoup plus confidentiel et reculé » pour la prochaine édition de la Nuit du Bien commun à Rennes, déplore l’architecte François Colcombet en référence aux manifestations. Il sait que les militants anti-Stérin prennent de plus en plus la mesure du rôle moteur des entreprises comme la sienne. À l’image de Denis Thibaudeau, élu de l’agglomération rochelaise, présent parmi les manifestants à Benon :

« On va se faire un plaisir de faire connaître ceux qui participent à ce genre de choses. »

(1) Les entreprises Enedis et RCF n’ont pas répondu aux questions de StreetPress.

Interrogé vendredi 3 octobre sur la disparition des noms de mécènes et membres de comités de soutien du site internet de la Nuit du Bien commun, Thomas Tixier n’a pas donné suite avant la parution de cet article.

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Source: https://www.streetpress.com/sujet/1759754561-nuits-bien-commun-milliardaire-extreme-droite-sterin-creditagricole-mcdonalds-peugeot-banque-populaire-enedis

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